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Publié par Christian Hivert

Photo-41.jpgGeorges venait d’éteindre les infos sur le mur d’image. Il ne savait quoi en penser. Rien n’avait l’air gagné ni perdu de part et d’autre. Mais l’audace des gens du réseau l’intriguait. Que pouvaient -ils gagner à faire cela. Cela n’avait pas de sens.


Le processus allait encore une fois férocement se défendre. Et même s’il y avait un peu de perturbation pendant un certain temps, lorsque tout serait à nouveau résorbé, les enquêtes fouilleraient l’intimité de milliers de gens, les responsables seraient découverts et envoyés sur orbite, voilà tout ce qu’ils auraient gagné, les imbéciles.

 

Georges n’avait aucune confiance dans les possibilités humaines de bâtir une civilisation exempte de cruauté et d’horreur. Alors il ne voyait pas à quoi pouvait rimer de vouloir changer à tout prix le système d’exploitation dominant du moment.


Enfin, du moment qu’on ne lui demandait pas de prendre partie et qu’on le laissait tranquille, peu lui importait. Il aurait toujours la possibilité de s’adapter aux nouvelles conditions des nouveaux maîtres, si nouveaux maîtres il y avait un jour !

 

Pour le moment, il faisait l’inventaire des risques que toute la mission sous-marine courrait ou pouvait courir à être coupée des réseaux informatiques de recherche qui leur fournissaient les multiples données dont ils avaient besoin quotidiennement dans la poursuite de leurs travaux. Apparemment, sauf si cela durait trop longtemps, et en dehors de la gestion des calculs spéciaux demandant l’aide des énormes machines de l’Institut qui se trouvaient à terre, cela ne modifiait rien au programme de recherche du moment. Toutes les expériences pouvaient être maintenues.


Ni la livraison d’électricité, ni les communications n’avaient été rompues. De plus au moment de l’éclipse, la flotte ordinatricielle de bord était déconnectée du réseau, il suffisait de ne pas la reconnecter pour échapper au virus. Là-haut en surface, les dégâts étaient plus grands.


Les milliards de données qui circulaient au moment de l’éclipse étaient probablement irrémédiablement détruites. Cela ferait beaucoup de travail à refaire, mais ce n’était pas le bout du monde.


Depuis la première éclipse toutes les mémoires des services de données avaient été dupliquées sur des systèmes non connectés au réseau trans-européen. Dés que les services seraient nettoyés du virus, il suffirait de dupliquer en sens inverse ces mémoires de réserve sur les systèmes connectés et le tour serait joué.


Le seul problème qui se posait en ce moment était l’éclipse ! Combien de temps allait-elle durer.

 

Aux infos, ils avaient également parlé de révélations exceptionnelles sur des opérations secrètes du processus. Mais n’en avaient pas dit plus !

 

L’agitation sociale gagnait du terrain , des manifestations monstres s’étaient produites à Berlin, Milan, Moscou, Petrograd et dans une vingtaine de grandes mégapoles Européennes.


On parlait de mouvements d’armées sur les frontières extérieures. Mais rien n’était sûr et aucun massacre à ce qui était dit jusqu’alors n’avait eu lieu. Quelques réformettes lancées à grand renfort de publicité remettraient de l’ordre dans tout ça !

 

Non, franchement, Georges ne voyait pas bien ce que toute cette agitation pouvait changer.

 

Ce n’est qu’au bout d’une semaine qu’il commença à s’inquiéter. Cette fois-ci l’éclipse durait vraiment.

 

Les informations en provenance de la surface faisaient état maintenant d’affrontements armés sporadiques aux abords des grandes cités de travailleurs des capitales européennes. Les chiffres contradictoires de morts et de blessés annoncés permettaient malgré tout de se dire que le processus avait beaucoup de mal à rétablir l’ordre et Georges désormais angoissait un peu sur son avenir immédiat.


La livraison hebdomadaire de ravitaillement alimentaire était parvenue avec deux jours de retard, et ceux d’en haut, au vu de la désorganisation générale les avaient déjà prévenus de prévoir un rationnement de leur consommation. Ils faisaient état de grèves sur la quasi-majorité des secteurs de production. Cette fois-ci c’était vraiment la merde !

 

Et Georges se demandait s’il pourrait remonter un jour. Et s’il remontait, ne lui demanderait-on pas compte des expériences effectuées dont il s’était rendu complice en acceptant de les diriger.


Il n’avait pas encore complètement réfléchi aux différentes conséquences qu’un changement de pouvoir né d’une révolution sociale pouvait avoir sur sa propre vie. Et plus il y réfléchissait, plus il se sentait concerné, impliqué.


En plus, avec ce petit kilomètre de flotte qu’il avait au dessus de la tronche, il ne pouvait pas vraiment s’esquiver discrètement.

 

Il commençait sérieusement à se sentir coincé !

 

En fait, le noeud du problème se trouvait là. Le noeud du problème de Georges. Et c’était bien à cela qu’il fallait qu’il s’attelle. Il fallait qu’il fasse le bilan. Qu’il répertorie les horreurs produites, son degré de participation volontaire et son degré de participation imposé. Il fallait qu’il fasse l’inventaire de ses actes et de ses décisions dans le détail et qu’il les soumette à un jugement sévère.


Il trouvera bien de quoi se disculper. D’autant plus que la plupart des projets avaient commencé avant son arrivée. Il n’avait fait que remettre un peu d’ordre dans les labos, pour les rendre plus opérationnels, plus éfficaces.

 

Alors ensuite c’est vrai que certains labos auraient du être fermés. Mais il n’en avait pas le droit. Il avait des ordres. Les princes de l’agro-alimentaire dirigeaient tout et réclamaient des résultats. Les trusts minéraliers voulaient savoir. Mais non, là, il faisait fausse route.

 

Ni les uns, ni les autres n’avaient donné d’ordre en ce qui concernait les expérimentations foetales humaines. Même s’ils suivaient les travaux de près et réclamaient rapports sur rapports, ce qu’ils finançaient réellement, c’était la classification générale de la faune, de la flore et des minéraux, en macro et en micro. Ils payaient pour les expériences de rentabilité énergétiques et pour affiner leur connaissance dans les possibilités d’exploitation des ressources sous-marines.

 

Les foetus humains manipulés génétiquement faisaient partie d’un autre secteur plus secret.


Et là, tous les chercheurs qui y avaient collaboré en toute conscience avaient leur part de responsabilité, c’était indéniable. Il ne pourrait s’en tirer en se disculpant. A force de vouloir le fauteuil, il en avait fini par repousser tous les paramètres éthiques traditionnels. Maintenant il fallait qu’il assume.


Jusqu’à présent il s’en était toujours justifié pour lui-même en se disant que si ce n’était pas lui qui procédait à ces expériences, quelqu’un d’autre le ferait qui en retirerait les avantages et les privilèges.


Maintenant qu’il risquait de devoir rendre des comptes, ce genre de justification ne pouvait plus suffire. Il fallait encore faire appel à l’incontournable progrès de la science, au progrès de la connaissance humaine.

 

 

Et les progrès éffectués dans la connaissance des mutations et des développements conditionnés de certaines séquences du génome humain, avaient malgré tout permis de mettre au point de multiples médicaments et de multiples traitements de maladies auparavant incurables.


Ensuite, il est vrai que le résultat final de ces recherches n’avaient été utilisables vu leur coût élevé de production, que par les privilégiés de la planète. Mais cette partie là ne le concernait pas ; il n’était pas responsable de l’état actuel du monde. Malgré tout ils avaient produit un bon nombre d’horreurs qui n’étaient sans doute pas indispensables.


Ils s’étaient laissés aller, laissés guidés par une morbide curiosité, entraînés par leur mégalomanie de chercheurs qui jouent avec le feu de la création. Et cela c’était difficilement justifiable. Et il n’entrevoyait pas le moyen de conserver secret ces découvertes.


Tout avait été enregistré et envoyé à la surface. Même s’ils nettoyaient tous les labos et qu’ils lessivaient toutes les traces de ces maudites expériences, les mémoires dupliquées du Trust Energétique Européen en conserverait les preuves funestes.

 

Il s’affala dans son fauteuil derrière son bureau à bout de nerf. Pourrait-il seulement compter sur le soutien de ses collègues. Rien n’était moins sûr. Ils allaient tous se débiner et se renvoyer la responsabilité les uns sur les autres.


Et au sommet de la pyramide, c’était lui, Georges qui s’y trouvait. Il fallait qu’il s’entretienne avec ses supérieurs à la surface. Il fallait qu’ils fassent le point et qu’ils évaluent les risques. Après tout c’était à eux de les tirer de là.


Ils s’étaient suffisamment graissé les couilles sur leurs travaux. Et puis c’était les seuls à pouvoir assurer leur sécurité et leur rapatriement à terre si le processus s’effondrait. C’est au moment où il composa l’identification de la ligne directe avec ses directeurs qu’il s’aperçut que son implant neuronique était déconnecté.


Il allait falloir qu’il se fasse retirer ce machin là aussi.

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