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Publié par Christian Hivert

Le camion était prêt à partir et sa compagne eut une réplique goguenarde et
intempestive, alors on pourra dire qu’ils ne nous ont pas servi à grand-chose tes
potes avocats, à nous l’aventure et la merde, ainsi lui parla-t-elle, la vexation de
l’injustice l’avait éreinté, il avait fait son possible.

L’avenir du monde et des Hommes lui était tombé aux pieds et il l’avait vu
corrompu dans toute sa brutalité indigne, rien ne pouvait plus être vécu, il avait
tenté tout les recours juridiques, et la réponse était tombée, sèche, selon que vous
serez puissants ou misérables, ils devaient quitter.

Malgré tous les conseils, rien n’y avait fait, la cour de justice sanctifiait l’injustice
sociale, il n’y était pour rien et ses potes avocats non plus, fallait-il pour autant en
rajouter une couche, au moment de rebondir sur du nouveau, la désolation l’avait
enrobé d’une pellicule putride, même elle ?

C’était là les joies de l’Ardèche, avait prétendu un Belge, riche propriétaire d’un
hameau surplombant la Vôlane, regardant ses gardiens locataires s’escrimer à
fixer une bâche de protection sur un toit en réfection, en peine tempête d’hiver, il
rigolait, leurs cartons d’affaires moisissaient.

Le toit n’avait jamais été réparé et les gardiens locataires, sauvant leurs affaires de
la détrempe encourue, avaient rompu leur contrat avant la venue du printemps,
plus souriant chez un propriétaire moins méprisant, il y avait eu le Mas, le bail
était correct , ils pouvaient redémarrer.

Le premier propriétaire du Mas avait été très régulier et l’arrangement profitable,
mais il avait vendu à un vacancier, Arthur n’avait pas les moyens d’acquérir, le
nouveau propriétaire n’aimait pas les chèvres et désirait agrandir sa propriété, cela
s’est fait dès l’exploitation agricole arrêtée.

Des rengaines anciennes ironisèrent sur des escaliers de la butte durs aux
miséreux, que la misère serait moins pénible au soleil, et pourtant que la
montagne est belle, alors, le signe vint, dans sa troublante majesté, dans une
simplicité, comme l’eau coule, vivement.

Le jars


Des feuilles rescapées de l’automne passé se déplacèrent en se suivant l’une
l’autre, mues par une brise ensoleillée, vers lui, c’était le signe, il saisit son cahier
de notes, son stylo, puis sortit, marcha à la recherche d’un rocher plat, petit
promontoire confortable, vers la rivière.

Son stylo ambitionnait de se déplacer sur les feuilles du cahier sous le vent des
souvenirs, il aurait aimé commencer son histoire par une phrase comme celle-ci,
cela faisait des jours qu’il marchait loin des bruits et de la fureur humaine, la
fatigue guidait ses pas, cela ne pouvait plus être.

Car nous étions dans une époque où l’on ne pouvait plus prétendre marcher des
jours loin de cette cacophonie dantesque, l’activité humaine couvrait la Terre
entière
et jusque dans ses moindres parcelles arpentées géométriquement, ses
territoires les plus reculés, ses passages dérobés.

Jamais le destin de l’humanité ne s’était autant mêlé au destin de la planète dont
elle était issue, il marchait sans fin et sans faille, mais non depuis des jours,
tentant de fuir les discordances effarantes, il hésitait, s’écartant des routes
encombrées et des chemins passants, effarouché.

Sur le petit sentier que l’on aurait pu dire oublié, sans pour autant pouvoir préciser
par qui, il posait ses pas avec précaution comme s’il découvrait un continent, il
tentait de se modeler et de s’approprier cette impression fugitive de l’explorateur
de contrées lointaines, démarrer une aventure.

Il s’était levé tôt, avait attendu les signes, avait fait son rangement quotidien et
avait mangé, il s’était mis en marche, des buis et des genets entrecoupés
d’églantiers et de bruyère bordaient ce sentier, le serpolet commençait à peine à
répandre ses senteurs, il approchait d’une cascade.

Derrière le houx toujours vert, avant le petit chêne touffu, l’eau coulait, roulait des
petites pierres, charriait des pommes pourries et des châtaignes
véreuses, contournait des rochers, éclaboussait les berges verdissantes, la force
requise de la vie l’imprégnait, il respira fortement.

Il était fatigué, mais non d’une marche ni d’une occupation encore moins d’une
activité quelconque, il était fatigué de n’être rien nulle part, pour personne, réduit
au regard sans bienveillance des autres, englué dans leurs observations et leurs
commentaires rapides, simplistes, dévalorisants.

Pourquoi ce regard condescendant, voir apitoyé ou encore indifférent, lorsqu’il
n’était pas hostile, s’était-il posé un jour sur lui pour jamais plus ne le quitter,
qu’avait-il fait de plus ou moins que tous les autres, pourquoi toutes ces vies, tous
ces départs d’un nomade fourvoyé sur la Terre ?

Il secoua la tête, une mésange multicolore se posa sur le houx, il fallait qu’il fasse
le tri, qu’il laisse derrière lui cette fatigue, il lui fallait percer ce mystère
l’enserrant comme une bulle protectrice, sur ce sentier peu visité, de l’autre côté
de cette rivière, se trouver une raison de vivre.

Tout d’abord marcher, marcher pour penser, marcher peut-être pour se laisser
aller, pour ne plus avoir de buts, être simplement présent, sentir, voir, entendre,
goûter, toucher, aller effleurer les étoiles, sentir l’univers et retenir ses pleurs,
guérir de la vie, boire à la source, affermir ses pas.

L’eau était à ses pieds, jaillissant en petites gerbes, scintillant sous les feuilles
flottantes d’automne passé survivantes à l’hiver finissant, ruisselant de mousses
multiformes, bruissant d’échos et de chuintements reposants, l’harmonie noble de
la nature, le chaos travaillé par l’ordre étrange.

Quelques pas et il serait de l’autre côté, enjamber la cascade jaillissante, un pied
sur ce rocher plat, saisir d’une main ce genet dépassant, se rétablir sur la berge de
gravier, quelques secondes pour inspirer profondément, s’élancer et franchir, la
mésange se lissait les plumes, sans inquiétude
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