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Publié par Christian Hivert

Tout le temps des préparatifs, Arthur ne revit plus jamais ces adorables Gens Bons, pour le jour J, il rameuta tous les collectifs autonomes connus, les antifascistes et les réfractaires à l’armée dont il faisait partie, le militant culturel faisait de même avec ses contacts.

Dans la nuit précédant l’ouverture, le camion de livraison d’un complice d’Arthur fut garé sous une fenêtre de l’immeuble convoité, du toit du camion il suffit d’un coup de rein et un rétablissement sur le rebord de la fenêtre ouverte d’un vieil appartement, puis du travail de nuit.

Au petit matin, tous les appartements sont ouverts et les serrures sont changées, l’électricité est vétuste, mais elle fonctionne, une demande collective sera faite, la plomberie sera examinée en plein jour, les futurs occupants arrivent par grappes, l’installation commence, c’est la joie.

L’occupation du 67, rue des Vignoles deviendra le coeur de la lutte sur le logement des années 80, tout ce que Paris compte comme militant autonome ou révolutionnaire passe aux nouvelles, le charivari des origines tarde à se calmer, les jeunes sans travail se mêlent aux travailleurs.

Les associations des Gens Bons ne tardent pas à faire savoir qu’elles ne contrôlent en rien l’opération, et que des irresponsables instrumentalisent dans un sens de radicalisation politique la misère des familles, ils ne sont plus sinistrés, on leur ouvre des dossiers, les organise.

Les Gens Bons voulaient bien que des pauvres squattent, mais sans bruit, sans banderoles, sans revendications, la vue de la misère est moins dure à supporter lorsqu’elle se cache honteuse dans des taudis de plus en plus loin de leur quartier, dont on souhaite la rénovation.

Les Gens Bons pensaient que les pauvres avaient besoin de porte-parole, qu’il fallait organiser des tours de nettoyage des escaliers, organiser des collectes de vêtements usagés, gérer les dossiers des familles, faire l’appel par ordre alphabétique, fournir des couvertures.

Les Gens Bons n’aimaient pas les assemblées générales, ils préféraient même qu’il n’y ait pas de réunion du tout avant une prise de décision, ils auraient voulu qu’il n’y ait qu’un seul chef, toujours le même, et que tout le monde se tienne tranquille, ne pas changer le monde.

C’est à partir de la création du Comité des Mal Logés que la fumée des rumeurs prend feu, les Gens Bons ne veulent pas que des enfants et leurs parents dorment à la rue, mais ils ne veulent pas que l’on prenne trop l’habitude de se servir soimême de ce dont on a besoin.

L’assistante sociale de secteur s’en était prise à Arthur, il n’y a plus de place dans cet immeuble si on ne veut pas entasser les habitants comme dans un taudis de marchands de sommeil, si on veut rester décent, la seule solution pour loger tous ceux pour qui il est urgent est d’ouvrir un nouvel immeuble.

Les Gens Bons alors, par le relais de leurs partis politiques d’appartenance, n’avaient de cesse de stigmatiser l’activité de tous les fondateurs du Comité des Mal-Logés, activistes et squatters professionnels manipulant les pauvres familles, instrumentalisant leur misère. I

l eut fallu savoir répondre à l’urgence des conditions immondes de logement de certains sans pour autant revendiquer, sans faire de critique d’un système politique se satisfaisant de la situation sordide, savoir être pauvre sans en vouloir aux riches, en ayant l’air moins pauvres.

Des travailleurs avec des métiers réguliers sont privés de logements décents, donc des droits essentiels de toute famille à vivre en harmonie et dans le confort le plus récent, ils sont rejoints par de jeunes chômeurs, c’est une manipulation s’ils occupent ensemble le même immeuble.

Certains Gens Bons ont des relais dans des associations très en vue des pouvoirs politiques nationaux ou locaux, le programme de ces grands responsables de l’état des choses propose des solutions, refusées par ces travailleurs manipulés, mais comprenez, on ne peut plus construire de logements sociaux.

La presse lue par les Gens Bons fourmillait de projets pour les mal-logés en tout genre, les jeunes travailleurs iraient dans les anciens foyers désaffectés des travailleurs immigrés, rénovés, et les travailleurs immigrés iraient, tout cela était si parfait sur le papier.

Les associations caritatives que les Gens Bons soutenaient réhabiliteraient des immeubles vacants et les géreraient, logeant ainsi des pauvres recalés du système du logement social, le temps nécessaire aux projets de promotion immobilière pour aboutir, ensuite ils iraient, le bail devra être glissant.

L’état mettrait à disposition des terrains lui appartenant à la périphérie des grandes villes, hors zone de promotion immobilière, pour y installer des villages de baraques préfabriquées, y logeront tous les rescapés d’ailleurs, tous en attente de partout, les refusés aux droits fondamentaux.

Tout cela était parfaitement bien prévu, bien avant que le moindre comité des mallogés ne fasse son apparition, bien avant que tant de logements sociaux vacants ne soient soumis à la populaire réquisition des mal-logés après approbation de leur assemblée générale, quel affront.

Les Gens Bons ne voulurent jamais de ce comité osant prendre ses décisions en assemblée générale où chaque voix comptait et pouvait s’exprimer, ils tentèrent d’en prendre la direction et d’empêcher les occupations d’HLM, il y en eut cent et plus, et il n’y eut jamais ni responsable ni porte-parole.

La rumeur s’enfla de colère et de sous-entendus nauséabonds, Arthur et ses compagnons n’avaient rien d’autre à faire que d’être toujours présents pour organiser une nouvelle occupation, dans le dessin inavoué de faire déraper l’histoire sur un terrain politique, bien sûr.

Les Gens Bons ne voulaient pas que ces pauvres obtiennent les mêmes droits sociaux dont eux-mêmes seraient bientôt déshérités, ils ne voulaient pas croire aux intentions maléfiques des gestionnaires de l’immobilier, producteurs de misère sociale étendue, c’était il y a vingt ans.

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