Relaxe
Et il s'était retrouvé seul avec son courage, de tout le lycée, il avait été le seul à ne pas supporter de participer à la construction d'un monde de massacre et de domination, il ne voulait pas suivre ces études pour devenir un gestionnaire de l'ignominie générale qu'il condamnait, il refusait.
Tu as souri bien tristement ce jour-là Dominique en me disant que toi tu ne pouvais pas, mais tu étais fière de moi, de ce jour je suis resté seul, je n'arrive pas à être en moi même, tout à l'heure ce n'est pas moi qui suis sorti dans la rue face aux CRS, j'ai bien trop peur pour cela.
Ce n'était pas toi Arthur, tu étais pourtant particulièrement convaincant, celui dans lequel tu n'es pas a des présences plus qu'incisives, et s'ils t'avaient battu et arrêté, ils ne le pouvaient pas car je ne le voulais pas, j'avais la force des univers, cette force étrange qui me soulève parfois.
Et maintenant tu t'effondres, et maintenant Dominique je n'ai plus envie d'être fort, j'aurais voulu une de tes épaules pour y pleurer, cette épaule que tu mettais toujours à nu en tirant tes cheveux en arrière, m'enfouir dans tes boucles aux parfums de caramels et de vanille, m'y reposer enfin.
Mais tu n'as pas fini ta dérive, mais la main invisible est plus forte que mon orgueil, mais je dois faire sortir Jean-Philippe d'ici Lundi, mais ils ne nous lâcheront pas, nous avons bâti une force dont ils ont peur, il nous faut refluer, il nous faut disparaître intelligemment, ils sont forts.
Alors tu abandonnes, ce n'est que partie remise, le monde sera juste, le monde sera libre Dominique, ça n'en prend pas le chemin, mais si tu y crois, moi je préfère être du côté du manche, je me souviens Dominique, tu es du dessus du panier, pourvu que tu te plaises encore avec tes cheveux gris.
Un jour terrible viendra où ta vie reniera ton passé, la petite fille du placard n'aura jamais grandi et j'en souffrirais sans rien pouvoir faire, que sommes nous donc ici Dominique, cela sert à quoi tout cela? Arthur avait le nez appuyé aux barreaux froids des grilles du parc des Buttes-Chaumont.
Il se secoua, Jean-Philippe avait déjà dû arriver au commissariat central du dix-neuvième arrondissement et s'apprêter à y passer une nuit en garde-à-vue au moins, les faits de rébellion et de jet de canette de bières lui seraient imputés au vu des conditions de l'interpellation, il fallait faire vite.
Viens le chien, on rentre, Arthur se coula le long de la petite rue du Tunnel jusqu'à l'ancien dépôt et fabrique de blaireaux à raser qu'il occupait depuis un an, haut lieu et défilé de squatteurs et de militants en tout genre, nouvelle permanence hebdomadaire du comité des mal-logés.
Arrivé au deuxième étage dans le spacieux appartement des anciens patrons de la fabrique il se pendit au téléphone et réussit à pister son compagnon au travers des communications avec la permanence du parquet et de son ami Denis Langlois toujours disponible pour ce genre d'urgence.
La solidarité n'était pas un vain mot pour certains, et beaucoup de temps y était consacré pour assurer les défenses et faire sortir au plus vite les militants lors de leurs ennuis judiciaires, les actions menées étant toujours à la limite de la légalité, comme dans beaucoup de luttes.
Tout un réseau de soutien informel s'était constitué au fil des ans pour fournir les attestations de moralité et les garanties de représentation nécessaires à un élargissement rapide, cela fonctionnerait une fois de plus, Jean-Philippe n'était pas un inconnu dans la bande depuis un bon moment.
Il fallait également réunir un certain nombre de témoignages des participants au concert disculpant l'inculpé, les charges seraient sans doute difficiles à faire tomber, l'attitude des policiers en civil ayant procédé à l'arrestation laissaient présager d'un faux témoignage de leur part.
Et, pendant tout le week-end, le squat de la rue du Tunnel résonna de l'activité liée aux préparatifs du soutien, la mise en examen fut connue dès le Samedi, le transfert à Fleury-Mérogis dés le Dimanche, et la comparution immédiate programmée le Lundi matin à l'ouverture du tribunal.
Et il n'avaient toujours pas réussi à contacter un avocat, Denis Langlois toujours inscrit au barreau de Paris ne voulait pas plaider pour des raisons d'excessives émotions lors de ses plaidoiries, ce qui risquait toujours de nuire à son client, il était neuf heure, la dix-septième chambre ouvrait ses portes.
Les cabinets des avocats amis, Maître Jean Alain Michel notamment étaient encore fermés, si Jean-Philippe demandait le report pour préparer sa défense, il passerait quelques semaines en prison en attente de son procès et serait condamné pour couvrir le temps de détention, c'était l'habitude.
Arthur en était à se tirer les cheveux, il avait toujours réussi à faire sortir ses compagnons, tous les documents et une dizaine de témoignages étaient réunis, mais sans un grand professionnel de la défense cela ne vaudrait pas grand chose devant les allégations policières, le temps eut un rictus.
Une vingtaine de militants divers étaient déjà réunis pour remplir la salle en soutien, cela peut pousser le Président du tribunal à faire preuve de plus de mesure que d'ordinaire, si c'est épaulé par un avocat combatif, et l'effet inverse pour faire exemple et terroriser le soutien.
Et comme souvent Arthur s'entendit demander sans y penser, dans une intuition subite, quelqu'un parmi vous connaît-il le téléphone personnel d'un avocat sérieux disponible pour venir à l'audience de ce matin, tous les cabinets sont fermés à cette heure ci, il faut faire vite.
L'un d'eux s'avança, ma prof de droit est une amie personnelle de Maître Jean Jacques De Félice, je pense pouvoir le joindre très rapidement, la réputation de cet avocat n'était plus à faire parmi les milieux de réfractaires, Arthur avait déjà eu à faire à lui, s'il pouvait venir, Jean Philippe était sauvé.
Maître Jean Jacques De Felice fut à l'audience une heure plus tard, et l'on pu voir avec satisfaction les mensonges policiers s'effondrer un à un et sans effort, avec une finesse et une prestance redoutable le ténor du barreau de Paris les fit tomber dans ses pièges et Jean-Philippe fut relaxé.