Sainte Christiane Taubira peut-elle tous nous sauver ?
Et si, face au chaos ambiant, c’était une grande dame de la politique française qui pouvait nous sortir de l’impasse ? Christiane Taubira, notre solution commune ! On y croit dur comme fer, parce qu’il ne s’agit pas de n’importe quelle politicienne ! Qu’en est-il vraiment ? Taubira est-elle la clef pour nous sortir de l’enfer, le phare dans l’inconnu ou encore la lumière dans les ténèbres ? Rien n’est moins sûr.
« C’est un nom qui a la forme d’une bouée de sauvetage pour une gauche en train de se noyer dans les divisions et le manque de visibilité », nous annonce la Charente Libre dans son éditorial du 29 mai. On y apprend aussi que des « pétitions et comités locaux « Taubira 2022″ se montent un peu partout sur les réseaux sociaux ». Le magazineTêtu, ex-journal militant relancé en 2019 par un organisateur des levées de fonds pour le candidat Macron, Albin Serviant, nous sert le même son de cloche ; Taubira serait devenue « le nouveau « safe word » d’une gauche masochiste » et on en veut pour preuve que le journaliste auteur de cet enthousiaste édito aurait constaté qu’une fois son nom prononcé, « mon pote mélenchoniste rangea la faucille, l’amie coco son marteau, le hamoniste conserva l’œil rêveur, une lesbienne leva le poing ».
Bref, Taubira représenterait la possible symbiose de « la gauche », ce concept dont on se méfie à Frustration comme de la peste puisqu’il rassemble des gens qui ont soutenu la destruction du Code du travail et celles et ceux qui luttent pour sortir du capitalisme. Mais quand on parle de Taubira, il n’est jamais question de tout cela. Taubira « incarne », Taubira « a la classe », Taubira écrit et parle bien… Allez, franchement, la magie ne vous saisit-elle pas en entendant son nom ?!
La pétition « Taubira pour 2022 », qui possède son propre site internet, s’adresse directement à la candidate rêvée, déclarant : « Ce qui nous rapproche toutes et tous, c’est sans doute cette sensibilité pour « l’autre », la recherche d’une unité devant celles et ceux qui nous divisent, la solidarité avec les opprimé-e-s, celles et ceux qui sont « tout nus » comme vous le dites souvent. Ce qui nous rapproche, c’est la fidélité à l’humanisme. » D’accord, mais Christiane Taubira incarne-t-elle vraiment tout cela ?
Le mariage pour tous, grand moment de « progressisme » ?
La future potentielle candidate à la présidentielle est d’abord bien connue pour la loi qui porte son nom et qui a étendu la possibilité de se marier, et donc d’adopter, aux couples homosexuels. En 2013, elle a porté, comme ministre de la justice de François Hollande, la seule réforme progressiste engagée par ce gouvernement « de gauche ». C’est, sans doute, ce qui explique le fait que, pour beaucoup, la ministre peut être qualifiée de « courageuse » pour avoir tenue face au million de manifestants de la « manif pour tous » venus des paroisses et des quartiers bourgeois catholiques pour empêcher une telle mesure d’égalité.
Au risque de gâcher la fête, il faut aussi se souvenir que cette période extrêmement pénible et violente pour les personnes bi ou homosexuelles a été étalée dans le temps par un gouvernement qui a tergiversé – le président ayant même évoqué, en réaction à la violence de la contestation, la possibilité pour les maires d’obtenir une « clause de conscience » les libérant de leur devoir de marier des homosexuels. Enfin, l’une des mesures phares promises par le gouvernement, l’extension de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes lesbiennes, a été abandonnée dans la foulée. Les structures régulant l’adoption en France n’ont pas non plus été réformée, de telle sorte qu’il est toujours très improbable, pour un couple homosexuel, de pouvoir adopter : ce sont toujours les conseils de famille qui décident, dans chaque département, et ces instances mettent en œuvre des critères souvent discriminants. Le gouvernement Hollande a aussi renoncé à lutter pleinement contre les stéréotypes de genre et l’homophobie à l’école en reculant sur les ABCD de l’égalité, programme éducatif expérimenté à partir de 2013 et abandonné par le ministre de l’Education de l’époque, Benoît Hamon, en juin 2014, face aux réactions des conservateurs et des catholiques.
Bref, il est largement excessif de faire de la loi Taubira une mesure ultra progressiste, qui a changé la vie des personnes homosexuelles en France. Non seulement le mariage, à lui seul, ne comble pas les inégalités et discriminations existantes, mais en plus les tergiversations du gouvernement « socialiste » où siégeait Christiane Taubira ont largement nourri un mouvement social catholique et conservateur. Ce qui n’a pas été pour déplaire à un gouvernement qui a mené dès le début de son mandat une politique économique et sociale de droite (mise en place du CICE, lois de dérégulations du droit du travail Rebsamen puis El Khomri, etc.) et a cherché à se donner une identité « de gauche » grâce à son positionnement dit « sociétal » pourtant fort timide. Avec le recul des années, on peut même parler d’une alliance objective entre une droite conservatrice en quête de renouveau et un gouvernement « de gauche » cherchant à ne plus l’être sans en avoir l’air.
En 2002, un programme présidentielle ouvertement europhile et néolibéral
Mais il serait injuste de résumer Christiane Taubira à la seule loi instaurant le mariage pour toutes et tous. Sa carrière politique commence bien plus tôt, au sein du parti indépendantiste Walwari qu’elle fonde en 1992. Comme députée, sa contribution la plus marquante est certainement la loi de 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité. Une loi qui entraîne la reconnaissance par la France du fait « que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du xve siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l’humanité. » (article 1er).
Son parcours politique n’est pas à proprement parler celui d’un phare de la gauche : elle vote l’investiture du gouvernement de droite d’Edouard Balladur en 1993 puis se présente aux européennes sur la liste portée par l’homme d’affaires Bernard Tapie. Sa vie politique se poursuit en marge du Parti socialiste et sa candidature à la présidentielle de 2002 lui attire le même genre de critique que toutes celles et ceux qui ont contribué, par l’éclatement du nombre de candidats de gauche, à la défaite de Lionel Jospin au premier tour.
Pas grand monde ne se souvient, en revanche, de ce qu’elle défendait alors. Or, dans son programme de 2002, on trouve :
- Le projet d’une Union européenne aux prérogatives fortes, fédérales : « Une Constitution fédérale européenne doit dire qui fait quoi, doit répartir clairement les compétences entre l’Union et les Etats membres. »
- La défense d’un régime présidentiel fort en France : « La concomitance des élections législatives, sénatoriales et présidentielles et l’unification du pouvoir exécutif de l’Etat par suppression du poste de Premier ministre, assureront l’instauration d’un véritable régime présidentiel. »
- La suppression progressive des cotisations sociales dans le financement de l’assurance maladie : « Le mouvement de fiscalisation du financement de la protection sociale engagé avec la création de la CSG, substituée aux cotisations d’assurance maladie, doit être prolongé. »
- La baisse de l’imposition des plus riches : « La progressivité, conforme aux principes d’une fiscalité républicaine, est indispensable à l’égalisation du sacrifice fiscal. Elle ne doit pas pour autant décourager l’effort et l’initiative, et doit donc s’accompagner de la fixation de taux modérés, y compris le taux marginal supérieur. »
- La défense de la retraite par capitalisation pour les revenus aisés : « Au-delà d’un certain niveau de pensions de retraite (trois ou quatre fois le SMIC, en fonction des contraintes de financement), les compléments, le cas échéant, recherchés relèvent de la responsabilité individuelle. Ces compléments doivent être financés par la capitalisation. »
Ces mesures sont tellement « de gauche » qu’elles ont été défendues ou réalisées depuis par… Emmanuel Macron et ses prédécesseurs. Le transfert de souveraineté, notamment monétaire, aux instances européennes, a été réalisé, contre l’avis de la majorité des Français, en 2008 sous Nicolas Sarkozy, via la signature du traité de Lisbonne. La présidentialisation du régime a été accéléré sous Sarkozy et parachevé sous Macron (et pourtant le poste de Premier ministre demeure, car il est toujours sympathique d’avoir un sous-fifre). Le remplacement des cotisations sociales par la CSG dans le financement de notre protection sociale a été partiellement effectué par Macron, tout comme la baisse des impôts pour les riches via la suppression de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF). Enfin, la retraite par capitalisation, pour les revenus confortables, a été portée par l’actuel gouvernement dans son projet de réforme des retraites, abandonné face aux manifestations, aux grèves et à la crise sanitaire.
Nicolas Framont