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Publié par Christian Hivert

bien

Alors il respirait fort, tentait de faire refluer l'émotion, la tristesse, les pleurs, se motivait à trouver une occupation, rompre avec l'ennui, mais vivait-il, en vrai, vivait-il, s'il avait pu ne pas croiser Pierre, malgré cette affection indéfectible, parfois il regrettait de n'avoir pas sauté du pont.

 

Dominique Premier avait évidement bien fait de choisir le longues et hautes études, elle deviendrait une chercheuse émérite, dès ses seize ans elle connaissait toutes les étapes de sa vie, Arthur l'aurait terriblement désorientée, sans nul doute, avec sa quête inapaisable de vérité et de justice.

 

Tel un blessé, Arthur portait les lambeaux de sa vie en bandoulière, mais parce qu’ils avait été si durement touché, plusieurs fois, sa blessure même devenait étrangement une richesse, une ressource insoupçonnée pour continuer à vivre et même pour construire sa destinée, ses existences. 

 

Il lui fallait commencer donc une autre vie, donnant lieu à une profonde rénovation, un autre lui-même, vivre avec ses blessures est le symptôme même du survivant, il serait blessé dans toute sa vie et c’est en cela qu’il ne serait plus le même, mais le savait-il, il s'embourbait, se noyait. 

 

Il ne parvenait pas à s’appartenir à se diriger, à se remplir, la douleur le figeait, la rue de Vignoles s’entraînait lentement à paraître au monde ce jour là, lumineux d’un soleil de juin et Arthur, perdu sur le trottoir, devant le "17", se désespérait de continuer d’exister vainement sur cette planète.

 

Allons Arthur, bouge, tu as pris cette décision il y a bien longtemps, oui Dominique, je sais, il y a bien longtemps, mais si tu me donnais des nouvelles, tu ne m'as jamais appelé, je t'avais laissé mon numéro au mouvement Algérien, je ne peux pas, je ne dois pas me disperser, c'est dur.

 

Arthur devait vivre avec cet irréparable, il était pris dans une tourmente intérieure qui le renvoyait sans cesse à son passé, ce passé infernal dont il ne pouvait se débarrasser, et les témoins de ses blessures se cachaient au loin, ne peuvent pas, ne peuvent rien, terminent de brillantes études.


Se trouver ramené de manière répétitive au passé avait pour conséquence de figer son mouvement temporel, passé, présent, avenir, et de le geler dans l’étau du traumatisme, être envahi par le passé mine la vie, Arthur, blessé, ne vivait plus pendant de si longs moments, immobilisée.

 

Les hormones embrouillaient son corps plus violemment encore que jamais et il n’arrivait à mettre de mots sur sa désespérance folle, s’il avait pu respirer, simplement respirer sereinement, mais il n’était pas maître de son souffle, l’impasse vaporisait ses relents de détritus.

 

Des femmes africaines nettoyaient l’escalier menant aux appartements squattés au dessus, l’immeuble avait trois étages, Arthur n'avait jamais dépassé le Premier, pour vidanger sa vessie gorgée de bières dans le chiotte à la turque , il croisait des ombres furtives d'habitants, s'esquivait.

 

Il n’avait jamais été invité à poursuivre plus loin sa découverte du quartier dans cette direction là, les familles africaines se tenaient, en général, à l’écart des jeunes marginaux vadrouillant dans tous les trous disponibles des nombreuses impasses bordant le parcours de la rue.

 

Arthur avait été matinal ce jour là, il avait déboulé dans le "tierquar" dés neuf heures du matin, il sortait de son taf, dans le douzième arrondissement derrière l’îlot Châlon menacé de destruction rénovation, cour des miracles par la volonté des marchands de mort et de sommeil.

 

Les forces de l’argent étaient supérieurement organisées, d’un côté elles laissaient filer le commerce de drogue et par l’action planifiée de la préfecture le focalisait dans l’abcès de fixation urbaine l’intéressant, les banquiers blanchissaient, les immobiliers payaient les politiques.

 

Les politiques exploitaient le filon de l’insécurité, les couches moyennes peu à peu déménageaient laissant derrière eux des immeubles entiers propres au squat avec tous les trafics de la misère du moment, les immeubles étaient rachetés par ruelles entières et laissés à l’abandon.


La presse épaulait le bizeness en publiant les photos chocs de rues dévastées où erraient des poignées de camés affalés dans les caniveaux, s’étant fait leur shoot sur place et les dealers regroupés, manière de dire c’est là, venez nombreux, faisant ouvertement leur commerce.

 

Quelques programmes de relogement pour les plus pauvres pouvant justifier de quittance de loyer étaient pris en charge par la préfecture, les autres se débrouillaient pour se reloger par leurs propres moyens, le quartier se dégradait, permettant rafles et expulsions massives.

 

Le terrain et les immeubles étant vides de tout occupant, la chasse aux juteux profits immobiliers pouvait commencer, les grosses entreprises de bâtiment se positionnaient sur les marchés publics en finançant le parti de la maffia politique dispendieuse de chantiers colossaux.

 

Il gardiennait précisément l’immeuble de l’annexe de la préfecture du département où se trouvait les bureaux de relogement spécialement affectés à l’opération "Îlot Châlon", il arrivait à Arthur d’avoir à effectuer un remplacement, ces jours là il était gardien huissier.

 

Il s’enquérait de l’identité du visiteur, téléphonait à la société demandée et introduisait le visiteur, pour la troupe des familles souvent immigrées venant au bureau de relogement, il suffisait de leur indiquer la direction, c’était au rez-de- chaussé, au fond d’un couloir sombre.

 

Ils venaient avec leurs enfants, leurs papiers à la main et leurs faibles espoirs vrillés au corps, combien n’en n’avait-il pas vu de ces groupes de familles aux bureaux des étrangers, aux bureaux de relogement, aux bureaux des ANPE ou des services sociaux, toujours persévérants.

 

Attendre et revenir un autre jour pour attendre encore, il manquait toujours un papier, quelle vie était-ce donc que cela, et quelle vie était donc la sienne, les jours indécis se succédaient aux jours hésitants dans le plus mortel des ennuis, et pas le moindre petit souffle de nouveauté.

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