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Publié par Christian Hivert

Squat 13 rue du tunnel
 

Et ils avaient emmené dans leur besace un mode de fonctionnement particulièrement au point qui s'était massivement diffusé dans toutes les maisons, basé sur la récupération de papiers, carnets de chèques et cartes bancaires, leur falsification et utilisation, un fonctionnement unique.

 

Arthur n'avait rien contre les méthodes de survie, y compris illégales, mais la professionnalisation dans ce fonctionnement unique ne représentait pas pour lui un idéal à atteindre, le vol était une aliénation au même titre que le travail salarié, lui s'en tirait en retapant des appartements au noir.

 

C'était pour l'époque et pour son degré de connaissance un bon compromis entre son désir farouche de ne pas participer au massacre proposé par cette société et sa nécessité de se procurer de l'argent, et puis il laissait sur les murs visités la trace de son utilité, il aidait à vivre mieux.

 

Mais depuis que le fonctionnement unique du vol et de l'escroquerie s'était répandu dans presque tous les squats, chaque groupe s'était refermé sur ses petits secrets de survie et se méfiait de tous, cela avait détruit toutes les convivialités en moins de temps qu'il n'en avait fallu pour les construire.

 

Ils avaient tous changé, Arthur pouvait suivre ce chancre se répandre à la trace, leur attitude à tous changeait, ils devenaient arrogants et fiers, fier d'être dans le secret des polichinelles et toisaient quiconque n'ayant pas le même fonctionnement, se rendant visibles par leur invisibilité.

 

Arthur était sidéré par cet abaissement soudain de la conscience collective, par cet appel aux chants des sirènes individualistes et consuméristes, Le voleur de Georges Darrien était devenu leur livre culte à tous, quels changements sociaux ces radicaux-là entendaient-ils initier.

 

Alors le comité était secoué et ne s'en remettrait pas, les plus opportunistes de ses membres avaient déjà pris massivement leurs cartes aux partis politiques électoraux présents dans le comité de soutien à la Place de la Réunion, ce qui interdisait  toute nouvelle occupation d'HLM.

 

Les forces internes au comité étaient disloquées, et ses soutiens naturels chez les jeunes squatteurs réduits à néant, Arthur avait du mal à en finir avec cette histoire. Dominique minauda :

— c'est avec toutes les histoires que tu as du mal à tourner les pages et finir non ?

— tu me connais si bien.

 

Plusieurs semaines plus tard les prévisions les plus sombres devinrent l'actualité du jour, Arthur et Jean-Philippe s'étaient couchés aux aurores après avoir refait le monde et vidé tous les cruchons, Arthur ronflait la tête emprisonnée par les vapeurs du vin de la nuit, ils buvaient de plus en plus.

 

Jean-Philippe fit irruption en fanfare dans sa chambre :

— Arthur spide-toi, les CRS encerclent le squat, ils sont au moins deux cent, cela faisait une heure à peine qu'il s'était allongé, il n'avait pas encore commencé à cuver, il dormait habillé, ce lever en sursaut fut des plus pénibles, il se leva.

 

Il courut à la fenêtre de la chambre sur rue de Jean-Philippe et de sa compagne, la rue était bleue, les cars étaient nombreux, et eux à l'intérieur du bâtiment n'étaient que six, dont un vieillard, chercheur en langue kabyle, les coups sourds d'un madrier résonnèrent contre la petite porte de bois.

 

C'était foutu, il fallait gagner du temps, voir si un soutien ne pouvait pas inverser le rapport de force, lors des occupations d'HLM du comité des mal logés le nombre et la motivation avait fait reculer les forces de l'ordre, pourquoi pas maintenant, dans une minute ils seraient dans l'appartement.

 

Comme à son habitude une intuition soudaine fulgura Arthur :

— Jean-Philippe, je leur fais le coup de Vaïma, vous en profiterez pour sortir les affaires.

Le coup de Vaïma consistait à reproduire une action d'éclat d'un insoumis réfractaire et squatteur  des Occupant Rénovateurs, quelques années auparavant.

 

Arthur se rua à la fenêtre de sa chambre à l'opposé de l'appartement, tandis que la porte de celui-ci volait en éclats, il enferma le chien et passa par la fenêtre, s'agrippant à une gouttière de descente des eaux pluviales, il rejoignit le toit par la façade arrière du bâtiment, couru sur le faîtage.

 

Arrivé à la façade donnant sur la rue il s'assit sur les tuiles et observa les mouvements, les squatteurs les plus proches géographiquement étaient déjà arrivés, mais ils étaient très peu nombreux, ils ne pourraient rien faire si ce n'est observer que l'expulsion se déroule à peu près bien.

 

Les Crs étaient massés à l'entrée et allaient et venaient entre la rue et l'intérieur du bâtiment, Arthur fit une estimation moyenne, il devaient être une vingtaine à l'intérieur, toute résistance était inutile, il prit son souffle et commença à beugler :

— Au secours on nous expulse la veille de la loi d'hiver venez nous soutenir. Vous la flicaille vous sortez du bâtiment sinon je saute vous aurez un mort sur la conscience

Une voix anonyme venue de l'immeuble cossu voisin lui répondit sans ambiguïté :

— Ta gueule on veut dormir, le quartier ne se prêtait pas à un soutien populaire comme dans le vingtième.

 

Mais il vit des grappes de Crs sortir du bâtiment inquiets, la compagne de Jean-Philippe put lui parler à voix basse par sa fenêtre :

— Ça va tu n’as pas le vertige, tu veux qu'on monte aussi, dis donc ta gueulante ça a fait le ménage, ils sont tous sorti…

— non mais c'est foutu, faites les bagages et sortez. Je les amuse pendant un moment pour détourner leur attention, profitez de cette tranquillité pour récupérer vos affaires, et rassurez Mohamed…

— Oh lui ça l'amuse, il est venu me dire, on reste tous ensemble, c'est la bagarre, on dirait qu'il vient d'avoir vingt ans,  bon à tout à l'heure.

 

Arthur tint son toit face aux négociateurs de la Préfecture venus en renfort et grimpés également sur les tuiles du faîtage à l'autre bout :

— N'approchez pas Messieurs, vous pourrez dire que vous avez fait votre travail, mais laissez moi le temps de faire le mien, nous n'avons rien contre vous.

 

Quelques dizaines de minutes plus tard, alors que la grande échelle et la camisole des forcenés s'apprêtait à venir le cueillir, Arthur se tourna vers les négociateurs :

— M'invitez vous à visiter votre côté, je préfère redescendre tout seul comme je suis venu, je ne suis pas un forcené, c'est un logement que je veux

 

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