et ça leur reprend d'entasser des pauvres dans des cliniques désaffectées
Le comité
L’occupation du 67, rue des Vignoles fut le cœur de la lutte sur le logement des années 80 du vingtième siècle. Tout ce que Paris compte comme militant Autonome ou révolutionnaire passa aux nouvelles. Le charivari des origines tarda à se calmer. Les jeunes sans travail se mêlèrent aux travailleurs réguliers.
Les associations des Gens Bons ne tardèrent pas à faire savoir qu’elles ne contrôlaient en rien l’opération et que des irresponsables instrumentalisaient dans un sens de radicalisation politique la misère des familles. Ils n'étaient plus sinistrés. On leur ouvrait des dossiers, les organisait, les dirigeait.
Les Gens Bons voulaient bien à la rigueur que des pauvres squattent, mais sans bruit, sans banderoles, sans revendications. La vue de la misère est moins dure à supporter lorsqu’elle se cache honteuse dans des taudis de plus en plus loin de leur quartier dont ils souhaitaient la réhabilitation.
Les Gens Bons pensaient que les pauvres avaient besoin de porte-parole. Qu’il fallait organiser des tours de nettoyage des escaliers. Organiser des collectes de vêtements usagés. Gérer les dossiers des familles. Faire l’appel par ordre alphabétique. Distribuer matelas et couvertures.
Les Gens Bons n’aimaient pas les assemblées générales. Ils préféraient même qu’il n’y ait pas de réunion du tout avant
une prise de décision. Ils auraient voulu qu’il n’y ait qu’un seul chef, toujours le même. Et qu'ils se tiennent tranquilles ces pauvres. Ne pas changer le monde, juste aider les
pauvres.
La fumée des rumeurs prend feu à partir de la création du Comité des Mal Logés. Les Gens Bons ne veulent pas que des
enfants et leurs parents dorment à la rue. Ils ne veulent pas non plus que l’on prenne trop l’habitude de se servir soi-même de ce dont on a besoin. Ils ne voudraient pas plus de squat.
L’assistante sociale de secteur s’en était prise à Arthur. "Il n’y a plus de place dans cet immeuble si on ne veut pas entasser les habitants comme dans un taudis de marchands de sommeil, si on veut rester décent. La seule solution pour loger tous les cas en urgence est d’ouvrir un nouvel immeuble."
Les Gens Bons, par le relais de leurs partis politiques d’appartenance, n’avaient de cesse de stigmatiser l’activité de tous les fondateurs du Comité des Mal-Logés. Activistes et squatters professionnels manipulant les pauvres familles, instrumentalisant leur misère, voulant la révolution.
Il eut fallu savoir répondre à l’urgence des conditions immondes de logement de certains sans pour autant revendiquer. Sans faire de critique d’un système politique se satisfaisant de la situation sordide. Savoir être pauvre sans en vouloir aux riches. En ayant l’air moins pauvres, payer un loyer.
Des travailleurs avec des métiers réguliers sont privés de logements décents donc des droits essentiels de toute famille à vivre en harmonie et dans le confort le plus récent. Ils sont rejoints par de jeunes chômeurs et cela devient une manipulation. S’ils occupent ensemble le même immeuble, cela devient politique.
Certains Gens Bons ont des relais dans des associations très en vue des pouvoirs politiques nationaux ou locaux. Le programme de ces grands responsables de l’état des choses propose des solutions refusées par ces travailleurs manipulés. "Mais comprenez, on ne peut plus construire de logements sociaux!"
La presse lue par les Gens Bons fourmillait de projets pour les mal-logés en tout genre. Les jeunes travailleurs iraient dans
les anciens foyers désaffectés des travailleurs immigrés rénovés. Et les travailleurs immigrés iraient. Tout cela était si parfait sur le papier, satisfaisant et moralement
innovant.
Les associations caritatives que les Gens Bons soutenaient réhabiliteraient des immeubles vacants et les géreraient. Logeant
ainsi des pauvres recalés du système du logement social. Le temps nécessaire aux projets de promotion immobilière d'aboutir. Ensuite ils iraient. Le bail devra être glissant, vers la
sortie.
L’état mettrait à disposition des terrains lui appartenant à la périphérie des grandes villes, hors zone de promotion immobilière, pour y installer des villages de baraquements préfabriqués. Y logeront tous les rescapés d’ailleurs, tous en attente de partout, les refusés aux droits les plus fondamentaux.
Tout cela était parfaitement bien prévu bien avant que le moindre comité des mal- logés ne fasse son apparition. Bien avant que tant de logements sociaux vacants ne soient soumis à la populaire réquisition des mal-logés après approbation de leur assemblée générale. Quel affront, ils s'assemblent pour lutter!
Les Gens Bons ne voulurent jamais de ce comité osant prendre ses décisions en assemblée générale où chaque voix comptait et pouvait s’exprimer. Ils tentèrent d’en prendre la direction et d’empêcher les occupations d’HLM. Il y en eut cent et plus et il n’y eut jamais ni responsable ni porte-parole.
La rumeur s’enfla de colère et de sous-entendus nauséabonds. Arthur et ses compagnons n’avaient rien d’autre à faire que d’être toujours présents pour organiser une nouvelle occupation. Dans le dessin inavoué de faire déraper l’histoire sur un terrain politique. Bien sûr, des radicaux!
Les Gens Bons ne voulaient pas que ces pauvres obtiennent les mêmes droits sociaux dont eux-mêmes seraient bientôt déshérités. Ils ne voulaient pas croire aux intentions maléfiques des gestionnaires de l’immobilier, producteurs de misère sociale étendue. C’était il y a vingt ans, cela est toujours.
et ça leur reprend d'entasser des pauvres dans des cliniques désafectées