Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Les incontournables

Chansons gratuites sur son site

       Les cons sont là

19 Tout s'arrange Tout s'arrange

06 Piste 06 12 Deux

Quinze-ans.m4a Quinze-ans

Mon amour Mon amour

Romans pdf gratuits:

Kahina,

De l'autre côté de la rivière,

Ne peut être vendu

Assemblée

 

 

 

Possible n°9 Possible n°9

Les mémoires d'un poilu de 14, par Gaston HivertLes mémoires d'un poilu de 14, par Gaston Hivert

brochure-comite-des-mal-log-s-1991Comite des Mal Logés:1991

DAL : les mensonges Dal : les mensonges

Les liens Opac du DAL Les liens Opac du DAL

 Réquisitions inflammables Réquisitions inflammables

QECSI.pdf Quelques Elements d'une Critique de la Société Industrielle.pdf

Guerin-Pour-le-communisme-libertaire Guerin-Pour-le-communisme-libertaire

Publié par Christian Hivert


Il donnait à son répertoire le ton de la confidence, de la complainte intime, du
grincement social, si bien que son auditoire se faisait d'abord clairsemé, les gens
ne comprenant pas tout de suite qu'il s'agissait d'un numéro, pour finir sous les
bravos admiratifs, un chapeau tournait.

La plupart du temps, il semblait improviser, s'accompagnant parfois, pour seul
instrument, d'une simple scie musicale, c’est-à-dire une égoïne coincée sur le
dessus d'un tabouret et un archet de violon, aux accents du métal il mettait en
mélodie la causticité de son verbe clair.

Ses réflexions étaient souvent comiques, jamais vulgaires, il aurait pu passer pour
un philosophe exerçant son art en plein air face au public à la façon des antiques,
la justesse de ses portraits vitriolés de la société faisait la joie des noctambules
assemblés, régal de leur esprit critique.

Ce qu'il disait n'était ni très original ni très élaboré, mais dans sa simplicité,
semblait une arme de plus aux nombreuses revendications populaires de l’époque,
aussi les policiers tournaient souvent autour de lui, cherchant à empêcher son
numéro par tous leurs moyens coercitifs.

Libération, libéraux rampants, rapportait le lendemain l’incongruité du libellé du
procès-verbal avec amende, parce que l'attroupement aurait pu gêner le repos des
riverains, par ailleurs ne s'étant jamais plaints, les pavés feutraient les pas, la
nonchalance de la nuit diluait les fatigues.

C’était cette époque et ce Paris que vit disparaître sa jeunesse altière, vinrent les
tourments de la pauvreté sans âme s’installant durablement dans toutes les
mégalo-poles mondiales, devant l’indifférence impolie des prétendus déçus,
revenus de tout, de la solidarité notamment.

Tout à l’attention intérieure portée à l’égrenage nostalgique des bribes décousues
de sa vie, il rompit son pacte de sérénité accroupie et se leva, s’étirant, tardant à
quitter son passé, poissé de nostalgie, dans une ivresse solitaire et découragée, le
signe de ce jour-ci ne s’annonçait pas encore.

Les océans de tristesse sont faits pour naviguer dessus, à s’enfler de vertige, toutes
voiles de conscience dehors, il tenta de s’extraire de ces dérives parisiennes
singulières, il résolut de ne plus attendre et de profiter de la belle journée
s’annonçant, avançant quelques pas.

Tout à coup, on s'y est tous mis, au karaté, à la savate, y avait des mecs avec des
bâtons, des chaînes de vélo, des barres de fer, des boulons, on frappait avec tout
ce qu'on trouvait, parfois à plusieurs sur une malheureuse caillasse ne demandant
qu'à voler, ils ont reculé, le type débordait.

Ces fanfaronnades de lascars politisés
résonnaient encore à ses oreilles, tant elles
étaient courantes dans ces temps velléitaires, il aimait bien Paris la nuit, les gens
étaient détendus, flânaient, il se sentait bien, la marche, les rencontres lui
permettaient d'apaiser ses peines, les panser.

Il y avait aussi des rencontres jolies, curieuses, troublantes, inconnues des
journées fades, les propos étaient plus libres, les contacts plus faciles, les verrous
sautaient, c’était comme une danse de frôlements et de reconnaissances
courtoises, un art nocturne ignoré des foules.

Et ainsi de rencontres en rencontres, il avait construit son être, modelant sa
conscience, sur la place de la Contrescarpe, trois ou quatre cafés offraient
largement leur terrasse aux touristes désirant se rafraîchir, il poussait son chemin,
explorant le monde, faisant sa ronde.

Des badauds passaient flegmatiquement, quelques joueurs de boule au milieu de
la place profitaient de la lumière dispendieuse des cafés et du réverbère, disputant
le terrain aux clochards semblant faire de la figuration pour un film de Gabin,
ordre et beauté, luxe, calme et volupté.

Puis, des jours et des jours, en vain, à chercher travail, logement, amitiés, sans
trouver d'issue, abritant comme son ombre l’angoisse esseulée et aphone, comme
endormie dans son être, il ne fallait pas se laisser aller, le métro était chauffé, le
sac était léger, le futur tout au bout de la rame.

Ce n'est pas facile pour tout le monde, il faut être patient, se battre, trouver des
solutions, tenir la durée, ce soir, il faudra rassurer le gérant de l'hôtel afin de payer
la semaine avec quelques jours de retard, avec de l'argent ne venant pas, chienne
de vie, au diable gênes et obstacles.

Et après, après, se présenter à une place le ventre creux, mal reposé, vêtements et
volonté fripés, sans adresse pour recevoir un improbable courrier d'embauche, il
décidait de passer ses après-midi à visiter la Butte Montmartre, vieilles rues, vieux
Paris, il ébranla ses souvenirs du menton.

Debout, d’un coup, sans but ni espoir, son estomac gargouillait, il lui restait un
peu de céréales aux protéines de soja du dîner de la veille, il avala froid en
réchauffant un reste de tisane, sa Yourte était petite, elle abritait le peu de choses
indispensables à sa survie, très peu de choses.

Une paillasse jetable faite de fougères séchées dont la montagne Ardéchoise était
amplement fournie, quelques ustensiles de cuisine de type pique-nique, un duvet
sac, un sac à dos, un réchaud de camping à gaz et quelques recharges, une lampe à
carbure, le fourneau, le nécessaire, rien de plus.

Il s’était ainsi replié de toute méchanceté du monde, évidemment ce n’est jamais
totalement possible sauf à disparaître psychiquement ou physiquement, la folie ou
la mort, il avait trop peu d’humilité pour l’un et trop peu de courage pour l’autre,
il avait déjà survécu à ces odieux choix.

Il lui avait alors fallu trouver de bonnes raisons de continuer de figurer parmi ses
contemporains, tant la lassitude de sa vie, de toute vie, lui avait sauté au visage,
tout à coup, c’était il y avait de cela à peine quelques mois, à nouveau désemparé,
annihilé, comme perdu dans un marais.

Qu’avait-il donc fait pour, le même jour, devoir quitter sa maison, expulsé, et se
fâcher avec sa compagne, remettant ainsi en cause toute une longue vie commune,
leurs affaires étaient empaquetées et chargées sur le camion, il leur suffisait de
trouver un point de chute accueillant.
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article