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Publié par Christian Hivert

 

Photo-du-40705136-06--a-11.18.jpgOh ! Ben ça c'est trop compliqué ! J'aurais plus à m'en mêler dans ce cas, ça sera plus mon problème ! Ruminant ses pensées, le vieux s'était mis à trottiner sur le chemin parsemé de réverbères qui le mènerait jusqu'à sa vieille bicoque. Il allait se faire un film sur la toile mondiale, ou bien un jeu électronique en réseau.

 

Ses fils l'avaient tout aménagé en moderne, il n'avait plus qu'à jouer avec des boutons, et il s'ennuyait. Mais voilà de quoi revivre un peu, qui sait ? Arthur avait vu le vieux le toiser. Tivlet , il se le rappelait parfaitement , il aurait pu le saluer , mais il ne le fit pas , il avait décidé de ne pas provoquer la rencontre de suite.

 

Il voulait voir d'abord plus de têtes. Evaluer le degré de N.I.E. et repérer la faille, le levier. Si les gens étaient curieux, il y aurait peut-être de quoi faire ! Il fallait d'abord être prudent et se présenter de suite, afin de ne pas laisser cours aux extrapolations spéculatives de l'ignorance. Il fallait qu'il révèle qu'il était banni.

 

Il lui faudrait jouer serré et franc-jeu, qu'il souligne ses origines. Un banni n'était pas forcément envoyé en orbite sur le S.E.R.O., seuls les meilleurs d'entre eux. Les autres, comme lui-même, une fois leurs affaires instruites, et les mesures prises pour faire contrer leurs capacités par les banques, pouvaient s'en retourner "végéter" .

 

C’était le terme utilisé par les gens de l’Union : soit dans les ghettos-villes appelés aussi villes-bidons au confort aéré, soit dans les zones franches, soit comme lui le faisait, à circuler au travers des territoires bancaires. Même s'ils étaient pris sur ces territoires interdits, en tant que bannis; ils ne risquaient pas grand-chose,

 

sauf aux moments de départ des navettes de bannis satellisés. Chose qui demeurait rare. Mais lui continuait de circuler clandestinement, car les contrôles pouvaient durer des mois et de plus les psychopols les relâchaient à des centaines de kilomètres du point de capture, et pas question d'utiliser les roulantes agro.

 

Ces machines n'avaient le droit de ralentir sans s'arrêter, et d'échanger des produits, qu'à la jonction de leur ligne d'exploitation  avec soit une zone, soit un village. En dehors de cela, on  ne pouvait que faire signe par les hublots, les quantités de survie étaient calculées juste, aucun mécanisé n'aurait monté un libre pour le circuler.

 

D'autant plus que tout était extrêmement compté, y compris le temps et la productivité, dans le calcul de libération des hommes, chaque homme étant très pressé d'obtenir ses rentes de survie définitives dans la "ville aérée" de son choix, vous comprenez, une fin de vie à la qualité de consommation stabilisée.

 

Arthur avait bricolé une cyclette à alcool de betterave, et avait pu faire une bonne distance derrière les sillons des usines. Mais il valait mieux ne pas circuler trop longtemps en ligne droite. La cyclette se faisait repérer par les traces d'échappées de gaz constantes facilement analysables par les satellites d'observations (S.O.).

 

Quant aux transports inter-villes, nul engin ne pouvait s'arrêter, sauf cas de panne, secouru dans les dix minutes par une navette dépanneuse agrée. Impossible à incruster. Un autre moyen, sophistiqué, était rarement utilisé par les bannis, qui n'avaient que peu de connections avec les féodaux des zones.

 

Il leur fallait mic-maquer une identité informatique, chose faisable, mais demandant la complicité d'un comput de classe B, tous aux mains de l'union et des féodaux amis.

Mais il savait fabriquer un comput de classe B, et personne ne le savait. A l'heure actuelle, ils devaient être un certain nombre dans ce cas tous rebelles.

 

Arthur avait donc eu besoin de ce village, lui rappelant tellement de souvenirs d'enfance. Tous les ingrédients nécessaires devaient s’y trouver. A lui de finement jouer. Ici il n'y avait pas de féodaux, le village, assimilé à la loi sur les zones franches et parrainé par elles, n'était pas assez vaste ou riche pour les intéresser.

 

L'union le laissait "végéter". Cela avait toujours contenté tout le monde, et dés que le N.I.E. était respecté, ne présentait aucun danger potentiel. Il avait six mois devant lui ! Six mois pour faire naître une lutte conspirative et l'utiliser à bon escient. De quoi prendre le temps de se payer une bonne bière fraîche.

 

Le tourbillon d'idées s'estompa lentement, par sa fenêtre l’écrivain venait de voir entrer l'homme inconnu dans le café déjà éclairé. Il se frotta les yeux, c'est vrai, il faisait sombre, il claqua des doigts d'une certaine manière, une lumière s'épanouit et une horloge lui susurra l'heure. Il se replongea dans son manuscrit.

 

Puis très vite cessa. Il connecta son visiocom avec “ l’appareil à élucubrations ” du père Tivlet et s’installa dans la lecture. Le vieux Tivlet remontait à pas pesants et fatigués vers sa vieille bicoque. Les réverbères ronronnaient. Les songes et les interrogations trottinaient, le niveau idéal d’équilibre était stable.

 

Sa marche rythmait allègrement l'égaiement des cailloux sur le sol. Ses souvenirs tentaient une incursion parmi le bredouillement effervescent de ses idées. Son esprit vagabondait, comme l'on avait coutume de dire dans l'ancien temps. Il avait été ouvrier intello, enfin ce que l'on appelle maintenant un ouvrier intello.

 

Puis avec le Processus était venu la grande rationalisation de la production intellectuelle. Il avait été chef d'élucubrations constructives dans un bureau d'études exponentielles du troisième Paris. Pour tenir le coup et ne pas devenir fou, ils usaient de toutes sortes de substances de contrôle ou au contraire de débridage.

 

Heureusement, très rapidement après l'instauration du processus, le droit avait été reconnu à tous de pouvoir s'en désintégrer, pour "végéter". Avec une prise en charge partielle et quelques centaines de baguettes par mois, il avait tout ce qu'il lui fallait. Il n'en avait jamais trop demandé par ailleurs.

 

Du moment qu'on lui foute la paix. Maintenant, les ouvriers intello avaient accepté qu'un contrôle s'effectue sur l'optimisation des activités cérébrales ruminatrices. Des impulsions radioniques permettaient alors de stimuler à volonté telle ou telle faculté cérébrale, et de mieux les exploiter à moindres risques.

 

Les cas de folie, de dépression, ou de suicide, paraissait-il, diminuaient sensiblement et les ouvriers pour la plupart acceptaient assez facilement l'implant biologique de contrôle, dernier fleuron des découvertes des bannis. Mais désormais tout ceci n'était plus son problème, son problème était le « Pourquoi ? »

 

 

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