Les comploteurs et la lutte
Arthur en était abasourdi, ainsi, il y avait de bons et de mauvais mal-logés, de bons et de mauvais militants des droits humains, on ne pouvait lutter pour ses droits qu'en ayant de bonnes manières, le torturé devait apprendre à hurler sa douleur dans les formes admises par les beaux salons.
Ainsi il aurait dû mettre son amour aux pieds de Dominique Premier, dans les formes chevaleresques définies par les classes guerrières et massacrantes, il n'avait pas été recalé sur ses qualités intrinsèques d'être humain , d'être noble, d'être juste, mais sur son aptitude à se servir correctement d'une serviette.
Ainsi le mille feuille des castes sociales se parfumait d'apartheid massivement, l'exclusion commençait entre camarades d'école puis de lycée, et les remparts dressés étaient infranchissables au plus dégourdi des amoureux, ainsi il n'aurait jamais aucune chance, il serait toujours recalé.
Comme tant de fois depuis sa naissance, il resta figé en posture d'anéantissement, incapable des moindres gestes, des moindres attentions, perdu dans les salles collectives des hurlements de bambins abandonnés, ainsi Dominique Premier l'avait abandonné, ainsi était l'amour.
Il ne mourut pas, il avait déjà exploré les piles de pont et leur parapet à l'aube de son adolescence, et Pierre Selos lui avait pris la main, il avait vécu, il avait survécu à la folie désespérée de sa déception amoureuse à l'aube de sa vie adulte, et Dominique Premier ne voulait plus le voir.
Son esprit se refusait à entériner ce fait têtu, il ne pouvait se guérir de ce deuil, il ne pouvait faire ce deuil, la belle se croyait sur le dessus du panier, il tournait les mêmes éléments en obsession lente année après année, sans pouvoir s'en défaire, et l'angoisse absolue tapissait ses entrailles.
Combien d'heures ineptes et aphones avaient il passé ainsi, sans énergie pas même du vide aspirant, sans volonté pas même des vents aspirés, ainsi immobile et démobilisé, ruminant et macérant, malheureux pour sûr, flottant dans les irréels de ses pensées magiques, absent à lui-même, mort.
Il la sentit plus qu'il ne la vit, fut-ce le froissement imperceptible de ce tissus à nul autre pareil lui couvrant les reins et lui dévoilant la naissance de ses seins, ce tissu d'une pièce de couleur noire se boutonnant sur le devant et dévoilant la rondeur d'une cuisse apparaissant sous son nez.
Reine se sentait fatiguée, elle n'était pas dans son assiette, l'expulsion lui avait permit inopportunément de résoudre son histoire et précipiter ce qu'elle souhaitait, consommant sa rupture d'avec Narco, Narco ne fournissait plus les narcotiques, et il n'avait plus de logement.
Elle avait dû recourir en hâte à de nouveaux expédients, recommencer les fellations intéressées des petits dealeurs de quartier, mais il lui fallait maintenant faire des efforts, le sexe la désintéressait, ce n'était plus qu'utilitaire, et même la came ne procurait plus cette montée vertigineuse et cette paix.
Il lui semblait être en état de manque constant, même quelques minutes seulement après le sniff, pour ne pas avoir de marques de piqûre, elle pensait déjà au sniff suivant, et sa peau ne captait plus les voluptés, et voilà que son chevalier préféré se laissait aller, allait-elle lui dire?
Cela faisait des jours et des jours que cela la travaillait, l'expulsion des immeubles avait été préparée en accord avec les responsables du soixante sept, ils avaient été prévenus à l'avance et avaient reçu des assurances certaines quant à leurs relogements respectifs, pour jouer le jeu.
La manipulation n'avait été que pour créer une crise et provoquer l'éclatement du comité des mal-logés sur lequel il était impossible depuis des années de prendre la direction, il fallait créer une association concurrente mise constamment sous les feux des médias au détriment du comité.
Les comportements humains habituels feraient le reste, Arthur se doutait-il du piège tendu, cela valait-il la peine de révéler l'histoire, elle était témoin, mais que valait sa parole, elle était tenue par ses petits secrets connus de Narco et du responsable du soixante sept, il avait été clair.
Tu mouftes et je te balance pour tout, de toute façons comme cela ou autrement le comité des mal-logés sera coulé et une autre association sera créée, ils ne veulent rien comprendre, ils sont cuits, il vaut mieux que ça se passe comme ça, il pourrait y avoir des peines de prison à la clé.
Reine avait été bien commotionnée, mais que pouvait-elle, elle ne s'était jamais trop mêlée de leurs affaires, c'était encore des luttes d'influence, c'était de la politique, les résistants pouvaient-ils survivre, les collabos ne dirigeaient-ils pas tout, de tout temps, se retournant toujours à temps?
Elle était triste pour Arthur et ses compagnons, ils étaient valeureux, ils avaient l'esprit clair, ils ne recherchaient ni gloire ni honneurs, ils faisaient ce qu'ils croyaient juste, et leurs rêves du moment allaient s'épuiser sur le sable du square, le voyaient-ils, qu'importe, ils étaient forts.
Reine joua un moment à placer son genou dénudé au plus près de la joue de Arthur assis par terre, elle voulait qu'il la sente du plus près qu'elle lui avait donné à sentir sa peau jusqu'alors, s'il savait où elle se perdait dans les soirs défraîchis des ruts alcoolisés des cafés nocturnes.
Cela faisait des semaines que cela durait, en compagnie d'une autre squatteuse autonome, pour se payer leur came, elles rejoignaient un tel bistrot où des immigrés rompus aux combines rémunératrices venaient se goberger en dépensant leur monnaie, c'était du rapide.
L'art de son corps et de son sexe s'était un peu égaré dans les méandres des considérations alimentaires, elle ne se sentait pas salie, et puis souvent il y avait une tchatche à avoir avec quelques pigeons jolis cœurs, l'argent circulait et le sexe n'était pas touché, mais qu'importait.
Son cul, tout le quartier le connaissait, tant elle avait joué, mais quand même sans être prude, elle était débarquée du navire, elle touchait la lande marécageuse, les voiles s'éloignaient à l'horizon, que dirait sa mère, misère, il y avait des limites à ne pas franchir, mais que valaient-elles?