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Publié par Christian Hivert

Fugues en solo mineur

*/*

Les forts agissent tel qu’ils le veulent, et les faibles souffrent tel qu’ils le doivent ! disait Thucydide. Arthur ne voulait pas être fort et ne plus souffrir, la médiocrité constante d’intention des forts et des puissants l’avait à jamais dégoûté d’avoir à se mêler aux allées gadoueuses de leur pouvoir. Il fallait résister, il fallait créer ; lutter toujours et oser vaincre !

L'idée la plus fascinante est celle de l'émergence de comportements à partir des propriétés internes et externes du système, sous l'influence des contraintes qui le constituent ou qui pèsent sur lui, sans aucune programmation ou planification préalable : ce qui est en informatique et créateur d’autonomismes scientifiques serait interdit à l’humain vivant en société ?

Arthur avait quelques jours avant qu’on ne l’envoie en séjour chez une vieille tante à Chablis y passer un peu du temps dévolu aux vacances scolaires, les lycées n’étaient encore fermés, les grandes classes patientaient dans l’incertitude après leurs résultats d’examen, le cinéma de la rue Bainville passait 2001 Odyssée de l’espace, il avait du temps pour flâner.

Les couillus du quartier, ceux qui avaient quitté les culottes courtes, qui se pavanaient en pantalons pattes d’ef si caractéristiques des années d’après 1968 chez toutes les jeunesses du monde, passaient un moment au bar tabac de l’angle de la rue Descartes et de la rue Clovis, les lycéens d’Henri IV croisaient les polytechniciens et les nomades de la Mouffe.

Ce bar tabac servait à donner rendez-vous à quelque personne étrangère au quartier, venant de la Maube pour aller se la couler dans la Mouffe à la recherche d’un bon plat crétois ou grec, aperçu d’un de ces voyages qui embrumaient les têtes et les chevelures, faisaient fourmiller les envies de marches les plus longues, tous se rêvaient globe-trotter.

— C’est simple, tu sors à Maubert, tu vas pas vers la Mutu, mais quand tu l’as à ta droite, tu files en face et tu grimpes la Montagne Sainte Geneviève jusqu’à Polytechnique, c’est juste là à l’angle : Au Roi Clovis c’est facile, y a encore des marques anciennes sous la peinture : Tabac – vins – liqueurs, si j’y suis pas tu laisses un message pour moi.

Le lieu désormais est un immeuble dernier cri hébergeant des sociétés savantes comme la Société des Agrégés de l’Université ou la petite librairie-atelier l’émoi des mots à l’emplacement même de l’antique débit de boisson et tabac, cela fait tout de suite beaucoup plus sage de l’extérieur, Arthur n’y retrouverait plus le charme de l'agitation estudiantine.

Dans les années 70 c’était un rescapé vivant d’une époque ancienne, sur la façade côté rue Clovis était indiqué en milieu de la façade de bois Au Roi Clovis cabaret historique des quatre sergents de la Rochelle, les lettres peintes montraient clairement la superposition des âges, cela avait été moult fois refait, mais l’intérieur était de l’époque récente, à neuf.

Fréderic, son frère, donnait rendez vous à Arthur devant le comptoir de vente de cigarettes, derrière le billard électrique, les jours où il lui demandait de dévaliser les poches de ses camarades nantis et Arthur se pliait aux ordres, n’avait jamais réussi à s’y soustraire, en gardait le secret alourdissant, en était malheureux muet, muré dans l’infamie salissante.

Arthur mettrait toute une partie de sa jeune vie au service de l’énergie nécessaire pour échapper aux injonctions immorales de celui qu’on lui disait frère, un jour il pourrait, un jour il dirait non, un jour il serait suffisamment grand pour refuser, un jour il pourrait tout dire de sa vie, un jour il n’aurait plus besoin de mentir, un jour simplement il serait lui-même.

En attendant il rusait, effilochait sa morale, se trouvait des excuses, gérait sa terreur de chaque vol et de ses conséquences s’il eut été pris : la somme rançonnée par Fréderic devait être remise Au Roi Clovis où Arthur ne devait se trouver plus que de passage étant donné son jeune âge, les surveillants du Lycée Henri IV éloignant les plus jeunes des envies de bar.

Où se trouvait donc l’enfant qui tira une balle de revolver sur le Général Boulanger n’étant encore que colonel, assis à califourchon sur une botte, enseigne de la devanture d’un cordonnier, l’enfant fut abattu, le colonel blessé, mais la botte avait elle survécu au temps, ou bien cela faisait il parti des choses disparues, happées par la rénovation grignotante de la rue.

A la gueule des poteries roses de cheminée, plaquant son oreille Arthur s’amusait à entendre ce qui se passait dans les appartements : tentait de démêler les bruits assourdis, captait les voix et se les rendait intelligibles, voulait comprendre ce que les gens vivaient, imaginait les individus, leurs habits, leur trombine ; souvent les langues étaient étrangères.

Prenant garde que la divine clé dérobée au surveillant du Lycée — et qui lui permettait tant d’excursions illicites dans tout les recoins des venelles attachées à cette antique voie romaine en cours de rénovations sporadiques — ne s’échappa de ses poches, parfois il la cachait dans le lierre montant de la petite arche verdoyante d’une courette intérieure de taudis ancien.

Il prenait sa respiration et regardait le ciel, passait les nuages et ses envies d’orages — il eut voulu des désastres massifs et définitifs pour abolir son ennui et son dégoût du monde, toutes les discussions enfiévrées et les débats vociférés entendus Au Roi Clovis n’y changeraient rien —, puis agrippant quelque ferraille de maintien du lierre filait au toit.

L’escalade lui dénouait les tripes un temps, il sentait ses hormones fluctuer, prenant garde que la moindre trace ou écorchure n’imprime à ses vêtements une marque de dénonciation de ses activités, il grimpait comme un singe avait rigolé un jour Gégé qui l’avait surpris, provoquant en lui une frayeur si jouissive qu’il en joua encore et encore des années durant.

Du haut de ses toits arpentés, fugue après fugue, il voyait au loin l’avancée des travaux de construction des tours du treizième d’ordinaire masquée aux yeux des riverains piétons par de hautes palissades supports de publicité pour les produits industriels les plus récents, machines à laver, aspirateurs, électroménager, censé évoquer l’obligatoire confort de la modernité.

Tandis que bribe d’histoire de pauvres par bribe de misères des immeubles étaient vidés de tout taudis, — où s’entassaient moult familles nombreuses dans des meublés hors de prix —, détruits et prenaient place d’incongrues façades aux larges fenêtres modernes que viendraient acheter quatre à cinq familles, chacune leur appartement neuf, à crédit sur vingt ans.

Arthur était curieux, il eut voulut tout savoir, tout connaître de ceux qui étaient retirés à la vie du quartier, de ceux qui prenaient leur place et lieu de vie quelques années plus tard, lorsque la palissade sur rue couvertes de panneaux publicitaires géants laissaient enfin voir le résultat des années de chantier bruyant de marteaux pneumatiques et autres perceuses à percussion.

Arthur écoutait beaucoup les conversations des autres, les buvait tel un assoiffé, s’impatientait de vivre aussi une des ces vies racontées, voir toutes un peu pourquoi pas, le son des voix monte et Arthur était sur un toit trois ou quatre étages plus haut, la rue était bruyante, mais les automobilistes peu nombreux encore en cette époque évitaient de s’y perdre.

En effet ils n’auraient pu arriver à l’heure, seuls ceux qui s’engageaient dans ce ventre de Paris qu’était la rue Mouffetard étaient ceux qui avaient quelque chose à y livrer ou à venir enlever, achalandant ainsi depuis tôt le matin jusqu’aux heures des fêtards nocturnes venant animer les derniers cabarets et les premiers piano bars, et rivaliser avec quelque irlandais rebelle au royaume.

Aussi Arthur s’emplissait de bribes de discussion anonyme, parfois Gégé avec ses potes militants commentaient la réunion qu’ils venaient de quitter à la Maison Pour Tous, face à l’angle de la Garde Républicaine, où les gardes à cheval tous les matins aboutissaient, venant de Masséna, après avoir remonté en deux rangs impeccables l’avenue d’Italie suivie des Gobelins.

La caserne possédait deux large portes monumentales à deux ventaux, l’une non loin du repaire d’anarchistes et d’artistes de La Maison Pour Tous et l’autre donnant sur la place Monge, parallèle à la rue Mouffetard, Arthur voyait donc l’enfilade des box de chevaux, la grande allée menant d’une ouverture l’autre et les gardes de service, le début de la rue Ortolan.

Il se faufilait, se dépêchait, regardait sa montre, ne pas être en retard au cours, arriver dans la cour du petit lycée avant la sonnerie, jusqu’à la petite porte du 1 rue Clothilde, dont la clé reposait sous le lierre, il en avait pour à peine 7 petites minutes, moins s’il courait, le surveillant concierge disparaissant de sa guérite quelque temps durant les interclasses, puis le couloir.

S’il se faisait surprendre, il pouvait dire : que la porte était ouverte et qu’il voulait admirer l’arrière du Panthéon, qu’il revenait du réfectoire où il avait oublié sa serviette, qu’il venait d’entrer par la rue Clovis, tout dépendait de l’heure et des autorisations, de la personne qui posait la question, Arthur étant demi-pensionnaire, il n’avait pas d’autorisation de sortie.

Parfois Gégé l’apostrophait en le voyant sortir de la courette de l’immeuble dont les fenêtres étaient presque toutes murées sur rue, il aimait bien le charrier, l’espièglerie et la débrouillardise d’Arthur l’émoustillait, voyait il en lui un futur militant, il lui avait déjà conseillé la lecture de Front libertaire des luttes de classe, le canard communiste libertaire de l’O.R.A.

— Et tu le laisses dans ton cartable, tu le lis pas devant tout le monde, à Henri IV ils vont te charcler ces petits bourges de merde, s’ils savent que tu t’informes petit…

— N’aie crainte Gégé, je planque tout, je dis rien, si jamais t’as besoin de mes services, je suis muet comme une tombe, mais sous la torture j’avoue tout ce qui n’est pas vrai, demande à Pierre Selos, y m’connais…

— Je t’ai vu sortir du Roi Clovis hier, qu’est-ce que t’y foutais, tu vas quand même pas voir ces putes de trotskistes qui appellent à voter pour cette salope de la cagoule de la Nièvre…

— T’en fais pas Mitterrand on le connaît dans la Nièvre, il a toujours été à droite, c’est l’ennemi de toute la famille coco…

— Gare aux staliniens bandit ils ont signé le programme commun, ils ont voté pour la cagoule socialiste au deuxième tour.

C’était peu après les présidentielles de 1974, après la mort du banquier Pompidou, Arthur savait qu’il allait changer de lycée à la rentrée, laissant les trotskos de polytechnique s’empailler avec les maos d’Henri IV Au Roi Clovis où il n’entrait que pour alimenter son frère Fréderic avec le produit de ses rapines, l’impôt révolutionnaire avait dit Gégé quand il avait su.

— Il est quand même crado ton frangin, j’irai bien lui foutre un taquet mais ça retomberait sur toi, prends ton mal en patience mais méfie toi des ces putes qui font réunion dans l’arrière salle du Roi Clovis, dès leurs études finies ils deviendront ministres et adieu prolétariat, c’est des putes bourgeoises, prends le bigot de la Mouffe : (Gob)elin 59 77 ; Arthur était son protégé.

Le fait de savoir qu’il lui suffisait d’appeler ce numéro de téléphone et de demander après Gégé en cas de problème l’avait non seulement rassuré mais lui avait donné une petite importance qui lui faisait cruellement défaut, pouvaient bien pleuvoir les quolibets de son frère et ses méchancetés dominatrices, il avait la clé du Lycée, ses planques aux arènes et l’amitié de Gégé.

Élté parfois se joignait à ses escapades en tant que rebelle si sage, point d’escalade ni de rapine ces jours, un sage goûter dans une pâtisserie tunisienne et un thé dans un des appartements flambants neufs de la rue Claude Bernard les après midis où une mère honnie n’y était point ; celle là un jour je vais lui balancer un coup de pied dans l’entre cuisse…

La violence du propos avait choqué Arthur, Élté n’avait d’exubérance que créatrice lorsqu’avec François son complice il mettait toute la cour du petit lycée en émoi et mouvement avec des sketch impromptus mettant en scène les épisodes de leurs super héros américains dont leur préféré Spiderman, son père l’avait abandonné et sa mère était une sale conne nombriliste.

Arthur n’en n’avait jamais su plus, le garçonnet Élté se confiait peu et conservait ses réflexions derrière ses sombres yeux presque recouverts de la frange d’une opulente chevelure longue et blonde, mais tout son langage et sa manière de s’exprimer indiquait un haut niveau de connaissance, il était le cancre cultivé dans l’adolescence d’une destinée riche.

Mais l’été arrivait, Arthur quittait enfin ce Lycée de fils des maitres, fielleux et méchants, sûrs de leur caste, sachant leur chemin tracé, certain de leur carrière professionnelle future, connaissant ou apprenant tous les codes et attitudes leur garantissant l’accès immédiat à l’exclusivité des avantages sociaux réservés à l’Élite de toutes les nations exterminatrices.

Reverrait-il Élté et Pierre ? Élté déjà semblait le fuir, la rébellion de Arthur n’était pas assez disciplinée ou créative, Élté n’aimait pas suivre Arthur dans les venelles, prenait peur lorsqu’une vieille voix cassée les hélait d’une porte de bois vermoulu petit petite filez à l’hôtel Carcassonne de la part de Ginette et ramenez moi un litre étoilé de rouge, je suis en compte.

Élté lui avait fait franchir les boulevards, avenues et rues cossues, Claude Bernard, Gobelins, Ulm, voulait l’éloigner de cette plèbe résiduelle qu’il ressentait menaçante, résidente dans le quartier en voie de démolition Lhomond, Tournefort, Mouffetard : abris des résistants de toutes guerres et répressions, leurs dernières caches devenaient terrains vagues puis Résidence…

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