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Publié par Christian Hivert

La fontaine de Chauprix

La fontaine de Chauprix

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Au dessus du marchand de légume Primeur moderne de facture récente une enseigne hexagonale donnait l’heure depuis des décennies, elle finirait dans une brocante et servirait pour un décor de film d’époque, dans le bistrot d’à côté le sucre en morceau était dans le bol sur le poli du comptoir, les œufs durs attendant d’être brisés au bord du zinc par une main affamée.

Un bac à bouteille vides pour les retours de consigne encombrait le maigre trottoir, la rue appartenait aux chalands et aux ménagères, apporter des bouteilles vides glanées ici ou là rapportait quelques pièces aux gamins du quartier, tous n’avaient pas été photographiés par Doisneau et l’enseigne des bains douches en jaune sur noir annonçait ses heures : de 7 à 20.

Des piles d’un mètre de caisses en bois emplies de bouteilles de vin devant l’hôtel Carcassonne, à côté du tabac, dont l’entrée se couvrait d’affiches annonçant toute activité culturelle et festive, vestige d’un temps où l’hôtel logeait les intervenants des cabarets disparus des années 50-60 comme Le cheval D’or, et les palissades de chantier aux passages protégés pour piéton.

La rue avait déjà subie différentes restructurations, les tranchées étaient permanentes et les chantiers s’étendaient derrière chaque petit passage traversant les devantures d’un magasin de carte postale et de journaux, face à la menuiserie artisanale issue d’un siècle plus ancien et vouée à la disparition, sise aux côté d’une parfumerie soins de beauté pour les plus fortunés.

Parfois Arthur enjambait la palissade de chantier, trouvait un trou dans une façade lézardée et murée, filait aux toits par tous moyens d’escalade dont l’échafaudage au repos était le plus pratique, lorsque les ouvriers étaient à la pose déjeuner, en moins d’une minute Arthur pouvait admirer au loin le dôme du Panthéon, depuis les courettes, jardinets intérieurs.

Vince Taylor était en 1974 clochard à la Contrescarpe et rendait de menus services à un restaurateur du coin, on revendiquait que le travail de reconstruction des taudis soit donné aux habitants, pochards vertueux, la petitesse des chambrées et la promiscuité génère une vie extérieure et des rencontres de bistrot, les logements sont sans eau et les toilettes dans la cour.

Les cours intérieures tout le long de la rue, masquées à la vue par un portail banal, étaient des jardins miniatures ayant recouvert les tas d’immondices issus des différentes rénovations précédentes et alentour, ils disparaitraient, comme rue Ortolan au profit d’immeubles pour nouvelle population aisée, achetés plusieurs millions d’anciens francs, hors de portée générale.

Les lycéens et étudiants qui manifestaient leur opposition à une quelconque réforme Fontanet en descendant la rue Soufflot ou la rue Claude Bernard, afin de faire la jonction entre tous les lycées formateurs d’élites, ne s’aventuraient guère dans ce bas de rue, grouillant encore de hères dévastés, il espéraient la nuit pour consommer dans les caves voutées devenues piano-bar.

Les petites bandes de ce bas de rue, de ceux qui cultivait l’échec scolaire comme une distinction sociale appropriée, futurs apprentis qui deviendraient chômeurs — leur savoir faire validé par leur certificat d’aptitude professionnel, peu à peu supplanté par une machine à commande électronique — descendaient aux arènes de Lutèce, leur terrain de jeu, Arthur suivait.

Tandis que les petits bandits s’escrimaient à valoriser leurs forces physiques autour d’un ballon de caoutchouc, Arthur s’isolait : il avait découvert des planques pour le fruit de ses menus larcins ; des années plus tard il s’en servirait encore, il suffisait d’escalader adroitement les grilles du square Capitan donnant sur la rue de Navarre après la bouche du métro Monge.

Le gardien du square venait fermer les portes d’accès, chassant les chenapans loqueteux et s’engouffrait dans la bouche de métro, il suffisait d’être patient, puis un petite escalade discrète et furtive, en moins de deux minutes la planque était ouverte et refermée, comme si rien n’eut bougé depuis les gladiateurs de l’empereur, ses rapines esquivant tout contrôle parental.

Le matin lorsqu’il était en avance il avait au moins un quart d’heure avant l’arrivée par cette même bouche de métro du gardien, il pouvait déposer son butin le soir, le reprendre au matin, surveillant à l’angle de la rue de Navarre l’apparition ou la disparition de la chevelure grisonnante et crépue du gardien martiniquais, bourru et à cheval sur les horaires.

La planque était des plus sures, rien ne fut jamais retourné ni découvert, Arthur prenait soin d’y espacer ses visites et de les rendre aléatoires, le plus souvent il s’y rendait seul et pouvait surveiller les abords de son coffre fort du haut de l’escalier double de la rue Rollin, le soir après dix neuf heures quand il était relâché des deux heures d’études où il était chaque jour consigné.

Puis il prenait le métro le long de la ligne 7 jusqu’à la porte d’Italie et rentrait dans l’immeuble à loyer modéré en briques ocres, construction des années trente du siècle passé de la RIVP pour loger tous les locataires solvables, capitaines d’armée, instituteurs, autres professions intellectuelles ; l’appartement avait été transmis depuis le grand-père instituteur en 1929.

Durant cette année 1974 il avait semblé aux treize ans récents de Arthur qu’un monde ancien cessait d’exister par asphyxie et que le nouveau ne lui avait guère réservé d’autre place que de suivre les pas de ceux qui s’y opposaient, et c’était les derniers soubresauts d’une époque qui généraient l’espoir d’un changement pour les droits humains des peuples du monde.

En Palestine les feddayin résistaient à l’envahisseur issu d’une extermination massive, cela suscitait débats houleux et coup de poings fracturant dans tous les rangs des extrêmes gauches du monde, interrogeait les pacifismes comme les velléités révolutionnaires violentes ; certains rejoignaient les kibboutz pour changer la société globalement et devenaient colons.

Les images télévisées de cette horrible guerre qui se poursuivait et se pérennisait au travers des décennies avaient marqué à vie Arthur et toute une génération, à peine eut il dix ans que les images en noir et blanc du petit téléviseur nouvellement acheté expliquait Septembre noir, Yasser Arafat, Georges Habache, la résistance palestienne,, le Liban, la Jordanie.

Ainsi le monde sortant d’une guerre mondiale encore dans toutes les mémoires et références était toujours en guerre et les peuples voulaient se libérer des oppressions, Arthur à dix ans avait compris qu’il fallait faire la révolution, défendre les faibles et résister contre les puissants, changer la société et bâtir un monde de justice et de paix, alors il apprenait avidement.

Comment s’y prendre, comment participer à ce mouvement général d’émancipation, des peuples s’étaient levés, avaient combattu, s’étaient libérés et toujours la guerre progressait et les mouvement massifs de l’époque voulaient la paix, la révolution victorieuse au Vietnam avait renvoyé les américains chez eux, les portugais avaient renversé leur dictature, c’était 1974.

Les puissances s’entendaient pour réguler les prix du pétrole dont l’approvisionnement devenait primordial pour toutes les nations et le contrôle générerait toutes le guerres à venir, sa production détruirait des pans entiers de territoires et sa consommation polluerait toute l’atmosphère : toute une civilisation mondiale se construirait autour de rond point commerciaux.

Les villes du monde prenaient une autre allure de blocs gigantesques de béton et de verre, La tour Italie venait d’ouvrir ses portes à ses nouveaux occupants, tous d’une aisance financière et professionnelle inconnue du quartier jusqu’alors, les travailleurs italiens et algériens expulsés et les employés des professions supérieures attirées par la visite des appartements témoins.

Arthur chercha donc à rendre service aux révolutionnaires anarchistes, il était un lecteur régulier de Front libertaire des luttes de classes le journal de l’O.R.A. et demandait toujours ce qu’il pouvait faire pour agir :

— Tu es trop jeune pour venir aux réunions et trop jeune pour les manifestations et la plupart des actions, mais tu peux passer inaperçu…

— Oui, bien sûr en quoi cela peut être utile ?

— Nous sommes souvent surveillés par la police, des policiers déguisés en militants gauchistes ou en marginaux, ce qui nous gène pour aller à certains endroits, on n’a pas envie qu’ils sachent tout de nous, un moyen de les empêcher de connaître toutes nos allées et venues est d’utiliser des gens qu’ils ne connaissent pas parce qu’ils ne les ont jamais vus nul part où l’on fait de la politique et un petit lycéen dégourdi comme toi est assez idéal, des fois cela peut simplement être de porter une lettre ou un tract, discrètement d’un endroit à un autre dont on n’a pas envie que les flics sachent qu’ils sont en relation. Tu as entendu parler de la répression que les fascistes font subir aux militants…

— Quand ils ont torturé et garroté Puig Antich au début de l’année…

— Ils n’ont pas fait que cela, ils en arrêtent tous les jours, tortures et peines de prison, alors beaucoup s’enfuient pour s’organiser ailleurs et continuer leur lutte, nous devons les aider, certains se cachent dans le quartier d’ailleurs, nous devons être solidaires de tous ceux qui luttent, moi je ne serai pas là cet été, je pars en Italie, j’y ai de la famille, mais il faudrait porter du courrier d’un point à un autre, tu passes par la rue Lacépède souvent tu m’as dit…

— En effet, c’est le parcours obligatoire du matin, mon père me surveille régulièrement de loin que je ne passe pas par la rue Mouffetard où il y a tous ces voyous…

— Bon, c’est simple, quelqu’un te donnera une lettre ou un paquet, que tu mettras dans ton cartable et dans la rue il y a une plaque au nom d’un avocat Maitre De Felice, des clandestins doivent lui écrire et recevoir des réponses, et communiquer avec ceux qui sont en prison, tu ne devras jamais savoir qui te donne la lettre ou le paquet et bien entendu comme on sait dans la rue que nous nous voyons souvent cela ne peut pas être moi, d’autant que je vais m’occuper des relations avec les Italiens, on va se voir moins souvent, quand tu seras insoumis ou déserteur on te soutiendra, c’est assez simple et ne fait courir aucun risque, tu as toujours tes planques aux arènes ?

— Oui, j’en ai trois personne n’a jamais rien vu…

— On n’a besoin que d’une où ton cartable pourrait rentrer…

— J’ai…

— Je vais t’offrir un bon goûter qu’on ira déguster aux arènes, pendant que je te ferai réviser une leçon tu me la montreras, ensuite je te montrerai à un contact pour qu’il te voie de loin… tu passeras à ta planque régulièrement, s’il y a quelque chose tu le déposes chez l’avocat… comme cela aucun contact du réseau n’est vu aller et venir chez l’avocat qui est surveillé, et toi tu entres avec ton cartable sur le dos, jamais avec le paquet à la main, comme si tu allais chez quelqu’un, et tu ne déposes qu’en ressortant, si l’avocat veut transmettre quelque chose il t’arrêtera dans l’escalier, tu fais cela à ta sortie du lycée, tu récupères le midi et tu déposes le soir en rentrant chez toi…

— Ça a l’air simple.

Arthur devint le petit facteur, c’était à sa mesure, qui se méfierait d’un petit lycéen allant voir un camarade de classe dans un immeuble dont le deuxième étage servait de cabinet à un avocat défendant les résistants des derniers régimes ouvertement fascistes, il fallait juste que ce ne soit pas trop régulier mais les militants devaient savoir ce qui était bon ou non.

Gégé avait mis en garde Arthur contre les dérives qui pouvaient faire le jeu de l’adversaire, Front libertaire avait sorti un article en Mars 1974, numéro où était rendu hommage au jeune militant garroté Puig Antig : Stratégie de la tension dans lequel les militants analysaient la façon dont des actes violents isolés étaient utilisés par les pouvoirs pour renforcer leur Ordre.

Depuis quelque temps un mystérieux isolé ou groupe incendiait des voitures de marque Méhari dont la carrosserie en plastique flambait entièrement, durant l'automne et l’hiver 73/74, 63 de ces véhicules brûlèrent la nuit dans Paris, la dernière ayant brûlé dans la nuit du 8 au 9 février 1974 et avait entraîné un mort par intoxication, le pyromane ne fut jamais arrêté.

Ce genre de fait divers ravissait Arthur qui se serait bien vu armé d’un briquet vengeur afin que s’achèvent son ennui et son sentiment d’inutilité, mais désormais il avait une tache à accomplir, une mission : aider les camarades recherchés à communiquer entre eux, ainsi la honte ressentie des mensonges, secrets et larcins imposés par son frère laisserait place à de la fierté.

Fini ennuis et turpitudes, il serait le facteur comme son grand-père durant la guerre, il réunirait les hommes et les femmes que l’on contraignait à vivre séparés et cachés, ses dissimulations et ses feintes seraient esquives anoblissantes, son frère avait demandé à être placé dans un internat dans le Jura, il ne l’aurait plus sur le dos, ne serait plus obligé de voler pour lui.

Le surnom du grand père maternel était longtemps resté le facteur du maquis, le grand père, lui, n’en n’avait jamais parlé, ne s’en n’était jamais vanté, il rendait service à des hommes pourchassés, leur amenait les vivres que des paysans complices lui confiait, c’était l’État Major des résistants qui avaient forcé les lignes allemandes, libérant les leurs à la bataille de Donzy.

Chef des Francs tireurs et partisans Nièvre et Cher, mort au combat sur le front des Vosges le 14 novembre 1944 à l'âge de 20 ans, Roland Champenier avait installé son état-major sur la commune de Nolay dans l'été 1944 à Courtois et Prunevaux dans les forêts bordant Chauprix ; armé de la bicyclette de la poste, le grand-père avait fait les liaisons et le ravitaillement.

C’était donc de tradition, tant que toutes les formes de fascisme n’aurait disparues il faudrait résister et aider les combattants, à chacun selon ses moyens, à treize ans Arthur ne pouvait mieux rendre service, cela ne lui coutait presque rien, ni temps ni apprentissage, comme un jeu de cache-cache secret, plus utile que de monter sur les toits voir le petit monde de haut.

Arthur affectionnait épier les allées et venues autour de La Mouffe cette MJC que les militants anarchistes et autonomes ne transformèrent pas en base arrière de la révolution équivalent des centres sociaux autogérés italiens qui faisait rêver Gégé lorsqu’il revenait de chez sa famille italienne. Lorsqu’il y eut politisation, celle-ci se fit toujours dans une perspective culturelle, ce qui suscitait l’opposition des militants politiques les plus radicaux, agitateurs.

Les autonomes de l’organisation révolutionnaire n’étaient pas tous d’accord, Arthur pouvait les entendre s’époumoner, entre ce qu’il parvenait à comprendre et ce qu’il complétait par la lecture de Front Libertaire il avait discerné trois avis au moins, ceux qui voulaient composer avec les représentations culturelles considéré comme petites bourgeoises du lieu en les politisant.

D’autre soutenaient les longues grèves des chemins de fer, des postes et des banques s’étoffant dans la durée, enfin certains préféraient le soutien aux luttes d’émancipation des peuples sous le joug des derniers fascismes, la toute jeune révolution portugaise ouvrait un espoir infini, les Lipp s’étaient réappropriés leur production et fonctionnaient en autogestion.

Gégé disait qu’il fallait agir dans toutes les directions sans exclusive sans perdre de vue les possibilités de récupération du pouvoir politique, alors qu’il soutenait les Lipp pour leur réappropriation autogestionnaire, il avait été en désaccord avec la candidature récente de Charles Piaget leur porte parole à la présidence de la république on s’en fout du pouvoir d’État.

Mais Gégé lui disait de rester en retrait, de ne pas se faire voir aux réunions, de ne pas aller aux manifestations, l’extrême jeunesse de Arthur lui était un atout intéressant, au vu de sa précocité politique, mais il ne fallait pas l’exposer à la vue de tous, qu’il puisse rendre des services sans risque soit, mais il n’était pas question d’en faire un gavroche, juste un en mouvement.

— Ta lutte autonome tu la portes en toi dès l’instant que tu es en mouvement et que c’est collectif, mais collectif à la base, faut pas chercher à se faire avaler par les orgas de jeunesse ou chercher à leur plaire, déjà si tu nous rends service et reste discret pour le moment tu ne peux pas faire mieux, pour le reste tu as le contact avec Pierre Selos et puis si tu veux venir au terrain…

Arthur se préparait aux vacances scolaires, selon le calendrier de ses allers retours entre Paris et les lieux de vacances programmés par ses parents il serait au moins trois périodes de quelques jours en mesure de faire le courrier ainsi qu’il avait été convenu, la première livraison s’était bien passée, le paquet avait la forme d’un dossier clos de kraft et scotch d’emballage.

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