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Publié par Christian Hivert

 

250px-RolandBarthes.jpgROLAND BARTHES
(1915-1980)

« Mythologies »
(1957)

 

"Mythologies", Roland Barthes, 1957, résumé par Nicolas.

DEA Science information et communication de l'université Stendhal de Grenoble

 

 

Nous voguons sans cesse entre l’objet et sa démystification, impuissants à rendre sa totalité : car si nous pénétrons l’objet, nous le libérons mais nous le détruisons ; et si nous lui laissons son poids, nous le respectons, mais nous le restituons encore mystifié ».

Introduction


L’œuvre de Roland Barthes étonne, au premier abord, par sa diversité, son ouverture et son attention tous azimuts. Diverse dans son objet et son champ d’étude (Roland Barthes sait aussi bien parler de Sade que de Racine, en passant par le catch, le strip-tease et le bifteck-frites) ; diverse dans sa méthode (il essaie une critique historique dans Michelet, une psychanalyse ethnologique dans Sur Racine, un structuralisme strict dans Système de la mode) ; diverse dans son idéologie (tenu à ses débuts pour un marxiste intransigeant, puis adepte d’un certain formalisme en défendant le Nouveau Roman naissant, avant d’appliquer une variante de l’hédonisme en réhabilitant la valeur du plaisir), cette œuvre apparaît comme une série de blocs bien distincts, parfois contradictoires.

Mythologies


Les textes de Mythologies ont été écrits entre 1954 et 1956. L’ouvrage est, dans sa première partie, une suite d’analyses sarcastiques de quelques représentations de l’idéologie petite-bourgeoise (faits divers, photos, articles de presse…). L’auteur s’est appuyé en grande partie sur des articles tirés du journal l’Express, qui était, en cette période, un hebdomadaire de gauche moderniste. Dans une deuxième partie, l’écrivain met en place une réflexion historique sur ce qu’est «le mythe aujourd’hui » ; il nous donne les mécanismes qui fonde la culture de notre époque.


Tout d’abord, Roland Barthes définit le mythe comme une parole, comme un système de communication ou un message. Cette théorie semble correspondre à l’idée que l’on peut se faire du mythe. C’est pour nous une construction de l’esprit qui ne repose pas sur un fond de réalité. En effet, qui n’a jamais fait le lien entre cette situation et la légende ? L’image qui vient en premier lieu à l’esprit est celle d’un regroupement populaire, où de vieilles personnes racontent aux plus jeunes des histoires, des légendes, qui à force de degrés d’appréciation vont devenir des mythes.


Dans le cas présent, ces vieilles personnes ont un rôle très important : ce qui compte, ce n’est pas leur âge (bien que celui-ci fasse office de crédit par rapport aux dires avancés) mais bien le fait qu’elles racontent des expériences vécues et qu’on leur a aussi fait partager.


C’est par un tel processus que la légende fait partie de la tradition orale. Grâce à la langue et donc grâce aux mots, nous accédons aux mythes qui deviennent une juxtaposition de paroles. Cependant, la parole, lorsque nous l’entendons, permet de prendre position en fonction de nos certitudes. En réalité, le mythe est le processus par lequel l’on refoule la dimension singulière ; c’est une parole qui se réfère à des faits porteurs de sens.


Pour l’auteur, nous observons que le mythe est donc indissociable de la parole, même s’il peut se trouver sur un autre support que la langue. Car le mythe ne prend toute sa force qu’au moment où nous le communiquons à l’autre sans rigidité. La parole n’est pas un moyen sûr de restitution de l’information, à l’inverse d’un livre ou d’une image cinématographique : nous ajoutons sans cesse des divergences.


Il est vrai que lorsque deux personnes racontent un même événement, elles ne le font pas exactement de la même manière. Cette théorie se vérifie aisément lorsque la police est chargée de récupérer, par exemple, le témoignage des victimes d’un braquage dans une banque. Certaines diront que l’un des malfaiteurs était plutôt grand, d’autres diront le contraire ; parfois, elles ne seront même pas d’accord entre elles sur le nombre exact des bandits.


Il y aura donc forcément des différences à l’écoute des récits d’une même histoire. Toutefois, ceux qui auront écouté l’ensemble des confrontations décideront, néanmoins, que le fond du sujet est vrai ; et ils le diffuseront à leur tour.


 Nous voyons ici que le mythe n’est pas constitué de paroles exactes, il n’obéit pas à un ensemble de règles préétablies. Mais ce n’est malgré tout pas pour cela que nous remettrons en cause sa véracité. Dans tous les pays du monde, un mythe va trouver une de ses correspondances sous un aspect légèrement différent. Mais comme dans tout mythe, exagéré ou non, se trouve un peu de vérité, les hommes continueront de croire en lui. Toutefois, si certains mythes peuvent être communs à plusieurs cultures, sous une forme plus ou moins ressemblante, il faut pourtant savoir qu’il n’y a pas de mythes durables : c’est, je pense, l’histoire qui fait passer le réel d’un événement à l’état de parole.


Nous pouvons donc dire que c’est parce qu’il provoque, dans notre esprit, un doute réel, qu’il devient un élément captivant. Une histoire sûre et vérifiée n’attirerait pas de la même façon notre attention ; car en devenant parfaitement authentique, elle perd la part de mystère et de magie qui fait tout son charme.

Le mythe aujourd’hui ?


Afin de mettre en évidence le langage propre au mythe, Roland Barthes s’appuie sur différents exemples. Le premier cité, celui sur le catch, est je pense celui qui met le plus en évidence la notion de spectacle. Il ne s’agit pas d’un combat singulier comme la boxe, mais en l’occurrence d’une pure mise en scène de la part des organisateurs. En effet, les catcheurs sont de véritables « artistes » : ils portent un déguisement spécifique, un maquillage qui leur est propre, ainsi qu’un surnom qui doit bâtir en deux ou trois mots leur personnalité. Cet artifice concourt à rapprocher encore un peu plus le catcheur et le comédien sur scène. Tous les deux ont un rôle à jouer, ils vont se donner en spectacle devant un public.


La similitude avec les combats épiques de la mythologie grecque ou romaine, lieu privilégié de l’affrontement entre le bien et le mal, c’est cela qui confère au catch sa qualité de mythe. Les spectateurs peuvent s’imaginer assister à une lutte sans merci entre un « Hercule » flamboyant et des forces maléfiques. Nous avons l’impression de prendre part à une véritable épopée. Un catcheur talentueux va être assimilé à un dieu viking ou à un héros de jadis, disposant dans les deux cas d’une renommée importante. Par la suite, les témoins de la scène raconteront les exploits de ces personnages. Ils contribueront à la création d’une légende vivante ; puis celle-ci deviendra mythe et servira de référence. Cette diffusion de duels par une large population, tel est ce qui confère au catch le statut de mythe pour l’auteur.


Malgré tout, peut-on considérer comme un mythe des attitudes programmées, dont l’unique objectif est la satisfaction des envies du public ? Le vrai mythe peut-il être comparé avec cette parade, symbole d’un univers artificiel ? Roland Barthes le dit lui-même : les catcheurs (acteurs) doivent mimer des positions, transmettre une image de la justice, du courage et de la trahison, à travers un système de codes qui devra paraître intelligible.


En résumé, il faut satisfaire le goût du public et lui donner à voir ce dont il a envie : le traître profiter de la moindre occasion pour accroître sa déloyauté ; le juste accepter de subir ces affronts sans rien dire, avant d’arriver, grâce à sa ténacité, à la victoire finale. Toutefois, susciter le dégoût du spectateur sur un acteur, attirer sa sympathie et son soutien moral sur un autre ; est-ce vraiment là un mythe ? Tout n’est ici que paraître et faux-semblant, mais c’est le propre du spectacle.

Le mythe comme source d’appartenance


Si l’on peut douter du statut de mythe accordé au catch, ce dont on peut être plus convaincu, c’est du sentiment d’appartenance à un groupe à travers le signe représenté.
En utilisant cet exemple, nous pouvons décrire notre « carte d’identité » culturelle ; c’est à dire, l’ensemble des éléments qui sont importants à nos yeux et qui nous rattachent à tel type de catégorie sociale.


Dans la notion de compréhension du mythe, il y a donc la notion de reconnaissance de certaines valeurs mais aussi l’idée de savoir. Nous pouvons affirmer que tel élément fait parti de la représentation que nous nous faisons d’un mythe, car nous le saurons et que nous l’aurons mis en relation avec une idée personnelle ou partagée. Une autre personne, extérieure à notre groupe, pourra ne pas avoir considéré l’élément en question comme un mythe, le rattachant ainsi à une autre situation.


 L’idée de connaissance est ici sous-jacente : le savoir que chacun possède sert de justification par rapport aux propos que l’on met en avant. Lorsque nous parlons de culture, les divergences obtenues peuvent être le résultat d’un manque d’informations. Le catch est ainsi remplacé par le folklore local dans certaines régions.


Le fait de considérer une manifestation, ou un événement, comme mythique, sera fonction du degré de savoir de chacun ; traduisant par la même occasion notre niveau de connaissance et l’adhésion de notre personnalité à divers groupes sociaux et culturels. En résumé, nous pouvons avancer l’idée que le mythe est une représentation dont l’adhésion engage l’appartenance.

Le mythe comme apprentissage de la réalité


L’exemple que j’ai retenu pour illustrer cette idée est celui des jouets. Roland Barthes nous dit que le jouet est une reproduction, en modèle réduit, d’un objet existant dans la réalité. Il y a très peu de place accordée à l’invention, idée justifiée par l’attitude de l’adulte humain : il voit dans l’enfant un autre et un futur lui, les jouets sont donc « calqués » sur la réalité pour le préparer à la vie d’adulte.


Quoi de plus banal, en effet, que de voir un père de famille jouer à un jeu de construction lorsque son fils n’est pas à ses côtés ? Le statut d’adulte et d’enfant est ici inversé : le père retombe, pour quelques instants, en enfance ; à la différence du rôle d’aide et de complicité qu’il met en place avec son fils, lorsque ceux-ci jouent ensemble au même jeu.


Mais étudions plus en profondeur le côté mythique du sujet. Nous avons vu que le jouet rejoint le mythe car il est identique à la réalité. Les revolvers, avions et garages de voitures sont pour les petits garçons ; les poupées, dînettes et salons de coiffure sont pour les petites filles. Le jouet ressemble donc bien à quelque chose de matériel, il n’y a pas d’étonnement sur ce qu’il peut représenter. Apprenant à se familiariser avec les objets dont ils useront plus tard, les enfants font parti intégrante d’un long et précoce processus de socialisation.


Cependant, on peut critiquer ce conditionnement des générations futures à des rôles précis. Pourquoi chercher à développer le côté « bricoleur » du garçon et celui plutôt « d’intérieur » de la fille ? L’idée d’annihiler toute créativité ou imagination est ici perçue comme un mode de standardisation, dans son aspect le plus négatif du terme. La place de chacun semble ici programmée à l’avance, mais un tel processus ne fonctionne pas à chaque fois.


Le mythe du jouet repose ainsi sur la réplique d’éléments réels, il peut être référencé par rapport à des situations déjà existantes. C’est cette idée de référence, de renvoi à un autre composant qui contribue à rendre le jouet important ; et par la même occasion le mythe.


Si l’automobile, en tant que jouet, peut-elle aussi s’intégrer dans une logique d’apprentissage, de reconnaissance et d’acquisition, elle n’occupe toutefois pas une place quelconque dans l’analyse critique des mythes de Roland Barthes. En effet, en plein développement dans les années 50, le marché de l’automobile devient  l'un des lieux les plus spectaculaires de la société de consommation. Comme le pressent l’auteur, la voiture, surtout « de luxe » comme la nouvelle D.S. de Citroën, est perçue non seulement comme un objet, mais encore comme un symbole capable de cristalliser les désirs, les passions et même les fantasmes d'une génération et d'une classe sociale prêtes à lui rendre un véritable « culte ».


Il n’y a peut-être en effet que la nourriture qui puisse tenir autant de place que l’automobile, dans le discours de la population française en ce temps là. Cette idée est très bien mise en évidence dans l’ouvrage de Kristin Ross Aller plus vite, laver plus blanc. Cette-dernière fait le parallèle entre l’automobile et le « miracle » de liberté et de mobilité que celle-ci engendre. Toute la population des années 1950 à 1960 va être éprise d’un seul et unique désir : posséder une voiture et ainsi accéder à la catégorie sociale « petite-bourgeoise ».


Bien plus qu’un moyen de locomotion, Roland Barthes nous dépeint un vrai mythe de la société moderne, symbole des nouvelles aspirations d’un pays tout entier. C’est ici un vrai mythe contemporain, image même de la société de consommation calquée sur le modèle capitaliste américain. C’est le nouveau « Nautilus » que l’on attendait, l’invention qui va transformer la vie d’un monde de plus en plus mobile et pressé.

Signification, signe, mythe et critiques


Le travail de l’auteur, à la lecture de l’ouvrage, se propose par principe comme une critique de la signification.


De la signification et non pas du « sens » ; non pas les systèmes arbitraires de communication (les langages par lesquels les hommes codifient les rapports entre le monde et eux ou entre eux-mêmes) mais les systèmes annexes (par lesquels, à travers les langages, ils émettent indirectement des valeurs). Dans une pièce de Racine, le mot « flamme » veut dire amour ; c’est aussi un simple signe permettant de reconnaître l’univers de la tragédie classique. Un bifteck-frites a des qualités spécifiques ; c’est aussi le symbole d’une certaine francité.


Tout objet de discours, outre son message direct, sa référence au réel, sa dénotation, peut recevoir des « connotations » suffisantes pour entrer dans le domaine de la signification, c’est à dire dans le champ ouvert des valeurs. Tout peut donc devenir « signe », tout peut être « mythe ».


Alors pourquoi une critique du mythe, et plus largement de la signification ? Premièrement, parce que celui-ci est parasite : forme sans contenu, il ne crée pas de langage à proprement parler. Au contraire, il le vole, le détourne, l’exploite à son profit pour, en un « métalangage », faire parler de manière oblique les choses. Deuxièmement, parce qu’il est frauduleux : il masque les traces de sa fabrication, l’histoire de sa production, il se donne hypocritement comme allant de soi.


Enfin, parce qu’il se multiplie à grande échelle : il y a trop de signes et trop de signes exagérés, jusqu’à l’écœurement (« Combien, dit Barthes, dans une journée, de champs véritablement insignifiants parcourons-nous ? Bien peu, parfois aucun »). Songeons ainsi à la surcharge des affiches, des slogans publicitaires…


Roland Barthes se met alors à rêver d’un degré zéro de l’écriture. Montrer le déboîtement, la duplicité du mythe par rapport au langage, en révéler les étapes de constitution, les mécanismes, les fonctionnements ; et en freiner si possible l’activité insolente, tel est le projet « barthien ». A cet égard, Mythologies pose les premiers jalons et commence à mettre les codes qui nous entourent au grand jour.

Mythe, adhésion et aliénation


A travers les multiples exemples que nous avons pu voir, nous pouvons donc dire que l’auteur s’attache à dégager  une nouvelle pratique de la sociologie des signes ; celle-ci reposant sur les symboles et les représentations.


Nous comprenons par-là que le mythe n’est ni un objet, ni un concept, ni encore moins une idée : c’est un mode de signification. Il sert à interpréter des éléments ou des faits sociaux ; il les met en forme. Le mythe occulte le réel, idée fort bien illustrée à travers l’image du Tour de France. Tant que nous sommes dans une pratique sportive connue de tous, nous sommes dans le réel.


Mais à partir du moment où l’on voit apparaître la mise en scène de l’appartenance sociale, nous sommes dans le domaine culturel, et c’est ainsi que naît le mythe. Les coureurs vont être porteurs d’une appréciation et d’un jugement, phénomène qui va séparer en groupes la société (la manifestation n’encourage donc pas le sport, mais plutôt le mythe).


Chaque noyau d’une même population va porter son affection et son soutien sur un sportif, devenant ainsi « le » sportif. Nous allons pouvoir nous identifier à lui, il va représenter les valeurs et les normes qui nous semblent importantes. Nous avons désormais rejoint l’espace symbolique, celui-ci mettant en forme l’adhésion sociale de chacun. Suivent alors des affrontements de caractères et de déterminations, à travers ces coureurs mi-hommes mi-dieux. Le public participe à l’élaboration d’une manifestation populaire et nationale, donnant ainsi forme au mythe qu’est le cyclisme.


Roland Barthes, tout au long de Mythologies, cherche à montrer et à faire accepter le fait que nous sommes aliénés par le poids écrasant de tous ces mythes. De plus, comme il déclare que tout peut devenir mythe, légende et source de référence, nous pouvons avancer l’idée que nous sommes nous-mêmes la source de notre servitude.


 En vénérant ces mythes modernes (à l’instar des grecs ou romains qui vénéraient leurs dieux dans les temples), nous devenons les serviteurs éternels de ces « idoles » contemporaines ; en sachant très bien que nous ne colmaterons jamais le fossé qui sépare ce monde inaccessible et symbolique de notre situation réelle.


Mais le voulons-nous vraiment ? S’il n’y avait plus cet écart, serions-nous autant respectueux de ces personnes et autant investis dans nos actions ?


A mon avis, c’est le fait même que ces « héros » d’aujourd’hui soient éloignés de nous qui nous séduit. Le mythe est, je crois, quelque chose que nous avons toujours placé par-dessus nous et par-dessus tout : nous le mettons à distance. Le redescendre à notre niveau, celui des spectateurs et des colporteurs d’histoires, ne ferait qu’altérer la vision même du mythe, ceci s’ajoutant sûrement à notre dépréciation en ce qui concerne l’élément dévalorisé.

Conclusion


Nous avons vu que le mythe est une représentation dont l’adhésion engage l’appartenance de notre propre personne. Il nous rappelle pour refouler la dimension singulière.


Le symbolique, lieu privilégié de l’émancipation du mythe, met du langage à la place du réel, de façon à ce que ce procédé d’identification soit commun, compris et intelligible par tous. De plus, je ne peux avoir accès à l’univers symbolique qu’en passant par l’autre, et inversement. Tel est tout le problème du « clivage ». L’espace de rencontre avec l’autre est donc l’espace fondateur de ma personnalité, c’est là que je pourrai ancrer mon identité dans le réel du symbolique.

Avec Mythologies, analyse de quelques représentations collectives contemporaines suivie d’une réflexion théorique, Roland Barthes a mis en évidence le travail de déformation du langage ordinaire. Pour que celui-ci devienne mythe, les expressions constituées (mots, locutions, métaphores) sont traitées comme les matériaux de base d’un autre propos, d’un « métalangage » ; qui, de fait, se trouve chargé de significations multiples : « Le mythe est une parole volée et rendue ». Seulement, la parole que l’on rapporte n’est plus tout à fait celle que l’on a dérobée : en la rapportant, on ne l’a pas exactement remise à sa place.


Le mythe de l’abbé Pierre, par exemple, emprunte à la coupe de cheveux franciscaine, à la barbe missionnaire et à la canadienne du prêtre-ouvrier des années 50, le prêt-à-porter de son efficacité symbolique. Ainsi, pour le sens commun comme pour la science des signes (la sémiologie), le mythe, en ce qu’il n’appelle pas un chat un chat, est une forme suspecte et générale de discours à laquelle s’opposerait le parler vrai de la critique et de la science.

Depuis les deux derniers siècles, les diverses études du mythe ont oscillé entre une analyse externe, décidant du sens du mythe à partir du point de vue de l’observateur ; et une interprétation interne, prenant en compte les « récitants » et leur public. Simultanément, l’attention s’est déplacée de la forme vers le contenu, de l’universel au particulier et même du collectif au singulier.


Cette démarche fait d’abord du mythe une parole à situer parmi les autres propos courants dans la société considérée. En quoi peut-on la qualifier de mythe ? Parce qu’elle est porteuse d’une certaine « vérité », d’une pensée, d’une structure, d’une histoire, d’un désir, disent les observateurs. Le mythe ne se définit pas par ce qu’il est, mais au contraire par ce qu’il montre ; à savoir, en dernière analyse, notre propre étonnement devant son apparente incongruité, celle de l’autre. La boucle s’est ainsi refermée : comme dans la Grèce d’Anacréon, parler de mythe revient avant tout à désigner une « inquiétante étrangeté ».
 

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