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Publié par Christian Hivert

Un immeuble brûlant

Car tous étaient des travailleurs réguliers, la plupart salariés des services de voirie de la ville ou des services de nettoyage des transports parisiens et devaient habiter Paris pour se rendre à leur travail à l’aube, bien avant le départ du premier métro, cela même n’était pas suffisant.

 

À l’approche des grands froids, aucun relogement stable et garanti n’avait été débloqué, les Gens Bons pourtant s’étaient émus, réunis, assemblés, avaient débattu, interpellé, manifesté, rien n’y fit, les enfants scolarisés dormiraient chez leurs camarades d’école.

 

La précarité ne pouvait durer indéfiniment, un des responsables auto proclamé du squat associatif, culturel et artistique, expulsé de la rue des Pyrénées deux ans auparavant, était toujours présent dans ce dernier petit village pauvre et populaire de Paris, il cherchait un rôle.

 

Il fit appel à Arthur, en raison de ses connaissances et de son efficacité reconnue dans la pratique de l’ouverture de squat, et le fit venir à une réunion très secrète, au premier étage d’un bistrot associatif, La mouette rieuse, place de la Réunion, au coeur d’un quartier populaire.

 

Sur le chemin pour s’y rendre, il frissonnait d’excitation, quelque chose allait se passer, les Gens Bons avaient adopté la mine soucieuse seyante à des conspirateurs et chuchotaient pour ne pas se faire entendre, leur heure était grave, Arthur sourit, pour une fois.

 

Les Gens Bons ont un rapport assez particulier avec la loi, ils la respectent parce qu’ils sont bons, mais ils tremblent d’envie de l’enfreindre lorsqu’elle les contraint, en secret ils sont admiratifs pour les voyous osant la transgresser, mais ne dîneraient pas avec eux.

 

Heureusement, ils ont toujours les moyens d’échapper à cette tentation, n’ayant ni faim, ni froid, jouissant d’une qualité de vie paisible et d’un capital de considération dû à leurs mérites, sans conteste, ils pouvaient frissonner devant l’aventure, ce n’était pas la leur.

 

Mais là, ils tremblaient physiquement, pourtant le lieu était chauffé, on présenta Arthur comme quelqu’un de responsable et d’efficace, compliments plaisants à entendre si ce n’était leur incongruité de la part d’individus habitués à le fuir, à le rendre invisible à leur monde.

 

Arthur eut nettement l’impression d’être le plombier appelé en urgence pour déboucher les toilettes débordantes, il passa outre, il s’agissait de permettre à des travailleurs à la rue de passer l’hiver au chaud avec leurs femmes et leurs enfants,  l’urgence réclamait son efficacité.

 

Face à l’assistante sociale du secteur, l’institutrice de l’école voisine, le responsable du bistrot associatif, le militant culturel, le responsable du MRAP local, le curé de la Paroisse se lança en marmonnant, il faut ouvrir un squat, comme s’il eut dit, ils ne savent ce qu’ils font.

 

Arthur demanda alors où étaient les personnes concernées et quel était leur avis sur la question, et il rappela un principe élémentaire, seules les personnes concernées par l’occupation pouvaient en prendre la responsabilité, et respecter les règles nécessaires de prudence.

 

On lui promit alors que tous les occupants seraient parfaitement conscients des risques, et qu’ils étaient tous d’accord, il fallait seulement ouvrir le maximum de logements d’un coup, un immeuble entier laissé à l’abandon depuis trois ans avait déjà été repéré dans le quartier.

 

Tout le temps des préparatifs, Arthur ne revit plus jamais ces adorables Gens Bons, pour le jour J, il rameuta tous les collectifs autonomes connus, les antifascistes et les réfractaires à l’armée dont il faisait partie, le militant culturel faisait de même avec ses contacts.

 

Dans la nuit précédant l’ouverture, le camion de livraison de Simon, complice d’Arthur  fut garé sous une fenêtre de l’immeuble convoité, du toit du camion il suffit d’un coup de rein et un rétablissement sur le rebord de la fenêtre ouverte d’un vieil appartement, puis du travail de nuit.

 

Au petit matin, tous les appartements sont ouverts et les serrures sont changées, l’électricité est vétuste, mais elle fonctionne, une demande collective sera faite, la plomberie sera examinée en plein jour, les futurs occupants arrivent par grappes, l’installation commence, c’est la joie.

 

Pendant plus d'un mois ce fut la commune effervescente la plus Autonome des vingt dernières années sur Paris, il y eutles Premières rencontres entre militants et familles, les Premières divergences sur les méthodes de gestion de l’espace, Arthur une nouvelle fois s'affronta aux anciens.

 

La majeure partie des familles sinistrées était d'origine malienne ou algérienne, Arthur trouvait qu'il était prétentieux au dernier degré de vouloir apprendre à vivre en commun à ceux dont les règles de vie en commun étaient implantées et fondatrices de leur culture encore villageoise.

 

Dominique aurait bien aimé comprendre ce que Arthur venait chercher dans l'organisation d'un tel lieu, on eut dit qu'ils étaient tous fous, et Arthur eut bien du mal a expliquer ce qu'il faisait là, c'était comme cela, rien n'était jamais vraiment prévu ou programmé, cela arrivait, c'est tout.

 

C'était une libération permanente de la parole et des envies, cela tournait souvent à l'affrontement plus ou moins joué, plus ou moins agressifs des égos présents, au milieu de quoi venaient circuler tous ceux qui avaient besoin de monde en soutien à une opération contestataire de l'ordre établi.

 

Certaines opérations avaient été de gros fiascos, d'autre laissèrent quelques traces indélébiles dans les mémoires les moins alcoolisées du moment, la défonce à toutes sortes de produits dopants faisait office pour certains de passeport et de certificat d'authenticité de son refus total d'intégration.

 

Oui, Arthur devait bien admettre ce détail des plus cruels, il n'y avait là nulle place pour une jeune Dominique Premier en train de finir ses études, parfois il accrochait son profil dans une vitrine réfléchissante, qu'était-il devenu, lui ferait-il peur, lui parlerait-elle en vrai, il en doutait fort.

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