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Publié par Christian Hivert

Christian au chapeauLe car de CRS s'immobilisa longuement sur une place, semblant attendre les ordres, tout était incongru dans le déroulement des opérations, déjà par le déploiement insensé des forces de l'ordre, pour déloger d'un squat cinq adultes valides et un vieil homme, deux cent guerriers.

 

Arthur ne sut si l'importance que l'on donnait en haut lieu au développement de leur comité de lutte était bon signe ou non, il avait le plus grand doute sur les possibilités de poursuivre, et cela lui martelait la tête, alors que la situation était criante d'urgence, il fallait des logements.

 

C'était d'une telle évidence, ils luttaient pour l'ensemble de la société, leur combat était nécessaire, indispensable, le logement ne pouvait pas, ne devait pas être une marchandise ordinaire, les pauvres et les mal-logés allaient se réveiller, venir les rejoindre, les renforcer, c'était immanquable.

 

Le vin ingurgité durant la nuit lui remontait en volutes désagréables, il n'avait pas encore eu le temps de cuver, Reine aussi paraissait bien blanche, elle devenait de plus en plus marquée par le produit, Arthur se dit qu'il aurait dû intervenir et la secouer bien plus tôt, cela paraissait foutu.

 

Ses angoisses sommeillaient en lui comme de gros chats siesteux et ronronnant, il se disait qu'il fallait passer soit à une vitesse supérieure soit à de nouvelles ambitions, ce qui lui paraissait indispensable ne semblait pas l'être pour tous, ou était la force, le nombre se détournait d'eux.

 

Lorsqu'ils auraient fini leur cirque, ils le relâcheraient, il pouvait bien en avoir pour la journée, rien ne pouvait lui être reproché d'illégal, et ce pouvoir cynique avait la particularité de respecter scrupuleusement les formes de sa tyrannie, rendant incritiquable sa gestion du désastre.

 

Arthur tenta de calculer le coût exorbitant de l'opération pour les finances publiques, mais il lui manquait des éléments essentiels à cette comptabilité, il se persuada néanmoins que cela pouvait bien couvrir les frais de logement décent pour une famille pendant de nombreux mois.


La radio de service grésillait et des ordres brefs entrecoupés de crachotements meublaient le silence, Arthur se demanda encore ce qui pouvait bien le motiver à ce point à vouloir bonheur et justice alors que tant et tant parmi les plus malheureux se contentaient du piètre ordinaire.

 

Rien ne pouvait advenir sans un rassemblement massif et conscient, seul ou à une poignée rien ne pouvait aboutir, les classes moyennes étaient déjà durement touchées dans leurs conditions minimales de vie, bientôt leurs propres enfants iraient dormir à la rue, et ils se détournaient.

 

Même ceux qui avaient été les plus proches et les plus efficaces de ses compagnons n'avaient pas répondu à leur appel d'urgence du matin, a peine une poignée s'était déplacée, dont Reine qui ordinairement restait sous sa couette à se moquer gentiment de ces chevaliers intrépides.

 

C'était bien la fin, quand les centres des luttes n'étaient plus défendus soit par lassitude, soit par désaffection, soit bien pire par démotivation due à de sombres manipulations de l'ombre, il fallût s'avouer vaincu, Arthur secoua la tête, qu'allait-il faire de sa vie désormais, meubler son ennui.

 

Mais tu sais bien depuis quand cela date cela Dominique, je ne comprends pas, tu as dit non, ce que je demandais dans ma lettre n'étais pas possible, j'en serais mort, j'en serais devenu fou, je séchais tous les cours, parfois je faisais semblant de venir au lycée, pendant des mois, personne ne savait.

 

Tu ne voulais pas de frère, tu ne voulais pas de moi comme frère, la demande est incongrue, cela effraye les petites filles sages et bien élevées, prêtes aux destinées insolentes des gestionnaires du marasme que d'autres vivent au quotidien, reproduisant la cruelle imbécillité des dominations.

 

Quelle demande raisonnable pouvait être la mienne, Pierre Selos m'avait conseillé de me choisir ma propre famille puisque je ne me sentais pas reconnu dans la mienne, pourquoi a t il fallu que ce choix tombe sur toi, la seule dans les environs à ne pas vouloir d'attache, ni être ma sœur?


Les destins ont des ramifications surprenantes, la jeune fille unique promise à un avenir sans surprise tracé depuis sa naissance, se croyant plus mature que la moyenne, sortant avec des garçons plus âgés, a fuit devant la sincérité d'une tendresse désintéressée, d'une fraternité?

 

Tout ce qu'Arthur avait vécu après ce refus inexplicable pour lui n'était qu'une fausse vie, une survie illusoire, il y avait eu l'avant et il y avait eu l'après, avant le monde était réel, ineffaçable, figé en un film immuable, après c'était une fausse existence, sans substance, sans importance.

 

Je ne savais plus comment vivre, vivre sans toi m'était impossible, tu n'as pas insisté, tu n'as rien montré, je ne voulais pas faire de chantage, je ne voulais rien obtenir de toi par compassion, je voulais que tu ais tous les choix, je te voulais libre, je me voulais librement accepté, je n'étais rien.

 

Mes parents ne m'ont été d'aucun secours, ils ne se sont aperçus de rien, puis quand j'ai fait mon coup d'éclat, quand tu as cru que j'avais mis fin à mes jours, après avoir placardé mon désarroi sur tous les murs du grand hall du lycée, ils ont voulu tout contrôler, ne rien comprendre.

 

J'étais seul et dans une détresse inimaginable, je me demandais où je trouvais la force de marcher, tu ne t'es sans doute rendue compte de rien, je ne voulais rien devoir à ta pitié, tu te dirigeais vers les hautes études, tu es sans doute déjà une jeune chercheuse pleine de promesses.

 

Nous ne pouvions pas faire le même choix, ce professeur avait raison qui nous disait que nous perdrions en grandissant notre capacité à nous indigner des injustices et que nous nous plierions aux routines des élites des Nations, hors toutes considérations de l'humain sensible.

 

Tu étais une jeune adulte très immature qui voulait l'illusoire de la position sociale, qui voulait l'apparence des puissances, qui voulait toucher de près les maîtres, qui voulait être du côté du manche, main de fer dans un gant de velours, prête à se servir des autres sans vergogne.

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