De l'autre côté de la rivière 19
Alors elle lance un mouvement, tout en douceur, les hommes aux chevaux, les femmes aux chèvres, car Monx Zyrl, la petite fille mongole doit apprendre à traire les chèvres, après les avoir rassemblées et les avoir entravées par les cornes, flanc contre flanc, Monx Zyrl retrouve le rire et se lève.
Il faut éloigner tous les boucs, brebis et moutons, il n’y a pas d’étable ni d’enclos, puis entre deux piquets, une corde à hauteur de corne, la grand-mère surveille et dirige, explique et patiente, elle a fini une rangée de mamelles, la petite n’en a trait que deux, elles rient, il faut apprendre.
Arthur avait tenu son installation agricole en se référant aux souvenirs de ses anciens et à ceux des anciens du monde, en des temps d’une modernité incongrue, il avait toujours préféré connaître le sens de ce qu’il faisait, et respecter l’usage le plus établi, il y a toujours une raison.
La répartition des taches s’était ainsi faite, il avait construit et aménagé le laboratoire de transformation du lait en fromages de chèvres, les petites tommes ardéchoises, le tout selon les normes sanitaires en vigueur, en dépit de certaines incohérences réglementaires, la patience est paysanne.
Sa compagne s’était occupée de l’étable et des chèvres, elle connaissait toutes les bêtes bien mieux que lui, revenant de la montagne à travers les faïsses, le chien gardien tournant autour du troupeau, elle installait tout son monde sous le tunnel traditionnel de la Dotation Jeunes Agriculteurs.
C’étaient des moments de grande douceur, de tendresse même parfois, revenant d’avoir gardé en montagne, elle posait tout son bagage, récupérait le seau propre réservé à cet usage et réalisait la traite manuelle du soir, l’esprit paisible, observant au calme la grande famille caprine.
Dans ces moments, elle pouvait voir les différences d’attitude des unes et des autres, pouvant indiquer des fatigues, des malaises ou des débuts de maladie, le chien attendait allongé, fatigué par le long trajet, les chèvres se plaçaient pour donner leur lait, généreuses.
Cela faisait tumulte parfois, les cornes s’activaient contre les flancs, contre les cornes, une prise de corne sur la patte arrière allongeait la récalcitrante à l’autorité de l’ancienne, la chèvre sait parfois être féroce et maintenir son rang, la hiérarchie ne soujfre pas de remise en cause.
Mais qui dira la somme de compassion de son regard, confiante et généreuse, attendrissant le pire des coeurs asséchés, de donner son lait aux Hommes lui ayant soustrait son petit, le chevreau, vendu dans les pays méditerranéens, pour la viande, les chevreaux paient la paille de l’année.
Accroupie au milieu du troupeau, la tête en appui contre le flanc de la bête avide d’être soulagée, les deux trayons biens calés dans les poings fermés, sans vivacité mais sûrement, parfois remerciée d’un hochement frôleur du museau, elle remplissait le seau sans précipitation.
Le geste n’était pas fatigant si l’on en avait l’habitude, sinon gare aux tendinites des novices, lorsqu’elle avait été si malade, ils s’étaient mis à plusieurs pour la remplacer, ils avaient eu mal aux poignets, et les chèvres se donnaient moins, depuis elle n’avait pas repris , personne non plus.
Car la chèvre donne son lait, elle vient se placer d’elle-même en position devant celui ou celle prenant la place de son petit, plus sa confiance est grande, plus elle fabrique encore jusqu'à la dernière goutte, sinon elle se retient, ce moment doit être calme, dans la confiance. L
es chèvres ne sont pas seulement joueuses et caracoleuses, mutines comme les décriront aisément toutes les brochures de tourisme vantant les vertus disparues des peuples pastoraux, elles sont une grande famille où la chevrière a le rôle de mère et de fille, donneuse et preneuse.
Les chèvres connaissent les sentiers de la montagne et dirigent la promenade pour la pâture, passé l’apprentissage des premiers temps, il s’avère inutile de les forcer à aller dans un endroit précis qu’elles n’auraient elles-mêmes choisi, l’herbe de làbas n’est-elle pas beaucoup plus riche ?
Dans ce cas, elles s’allongent dans l’herbe, elles ne sont pas privées, elles sont calmes, mais l’herbe ne leur plait pas par ici, elles peuvent tenir trois jours sans brouter, à ruminer paisiblement, sur leur réserves, à attendre qu’on les laisse aller, à flairer la faille, à faire devenir chèvre.
Car c’est là-bas, selon une connaissance inconnue de l’Homme, qu’elles ont envie de dépouiller les buissons de leur verdure naissante, mais elles sont confiantes, elles finiront bien par y passer, les chèvres conservées de l’année tètent encore leur mère, les petits accrochés à leur pis.
Tout le troupeau suit le mouvement impulsé par la chef, si la chevrière est parmi elles, elle aura ce rôle, elle gardera avec le chien, faisant attention à ne pas déborder sur le terrain d’un voisin, tout le temps nécessaire pour explorer le territoire voisinant le Mas, pas plus loin.
Puis les voisins étant connus et les demandes de protection des végétaux cultivés satisfaites, un parc avait pu être installé, les revenus n’étant pas trop élevés, il avait fallu ruser avec les matériaux, quand on est pauvre on trouve toujours des bricolages solides, sauf le vent et les chasseurs.
Cela avait été plus simple, les limites naturelles offertes par la montagne alentour avait permis de les laisser aller à la pâture seules, choisissant le moment où elles désiraient rentrer se libérer de leur lait, le donner à leur mère, la chevrière, ce n’avait été qu’un long apprentissage des coutumes .
Elle pouvait alors choisir les moments où elle gardait et menait à la pâture, et les moments où elle les lâchait en toute confiance dans la montagne, cela lui avait été très pratique, moins d’astreinte, il suffisait de ne pas oublier les traites, le reste de la journée pouvait se consacrer à ses enfants.