Maitres diant-diants
La levée d'écrou eut lieu l'après-midi, dans la soirée ce fut la fête dans le squat de la rue du Tunnel, comme souvent il y régnait une effervescence joyeuse et festive, les vins et les bières coulaient copieusement, les débats s'avivaient tard dans les nuits conviviales, c'était un centre de lutte.
Durant tous ces moments d'incertitude, les courageux lanceurs de canettes de bières n'avaient pas reparu, sans doute estimaient-ils avoir fini leur travail, Arthur sentit là le début d'une dissociation plus générale, les attaques étaient de plus en plus nombreuses et les soutiens s'effilochaient.
Il arrivait là l'aventure absurde des hommes à travers les âges, dès que la force collective apparaissait les puissances s'alliaient pour y mettre fin tandis que les résistants s'opposaient entre eux et se divisaient, se fragmentaient en plusieurs bandes désirant chacune l'hégémonie sur les autres.
Mais la somme d'erreurs de débutants commises par des vieux de la vieille laissait à penser à Arthur que les choses n'étaient en définitive pas si simples, encore mieux, on pouvait s'apercevoir que certaines bévues coïncidaient étrangement avec des intérêts occultes d'arrangement avec le pouvoir.
Chaque petite coterie avait un petit intérêt à négocier, une petite tranquillité à s'assurer, sur le dos des mal-logés indisciplinés, pourquoi pas, ainsi ce que l'autonomie de la lutte semblait pouvoir permettre, le refus d'une compromission, d'une récupération, se faisait rattraper dès les premiers heurs.
Déjà le numéro de téléphone d'urgence de défense des squats agressés par les vigiles et les forces de l'ordre fonctionnait moins bien, de moins en moins de personnes se déplaçaient suite à une chaîne de coup de fil en cascade dont le centre était rue du Tunnel.
Quelques semaines plus tôt plusieurs squats avaient ainsi pu être sauvés par une réaction massive et rapide devant leurs portes, mais déjà des séparations s'étaient faites jour, tout le monde ne voulait pas défendre tout le monde, Arthur défendait l'inverse, il était combattu.
Notamment ceux du squat de la rue de Romainville en passe de devenir la plaque tournante des échanges de substances psychotropes, Reine y trouvait refuge, elle y trouva également un couple de compagnons, le trio des défoncés, son rêve de Jules et Jim en se réalisant devenait citrouille.
Entre les vindicatifs on ne défends pas les camés et les non moins vindicatifs arrêtez vos hypocrisies, tout le monde se défonce, Arthur eut le plus grand mal à entraîner un soutien efficace pour contrer l'agression physique de ce squat par des vigiles sans papiers d'origine yougoslave.
L'attaque des squats par des vigiles était de plus en plus répandue, c'était déjà le troisième en un mois, les soutiens s'essoufflaient, et les officines de ces gros bras renvoyaient aux allées du pouvoir Mitterrandien par le truchement d'huissiers liés aux affaires les plus troubles de la Gauche de pouvoir.
Arthur avait trouvé une astuce pour pallier momentanément aux défaillances de réaction des soutiens matinaux, il se rendait dans un café, demandait à téléphoner et en cinq minutes alertait le SAMU, les pompiers, la police, prétextant des échauffourées sanglantes, les sirènes calmaient les assaillants.
Cela laissait le temps aux jeunes troupes d'arriver et de défendre efficacement le squat, éventuellement de le reprendre, mais depuis plusieurs semaines les appels d'urgence devenaient de plus en plus nombreux et les disponibilités des uns et des autres fondaient, Arthur fatiguait.
De plus en plus chacun se pensant à tort fort de ses propres ressources cherchait à se dissocier de l'ensemble, prétendait que le regroupement des forces était contradictoire avec l'idéal d'autonomie, sans préciser ce que se devait d'être une telle autonomie, en construction de toute puissance.
Ce qui paraissait logique et naturel à Arthur et certains autres, que le regroupement et la force collective seule pouvait permettre de se loger dans les circonstances imposées par la société du moment était précisément ce qui était attaqué par de plus en plus de squatteurs récents.
Certaines organisations politiques, œcuméniques ou de type humanitaire en faisaient même leur cheval de bataille principal, appelant à une insurrection de la misère pour leur bluff communicationnel et en réalité empêchant par tous les moyens toute occupation de locaux vides.
De jeunes étudiants en quête de reconnaissance de leurs talents artistiques se dissociaient ouvertement des collectifs de luttes, n'hésitant pas à maculer les portes de leurs locaux de croix gammées et d'insultes grossières considérant que toute lutte collective menait à l'embrigadement sectaire.
Certains s'en étaient pris à Arthur de la manière la plus outrageante qui soit, que sais-tu de ce qui se passe et que peux-tu comprendre à la situation, tu n'as même pas fait d'études, nous quand même on est diplômés, on sait de quoi on parle, tu ferait mieux d'écouter ceux qui savent.
Arthur en avait été estomaqué, comment pouvait-on en arriver à de tels raisonnements, quelle stupide arrogance, mais au travers de ces manifestations d'animosité Arthur s'aperçut que le visage des occupants de squat avait changé, ils ne s'adressaient plus aux véritables mal-logés.
Ceux là disposaient depuis leur enfance de tout le confort immobilier moderne et avait bu au biberon toute l'arrogance de leur caste sociale d'origine, il était de leur intérêt vital de futurs chefs de ne pas laisser se développer une force autonome composée de démunis, de travailleurs.
Ils prenaient de l'intérieur même ces critiques auparavant portées par des organisations politiques extérieures au mouvement des luttes de précaires et de mal-logés, Arthur comprit alors à quel point tout le mouvement pouvait être infiltré par diverses forces souhaitant son effondrement.
Au premier rang desquels les provocateurs policiers figuraient en bonne place, privilégiant systématiquement les actes isolés et violents aux forces larges et construites d'individus conscients, privilégiant l'émotionnel de la décharge d'adrénaline à l'action concertée et réfléchie.