Autonomie virtuelle
Positionnement
La réalité virtuelle implique une interaction forte entre homme et machine. Du point de vue de l'homme, la pertinence d'une réalité virtuelle passe par des notions telles que la crédibilité et la présence. L'énaction peut nous aider à mieux cerner ces notions, nous nous concentrerons, en tant qu'informaticiens, sur les conséquences qu'elles impliquent sur nos modèles: Une réalité virtuelle doit faire preuve de résistance et d'autonomie mais exhiber également régularités et invariances pour favoriser la saisie d'un sens.
Rendre un modèle artificiel autonome est une activité liée à l'intelligence artificielle. Ici, l'énaction peut nous guider car elle aborde les racines biologiques de la notion d'autonomie. L'absence de représentation d'un monde prédonné laisse espérer de pouvoir sortir des écueils de l'intelligence artificielle. Néanmoins, il faut raison garder.
Il semble bien hasardeux d'imaginer des systèmes intelligents même en partant de précepts énactionnistes. Histoire et Culture, outils et écriture ont façonné l'intelligence, l'ont externalisé, les machines n'en sont pas là. Enfin, il subsiste une question importante : celle du sens et de la conscience qu'il faudra bien abordé et scientifiquement et d'un point de vue éthique.
Les naturalistes ne voient pas en quoi la conscience serait le propre du vivant car elle pourrait s'expliquer de façon "mécanique" ou "causale", pour eux, une conscience artificielle n'a rien de choquant. Les phénoménologues s'interdisent une naturalisation si rapide en rappelant que tout analyse fine du fonctionnement du cerveau, n'expliquera pas l'expérience vécue, le "ce que cela fait que de voir du rouge".
Ce débat passionnant est un enjeu majeur qui ne doit orienter nos recherche. Néanmoins, celles ci reste beaucoup plus modestes et même si des liens ont été tissés entre les sciences de l'artificielle et le paradigme de l'énaction, nous séparons deux perspectives scientifiques :
1) La simulation de principes d'autonomie dans l'objectif de leur compréhension. Ici, la vie artificielle ou la robotique évolutionnaire peuvent être convonquées. Une des difficultés est d'articuler la distinction, voir l'opposition entre autonomie et apprentissage. Or, ce dernier semble indispensable pour qu'un modèle puisse co-évoluer avec son environnement, à une échelle ontogénétique.
2) Le développement de systèmes de réalité virtuelle favorisant des processus énactifs chez l'homme. La possibilité ou non d'envisager la co-constitution d'un sens, l'engagement créatif, entre humain et système de réalité virtuelle est alors l'enjeu du développement de modèles de réalité virtuelle.
Quand ces deux perspectives auront été développées, il sera temps de revenir aux questions fondamentales sur le sens et éventuellement sur la possibilité d'oser les croisement entre l'autonomie d'un système artificiel et le sens.
Ouvertes et en cours de développement, ces propositions provisoires doivent simplement être considérées comme une reflexion sur les apports mutuels et réciproques en informatique et sciences cognitives qui sont totalement à réviser dès que l'on adresse un paradigme qui est en opposition avec le computationalisme.
Evidemment, ceci pose de très nombreuses questions mais, la complexité prise dans son ensemble, ainsi que l'ignorance sont des éléments que nous devons d'avantage intégrer dans nos reflexions.
Je suis prudent face à la vitesse actuelle de la recherche, sans doute liée à son mode de fonctionnement. Au temps des "indicateurs", elle ignore le temps de la reflexion et surtout, en oublie vite les leçons passées...
Ceci me rappel une petite citation de Nietzsche : "En vérité, les hommes se sont eux-mêmes donné leur bien et leur mal. En vérité, ils ne les ont pas pris, ils ne les ont pas trouvés, ils ne les ont pas entendus comme un voix descendue du ciel.
C'est l'homme qui a donné de la valeur aux choses, afin de les conserver; c'est lui qui leur a donné un sens - un sens humain ! (...) C'est l'évaluation qui fait des trésors et des joyaux de toutes choses évaluées." Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.
Même s'il est important d'avancer, il faut sans cesse remettre en question la notion de vérité. En cela, je suis sans doute proche d'une vision constructiviste et interactionniste de la recherche elle même.
Jacques Tisseau m'a fait découvrir la pensée de Maturana et Varela avec laquelle j'ai ressentie des affinités même si je n'arriverais pas à l'appréhender entièrement (Varela 1989, Matura & Varela 1992, Varela & al. 1993).
Je l'apprécie sans doute par goût de l'exploration des changements de points de vue et de mode de pensée, de la musique indienne, du lâcher prise, voir du renoncement. En tout cas, c'est une approche subtile et ouverte du monde, couvrant de nos origines biologiques aux enjeux sociétaux et éthiques, en passant par une certaine conception des sciences cognitives et de la connaissance.
En philosophie, j'y ai trouvé echo chez Spinoza avec sa réflexion sur le libre arbitre et même chez Kant qui distingue clairement la représentation que nous avons du monde avec ce qu'il est réellement et qui est inconnaisable. C'est également par le biais de l'énaction que j'ai découvert la phénoménologie.
Celle-ci prétend que les vérités ne sont pas appréhendables séparément de celui qui les perçoit. Elle propose donc d'observer la façon dont nous vivons les faits, "à la première personne", et non de travailler sur les faits eux-mêmes. Varela n'est pas toujours tendre avec les phénoménologues, trop abstraits. Il propose une naturalisation de la phénoménologie.
Le sujet n'est pas simple car il doit aller jusqu'à une proposition concernant la nature de la conscience. Ce qui m'interpelle, c'est la cohérence de l'approche qui en découle : "de la biologie à la conscience" ainsi que l'opposition à l'objectivisme bien résumée par John Stewart (Stewart 1996). Ce dernier en tire une autre leçon sur le rôle de l'homme et du chercheur.
Alors que l'objectivisme rend la recherche "neutre" et le chercheur un simple découvreur d'une réalité pré-donnée, le constructivisme donne au chercheur et à l'homme une responsabilité dans la co-construction des connaissances et de la société. Ces notions sont en raisonnance avec le concept d'épiphylogenèse développé par Bernard Stiegler qui pose la technique comme un moyen d'externaliser notre connaissance et de transmettre celle-ci implicitement de générations en générations.
Sans technique, pas de développement de 'l'intelligence'. Il en déduit d'ailleurs l'impossibilité d'une machine pensante qui devrait pour cela, elle même concevoir des artefacts d'externalisation. Il insiste également sur le danger d'une technique sous le contrôle du capitalisme.
Le rapport avec mes recherches en informatique est simple: Il me semble important de mettre à contribution nos moyens de calcul et de simulation pour tester les hypothèses des sciences cognitives, pour extraire des principes de base de la constitution potentielle de la connaissance. L'énaction nous propose de mettre l'accent sur la notion de systèmes complexes dynamiques couplés et co-voluant pour créer un sens.
L'idée d'intelligence artificielle telle qu'elle fut développée historiquement n'est pas pertinente. En revanche certains chercheurs comme E. Di Paolo argumente sur le fait que l'énaction apporte une proposition sur la constitution même du sens au sein d'un organisme par le biais de ses interactions et de sa dépendance à son environnement.
Au regard des considérations de Stiegler par exemple, je reste très prudent sur la possibilité même d'introduire la notion de sens dans une machine. En plus du problème de l'extériorisation, les aspects métaboliques semblent être des éléments clés dont la restitution dans l'artificiel me semble insurmontable.
Néanmoins, c'est une question brulante et je pense que nous devons tester et montrer la pertinence et la recevabilité de différentes hypothèses. Rappelons que la phénoménologie propose de relier conscience et cognition et que c'est bien le problème fondamental de la conscience qui est sous-jacent à ce type de recherche. Il n'est pas abordé par les autres courants des sciences cognitives.
Enfin, j'ai également le sentiment que la décomposition de nos comportements en éléments simples et en courbes satistiques est le symptôme d'une certaine ignorance et nous amène à confondre normalité et moyenne et à interpréter de façon erronée les données en les séparant d'une histoire. Remettre l'expérience vécue au centre de nos connaissances...
J'y vois des points communs avec l'étude de nos racines biologiques, de notre dépendance à notre environnement matériel, social et culturel, même si cela pose plus de questions que ça ne propose d'affirmations.
Bref, un petit goût pour l'étude de notre condition humaine, du débat philosophique ... mais dans le calme et la sérénité.
Prochainement, j'indiquerais quelques unes des références qui comptent pour moi, à moins que je n'y arrive pas.
Petit résumé personnel sur la phénoménologie.
Petit résumé personnel de l'inscription corporelle de l'esprit
Petit résumé personnel de "action in perception"
Petit résumé de "Autopoiesis, adaptivity, teleology, agency" De Ezequiel A. Di Paolo, Paru dans «Phenomenology and the Cognitive sciences, 4, pp 97-125, 2005.
Résumé de "Participatory Sense-Making, An Enactive Approach to Social Cognition"
Receuil de citations pour appréhender énaction et phénoménologie
Références qui comptent pour moi : à venir.
Références de ce texte :
Maturana H.R. & Varela F.J. (1992) "L'arbre de la connaissance, Racines biologiques de la compréhension humaine". Addison-Wesley.
Kant E. "Prolégomènes à toute métaphysique future qui voudra se présenter comme science."
Stewart J. (1996) "Cognition=life : Implications for higher-level cognition". in Behavioural Process, 35, pp. 311-326.
Varela F.J. (1989) "Autonomie et connaissance, Essai sur le vivant". La couleur des idées, Edition du seuil.
Varela F.J & Thompson E. & Rosch E. (1993) "L'inscription corporelle de l'esprit". La couleur des idées, Edition du seuil.