SUR LE TÉRRITOIRE DU TRÉPONÈME BLEU PÂLE
« Demain rêve encore ça t’aidera » Le mot d’ordre reste… actuel (plus que jamais !!!)
Et la photo est publique prise sur
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Christian Hivert
Auteur de « Les chevaliers ivres »
Livre 1 : Kahina de Belleville
Livre 2 : Destin majeur
Livre 3 : Bistrots
m.lestrat@infonie.fr
Qui dira un jour la respiration si particulière du Quartier Latin dans les années 70 du siècle dernier ? Pourquoi, à ce point, en le traversant du sud au nord — par l’emprunt de la rue Mouffetard jusqu’à sa glissade le long de la Montagne Sainte Geneviève — des bribes d’histoire et de tumulte insolent habitaient si sensiblement chacune de ses poussières ?
Arthur n’était pas encore né, il n’avait tout simplement pas encore été créé, il existait à peine ! Il prendrait sa naissance en faisant le mur, plutôt que d’étudier sagement à « Henri IV » ce que pouvaient bien enseigner les fleurons du docte encadrement, s’adressant aux cohortes si finement éduquées d’enfant-rois de la bourgeoisie de ces marches de l’Empire.
Arthur n’était pas né. Il y avait là Élté — c’était un surnom : un môme, enjoué pour ne pas montrer au monde quels étaient ses pleurs et ses solitudes — d’un couple désuni dans une époque qui en sanctionnait la rareté, dont la voix et son emploi microsillonné fut confié à Pierre Selos pour l’enregistrement de ses deux derniers disques autoproduits.
Dans le « petit Lycée Henri IV » aux odeurs de classe embaumant le papier jauni et la poussière historique des vieilles peintures grisâtres, Christian n’était pas encore né en Arthur, n’avait pas la conscience de ce que seraient ses lendemains et ses chants d’espoir ; Christian qui n’avait pas de copains, dont tous s’écartaient comme d’un pauvre chez des princes !
Nul ne sut jamais quand naquit Arthur, ni lorsqu’il trouva existence et conscience ; comme une particule non massive, il n’avait trouvé de support pour y laisser sa trace et ainsi révéler sa substance. Christian était seul et intéressa Elté qui lui fit rencontrer ce chanteur non conformiste dont le show-biseness boudait la performance : Pierre Selos.
C’était bien parce qu’il était seul et à part « des autres cons de petits bourges et fils à papa » qu’il intéressa Elté, à l’époque petit garçonnet à la tête rêveuse de l’enfant célébré par les poètes, né au milieu de l’antique territoire insoumis des Villon et autres bohêmes tapageuses et adolescentes comme Rimbaud sut en être l’emblème vivant : le dernier ?
C’était en 1972, 73, 74, et les deux garçonnets s’essayaient à des postures adultes en tentant de dépasser leur latence adolescente — qui leur était comme une mauvaise blague —, au milieu de cette agitation constante du quartier insoumis où ils passaient leurs journées libres, et toutes les heures dérobées au planning officiel et strict de l’éducation nationale.
Ils auraient quarante ans en l’an 2000 et l’on n’imaginait pas encore pouvoir vivre après quatre-vingts ans, et l’on imaginait l’an 2000 au travers des bandes dessinées futuristes produites à foison par l’Oncle Sam ! Aussi ils avaient chacun leurs super-héros, aux couleurs de l’arc en ciel. Les beatniks revenaient de Katmandou et trainaient partout leur étrangeté.
Arthur et Elté avaient quelques souhaits à émettre avant que la science des sorciers puissants — qui commençaient à bousculer l’atome et les matières particulaires — ne les télé-transportent sur des planètes variées dont l’existence était toute théorique ; en attendant, pour se joindre, ils composaient des numéros fixes comme ITA(lie) 58 39 sur de la bakélite noire.
De cette étrangeté — fondatrice du rejet subit de leurs petits camarades arrogants de classe — ils tiraient des fiertés diverses : leur éveil au monde et à ses diversités était du coup plus précoce ! Leurs amis — autour de Pierre Selos — faisaient près du double de leur âge, avaient vécu sur d’autres rives que les leurs ; eux sortaient de l’enfance et des rêves et des pleurs.
Du franchissement d’un pont ils avaient l’âge, pourtant précoce et l’envie surtout, de l’interrompre en chemin, de ne pas voir cette autre rive monstrueuse, tueuse. Vingt-cinq ans après une guerre terrible, ils baignaient dans la conscience imparfaite que cette horrible monstruosité continuait, n’avait jamais cessé : les collabos gouvernaient toujours.
Pierre Selos avait été à l’écoute — il avait l’oreille disponible aux plus jeunes voix — et nul ne saura jamais son efficacité, mais Elté et Arthur franchirent chacun leur pont et les heures sombres de leurs adolescences abandoniques, cessèrent de se demander comment l’on meure noyé, s’il fait froid, si cela fait mal, si cela dure longtemps ; si la mort est fidèle ?
Alors Elté suivait Arthur dans ses inexistences, et Arthur suivait Elté dans ses apparences, et Christian avait du mal a suivre : il était cet autre qui n’était pas lui, il ne le savait pas être lui ; Arthur voyait tous ces chevaliers bariolés, colorés, joviaux et ivres, souhaitait en être un jour, Elté faisait apparaître comme par magie théâtrale toute les séries de super-héros.
Christian n’était pas Arthur, le serait-il jamais, lorsque l’on n’est que soi-même et que l’on ne se sent rien être ? Il sortait parfois de ce rôle dont on lui demandait de chaque jour s’habiller et explorait routes et chemins en dehors des sentiers balisés ; dans ce quartier il ne cessait d’en découvrir de nouveaux, il s’entrainait à disparaître sans que cela ne se remarque !