Le Nazisme social
Type de document : Article
Des personnes extrêmement désocialisées
Pour l’auteur des « Naufragés », réussir à survivre dans la rue exige un effort de chaque instant. Aucun abri durable n‘est proposé à cet homme sans cesse rejeté à la mer, en exil de soi-même et de son propre corps. (Entretien public conduit par Jean Tonglet1)
Patrick Declerck : En tant qu’anthropologue
je suis allé vivre dans la rue durant de petits séjours, j’ai mendié, je me suis fais arrêter par la police, j’ai dormi incognito dans divers lieux d’hébergement. Cofondateur en 1986 de la mission France de Médecins du Monde, j’ai ouvert la première consultation d’écoute. J’ai consulté à l’hôpital de Nanterre jusqu’en 1997. Auparavant, j’avais travaillé en prison aux Etats-Unis et en Afrique.
Ce qui me soutient dans cette aventure est essentiellement et d’abord une curiosité intellectuelle. C’est un projet qui vise à démonter une partie du fonctionnement social. La sauvagerie de la société se révèle dans la façon dont elle traite les gens qui sont dans ses marges et qui semblent échapper aux injonctions de la normalité, c’est-à-dire du travail. C’est une réflexion sur la société, mais d’abord sur les limites de l’humanité.
Je m’intéresse à l’angoisse de l’humain. C’est une interrogation psychanalytique. La normalité n’est pas ce qu’on croit.
Jean Tonglet : Vous allez jusqu’à parler d’un syndrome de désocialisation. Pourriez-vous expliciter le sens de cette expression ?
P.D : Le champ social véhicule des concepts flous, non analysés, qui colportent une part d’idéologie. C’est le cas de l’exclusion. Parler d’exclusion des personnes âgées, des homosexuels, des enfants battus, des prostituées, des chômeurs de longue durée… c’est une manière de parler de la souffrance sociale. Mais si la souffrance sociale c’est l’exclusion, alors quel bonheur insigne doit être l’inclusion ! Cela laisse entendre que la normalité sociale est une condition de possibilité du bonheur. Proposition éminemment douteuse.
De même je ne suis pas certain de savoir ce qu’est la dignité. Je ne m’autorise pas à juger si on est plus digne lorsque, conduit vers l’échafaud, on y va avec une réserve stoïcienne ou en essayant de taper sur la figure du garde qui vous y emmène.
Quant au terme de sans-abri ou de SDF (sans domicile fixe), qui embrasse des catégories bien trop larges, il ne signifie rien en soi. D’abord c’est une nomenclature négative. Ensuite, parler de sans-abri après un tremblement de terre ne révèle rien de leur identité. Avec les populations migrantes, les demandeurs d’asile, les gens en rupture, les clochards chroniques, on est dans des logiques totalement différentes. C’est pour cela que j’ai choisi de parler des seuls « clochards » et de bien définir cet extrême de la désocialisation et de l’exclusion. Je me suis aperçu en 1982 que la sociologie et la psychiatrie étaient déficitaires par rapport à l’explicitation de ce phénomène. On pouvait dire que c’était l’effondrement économique et culturel qui au fond conduisait à s’organiser une vie à la rue : certains étaient exclus, c’est-à-dire implicitement victimes d’un processus. Mais identitairement, on pouvait les supposer désireux de normalité, ce qui supposait une réversibilité : « Je suis exclu, je ne peux pas travailler parce que je n’ai pas de papiers, mais si on me donne des papiers et si on me trouve un stage de travail, eh bien ! je vais travailler et les choses vont repartir. » Là réside la différence entre pauvreté et désocialisation.
La désocialisation comporte une partie psychique, psychopathologique : l’altération du sujet dans son fondement, dans son rapport à lui-même et au monde. Dans un certain nombre de pathologies bien connues (schizophrénie, dépression…), il peut y avoir une perte de l’insertion sociale du sujet, par une sorte d’effet de cascade. Mais je me suis aperçu que la vie dans la rue n’était réductible ni au dénuement économique et culturel, ni à des pathologies psychiatriques connues par ailleurs. J’ai donc plaidé pour la reconnaissance nosologique (dans la liste des maladies) d’un syndrome de désocialisation. Ce n’est pas une manière de faire porter implicitement le chapeau de la culpabilité éthiologique (celle des causes) sur le sujet plutôt que sur le système. Au contraire.
Si ces gens ont quelque chose en commun, c’est d’avoir vécu des enfances catastrophiques marquées d’abandons, de ruptures, de décès de la mère, de placements, de violences, d’abus sexuels, d’alcoolisme parental, etc. Ces facteurs sont d’un tel poids et d’une telle gravité que les sujets en sont blessés radicalement. Blessés non seulement dans leur rapport au travail et à la normalité sociale, mais d’abord dans le rapport à eux-mêmes. La clochardisation c’est la folie de la pauvreté. Ce n’est pas que la société en soit moins coupable : elle l’est doublement. C’est une atteinte non seulement à l’extériorité du sujet, mais à son intériorité, à son rapport à lui-même. Ce sont des gens qui vivent un exil intérieur, qui sont perpétuellement à côté d’eux-mêmes, chez qui l’alcool ou le recours à diverses substances psychotropes joue un rôle fondamental.
J.T : Vous dites qu’on ne peut pas vivre dans la rue deux ou trois heures sans être physiquement et psychologiquement épuisé à mendier.
P.D : Personne ne choisit d’être à la rue ! Quand on est à ce degré de pathologie générale, de souffrance, de terreur, de néant, le choix ou la volonté n’a plus de sens. On est hors du domaine d’application de la logique du développement du sujet. De plus il y a un mythe auquel il faut absolument tordre le cou, c’est l’idée de l’oisiveté, de la paresse ou du refus du travail. Ces gens qui vivent à la rue sont soumis à l’obligation pour survivre de dépenser une énergie colossale de tous les instants. Au moins six mois par an, la mort par hypothermie est à l’horizon de quelques heures. Simplement pour survivre il faut être dans une vigilance constante. Tout, toujours, est à recommencer. On est sans abri vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, trois cent soixante-cinq jours par an, ça n’arrête jamais… même lorsqu’on a la chance, le privilège (parce qu’il est difficile à obtenir) d’être dans des lieux d’hébergement d’urgence : parce que demain on recommence. Donc c’est une terreur !
Il y a à peu près 10% de femmes dans cette population clochardisée. Elles sont offertes à tous les abus sexuels, pratiquement garantis sans suite judiciaire. Elles ont comme option, pour échapper aux viols, de fuir dans la folie, de devenir les épouvantails repoussants que nous voyons dans les rues.
Mendier n’est un luxe pour personne, c’est un travail très dur, très angoissant. On se fait injurier, bousculer, cracher dessus. Le mendiant fait peur. Au-delà de la volonté sociale d’aider, de sauver, de soigner, il existe une haine sociale inconsciente, voire consciente.
Le « traitement social » des clochards est profondément ambivalent. On est dans une position cynique avec l’hébergement d’urgence dont la logique est celle-ci : on est sur le pont d’un cargo, on voit des gens dans l’eau, on les repêche, on leur donne des vêtements, on les nourrit, on les réchauffe, et on les remet à l’eau le lendemain matin avec un manuel de natation, en leur souhaitant une bonne journée et en leur disant : ne manquez pas le prochain cargo. Ce n’est pas une caricature ! C’est ce qu’on fait. Cela devrait être illégal. Il est absolument inacceptable de remettre dans l’enfer de la rue des gens qui souhaitent rester à l’abri. Il n’y a pas de possibilités structurelles actuellement en France de rester à l’abri à volonté. On condamne une population à un jeu pérenne de chaises musicales entre divers lieux. On est là dans un fonctionnement idéologique : on pense qu’il est bon moralement pour eux – et surtout pour nous - de ne pas les sédentariser, de favoriser une soi-disant autonomie, parfaitement inexistante et fantasmatique. Derrière ce vernis de logique thérapeutique se cache un sadisme tranquille.
J.T : Vous parlez de l’incapacité de notre société devant les véritables besoins de cette population. Vous citez entre autres l’exemple d’un programme d’insertion qui donnait de bons résultats.
P.D : Il y avait en effet un programme de remise au travail qui fonctionnait aux alentours des gares pour la population SDF. Il avait été mis sur pied par la SNCF, la RATP et la société Manpower2. Il s’agissait d’une proposition d’embauche pour une demi-journée, une journée ou deux journées (avec paye immédiate en liquide), donc d’une possibilité d’insertion dans une réalité de travail. Ce programme marchait très bien mais il a été arrêté parce que, de l’avis des responsables, il n’apportait pas une vraie solution. A vrai dire, ceux-ci avaient imaginé qu’en mettant ces gens au travail progressivement (une demi-journée, puis une journée, puis une semaine, puis un mois, puis un an…) le problème serait réglé. On était toujours dans cette ambiguïté : aider en contrepartie d’une normalisation. Si cette normalisation ne se fait pas, l’aide s’arrête.
Le sadisme social n’est pas le fait d’une théorisation psychanalytique sophistiquée. Il transparaît dans des mesures très concrètes. Je cite un document de la Direction des affaires sanitaires et sociales de Paris au sujet des conditions de déclenchement du plan Grand Froid : « La température de la nuit doit atteindre moins de deux degrés centigrades et celle du jour rester en deçà de plus de deux degrés centigrades, sauf facteur aggravant (s’il neige, s’il pleut ou s’il vente) » Administrativement, il faut certes définir des plans d’ouverture de lits supplémentaires en cas de grand froid. Mais ces degrés centigrades de référence déterminent-ils un risque d’hypothermie ? Non. Tous les acteurs médicaux savent que l’hypothermie, lorsqu’on est dénutri et qu’on dort dans la rue, se produit facilement avec dix degrés de plus, si ce n’est pas quinze. Alors ce n’est pas d’hypothermie dont il s’agit, mais de nos limites de tolérabilité de la souffrance de l’autre.
J.T : Vous prônez la réhabilitation de la fonction asilaire.
P.D : Effectivement je parle de fonction asilaire et non d’asile. Les asiles psychiatriques étaient des lieux totalitaires parce qu’on y privait les gens de liberté, parce qu’on y courait le risque de se faire casser la figure par tel ou tel surveillant. Mais, en les supprimant, on a jeté le bébé avec l’eau du bain. C’est bien là l’enjeu.
Si l’on pense que, faute de guérison, il y a des améliorations possibles et si on offre aux gens une alternative viable, supportable, un lieu où ils ne sont pas trop persécutés, ils vont y aller, ils vont se stabiliser, ils vont fonctionner à un niveau un peu supérieur. Ils resteront vraisemblablement alcooliques, mais, lorsqu’il y a une stabilisation quelque part, on constate que leur alcoolisation qui était de l’ordre de quatre à cinq litres de vin par jour à la rue, passe à un litre, ou un litre et demi. Donc les choses peuvent se stabiliser.
Il y a des lieux où on peut éventuellement être admis comme psychotique, mais sous certaines conditions (entrer dans un processus thérapeutique, ne pas être trop emmerdant…) En psychiatrie, il y a de moins en moins de lits et le temps d’occupation est de plus en plus court (il faut que ça tourne). Il y a de moins en moins d’endroits où l’on peut rester simplement à l’abri. Je ne parle pas de psychiatrisation à outrance, je parle d’une fonction qui existait dans le passé, jouée par l’hôpital psychiatrique : une fonction d’asile, avec certes des abus, des débordements et des dangers, mais qui offrait au moins la possibilité d’être à l’abri. Je ne dis pas qu’il faut enfermer les gens. Il faut leur offrir la possibilité de se mettre à l’abri, ce n’est pas la même chose.
Aujourd’hui cette fonction asilaire n’existe plus. On est soit dans l’hébergement d’urgence ponctuel (une ou quelques nuits) généralement dans des conditions inacceptables. Ou bien dans la logique du CHRS (centre d’hébergement et de réinsertion sociale) : six mois renouvelables une fois avec mise au travail et/ou en formation, des conditions qui sont bien au-delà de ce que peuvent supporter de telles populations. Cela veut dire qu’il n’y a pas d’alternative satisfaisante. C’est pourquoi se pose la question de réhabiliter la fonction asilaire. Il faut repenser la logique de l’hébergement d’urgence, et probablement légiférer vis-à-vis d’un droit de l’homme fondamental, celui de la survie, sans contrepartie.
L’allocation d’adulte handicapé tend à être remplacée par le RMI qui coûte moins cher. Or, dans les grandes villes, ce revenu minimum d’insertion permet soit de se loger, soit de se nourrir, mais pas les deux. Là aussi on soumet la souffrance pérenne à une obligation de normalité qui la dépasse. On ne touche son RMI que si on parvient à convaincre les autorités qu’on est au moins dans une recherche de travail.
L’homme inséré est un fantasme, celui d’un pauvre qui ferme sa gueule, qui est sans désirs, sans sexualité, sans désordre, sans alcool surtout (quelle horreur !), qui ne vocifère pas, qui travaille, qui suit les jeux télévisés, et c’est tout… Dans la pensée médico-sociale, le désir, l’impulsion, le plaisir, la joie ont complètement disparu. Le plaisir des pauvres n’est pas pris en considération. Au contraire, il y a une volonté de contrôler, de châtrer, de dévitaliser.
Un participant : Vous avez parlé d’exil intérieur. On n'a pas besoin d’être SDF, dans la rue ou dans un foyer pour l’expérimenter. Il y a des gens bien intégrés qui le ressentent aussi.
P.D : Je ne veux pas laisser penser que les clochards ou les sans-abri ont le monopole de la pathologie mentale. La clinique psychanalytique montre qu’il n’y a que des différences quantitatives, pas des différences qualitatives. On est face à la même possibilité de souffrance.
Une des spécificités de ce phénomène de désocialisation, c’est le problème des rapports au corps. J’ai assisté à des milliers de consultations médicales. J’ai vu chez des gens non psychotiques des rapports au corps très particuliers. Des gens arrivent, se déshabillent, enlèvent une chaussette et un orteil tombe, pourri. Des chaussettes, non retirées pendant des mois, sont devenues partie intégrante de la peau. Certains ont des fractures apparentes. Ils refusent tout soin, acceptent un pansement pour la gale, et s’en vont. Mais on constate chez ces patients une extrême banalité de leur discours. : en gros, tout va très bien. Quand je parle d’exil intérieur, je parle de ce corps désinvesti. La souffrance a disparu, c’est un paradoxe.
Il y a d’autres manifestations : le rapport au temps en particulier est très compliqué, le rapport à la dimension historique de son propre vécu est comme brisé.
Un participant : Vous semblez penser qu’il n’y a pas de solution pour les clochards. C’est profondément désespérant !
P.D : Je suis effectivement sans espoir mais pas pour autant désespéré. Ce livre est écrit dans une tradition intellectuelle non chrétienne. Dans le christianisme l’espoir est une vertu. Pour des gens comme Nietzsche, Schopenhauer ou Freud, c’est un fantasme. L’espoir ou le désespoir, cela ne m’intéresse pas. Pour autant suis-je désespéré ? Pas le moins du monde ! Parce qu’il ne s’ensuit pas qu’il n’y a rien à faire. Il y a tout à faire. Mais faire quoi ? Reculer l’échéance, certes inévitable à terme, de la mort, et diminuer la souffrance en attendant. Pour eux comme pour nous. Quant à la solution ? Il n’y a pas de solution. C’est un problème métaphysique. L’existence n’a pas de solution. Ce n’est pas une raison pour renoncer.
Je pense que l’espoir est un piège cynique et pas seulement métaphysique. Je crois aussi avec Nietzsche que déréaliser le présent c’est finalement une mendicité du futur et de l’avenir, donc de tout ce qui n’existe pas… C’est-à-dire que, vis-à-vis de ces populations, l’espoir d’une guérison, d’une normalisation (c’est bien de cela dont il s’agit !), consiste à les rendre encore plus odieuses à notre regard qu’elles ne devraient avoir tendance à l’être. Finalement on finit par les haïr parce qu’elles ne se conforment pas à notre fantasme de guérison et de réinsertion. Au fond elles bafouent notre espoir.
Ma conclusion clinique est de penser que l’espoir est une chose dangereuse. Freud dit : « Le cap à tenir, c’est la neutralité bienveillante. » C’est une attitude psychique de thérapeute. Bienveillance, cela veut dire que je souhaite le bien de mon patient, mais c’est un bien purement formel, qui n’a pas de contenu. C’est à lui de donner le contenu. C’est son bien, ce n’est pas le mien. Notre propre désir doit s’effacer devant la réalité de l’autre, qui vit sa vie et qui n’a pas besoin d’aller mieux pour que je continue de m’intéresser à lui. Il y a là un aspect éthique tout à fait important. Je n’ai pas à entraîner l’autre dans une relation où, au fond, je désire à sa place et où finalement mon désir se substitue au sien.
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L’histoire de Raymond.
Raymond était à Nanterre, là où des gens à la rue sont amenés par la police (banlieue parisienne). Il s’était stabilisé dans cette institution. Il y travaillait depuis deux ans et demi. Il servait en salle de garde. Lors de fêtes, nous nous voyions et nous plaisantions ensemble. Un jour, on me dit : « Raymond est mort de froid devant l’hôpital. » Mourir de froid en octobre c’est odieux. A cinq minutes de l’entrée de l’hôpital, cela l’est doublement. Je voulais savoir ce qui s’était passé.
J’ai retrouvé son dossier. On y voit que Raymond est une victime sacrificielle de l’espoir et de l’humanisme appliqué. Il fonctionnait bien dans l’institution avec les gens, avec les alcooliques, il s’entendait bien avec tout le monde. Il éveilla l’intérêt des équipes médico-sociales. Cet homme est encore jeune (44 ou 45 ans), un gamin digne d’un avenir meilleur, digne des joies du travail et de la normalité. Donc on commence à s’intéresser à son cas et on lui donne des rendez-vous pour qu’il soit examiné par le psychiatre, par le médecin, par l’assistant social, par le psychologue. Il s’aperçoit assez rapidement que les choses risquent de tourner mal pour lui. Il évite les rendez-vous. Il commence à picoler. Mais la machine de la normalisation est en place. Les rapports concluent : bon pour le travail, bon pour la normalité. Cela dure quelques semaines, puis on le convoque pour une ultime réunion et on lui dit : « Eh bien ! Raymond, on est très content de vous, vous allez vivre dehors, vous allez retourner à la normalité, on vous a trouvé un stage de formation de six mois et, après, tout vous sera possible. Qu’est-ce que vous en dites ? » Qu’est-ce qu’il dit, Raymond ? Il dit : « Merci Madame. » Qu’est-ce qu’il pense ? « Pas pour moi, je suis trop fou, trop taré, trop alcoolo, trop pervers. » Mais il dit : « Merci, Madame ». On lui dit : « Bravo ! Vous commencez la semaine prochaine. Tous nos espoirs sont en vous. Vous allez changer de lieu d’hébergement. » Il perd son hébergement, ses copains. « Et vous allez en formation. » Cela dure deux jours. Il casse tout. Il est immédiatement emmené par la police : asocial typique, alcoolisé, clochardisé comme avant. Comme si ses deux ans et demi de stabilisation étaient balayés du revers de la main. On le retrouve du jour au lendemain honteux. Je sais par des amis à lui qu’il évitait le contact et qu’au fond il avait été blessé par cette confrontation à son inaptitude, à sa différence, à son impossibilité. Donc il s’alcoolise gravement et quelques semaines après on le retrouve mort d’hypothermie dans la rue de l’hôpital.
Voilà un homme qui a été conduit à la mort par des humanistes qui lui voulaient du bien.
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Philosophe, anthropologue, psychanalyste, Patrick Declerck est l’auteur du livre Les Naufragés, (Ed. Plon, coll. Terre humaine, 2001).