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Publié par Christian Hivert

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Entretien avec Samir Amin :: Le « printemps arabe », précurseur de « l’automne du capitalisme » ?

Les révoltes dans le monde arabe ont fait tomber les dictateurs égyptien et tunisien. La guerre civile fait rage en Libye et en Syrie. L’OTAN bombarde Kadhafi et étudie une intervention contre Bachar el-Assad. Samir Amin, éminent économiste marxiste, franco-égyptien d’origine et directeur du Forum du Tiers-Monde, revient pour Solidaire sur une région en ébullition dont le futur est en train de s’écrire.

Arnaud Staquet

 

Samir Amin (Photo Skill Lab)

Comment comprenez-vous la révolte qui traverse le monde arabe ?

Samir Amin. Le monde arabe fait partie de la zone des tempêtes, à savoir l’Asie, l’Amérique du Sud et l’Afrique; le Sud (cette périphérie qui rassemble 85 % de l’humanité). Dans cette zone, l’exploitation capitaliste est plus intense que dans les pays du Nord. Ces zones vivent des révoltes sociales potentiellement porteuses d’alternatives, qui peuvent à long terme s’inscrire dans la perspective socialiste. Le « printemps arabe » s’inscrit dans cette réalité.

C’est la raison pour laquelle les multinationales et les dirigeants de la triade impérialiste (États-Unis, Europe occidentale, Japon) ne peuvent tolérer le développement de ces mouvements. Ils mobiliseront tous les moyens de déstabilisation possibles, des pressions économiques et financières jusqu’à la menace militaire. Il ne faut pas croire un mot de ce que dit Obama. Obama, c’est Bush, mais avec un autre langage.

Les révoltes que nous venons de voir seraient-elles donc menacées ?

Samir Amin. Elles devront en tout cas affronter de nombreux obstacles : surmonter leurs propres faiblesses, mais aussi mettre en déroute les interventions de la triade impérialiste. Car toute intervention militaire des États-Unis et de l’OTAN dans les affaires des pays du Sud, sous quelque prétexte que ce soit, fût-il d’apparence sympathique - comme l’intervention « humanitaire » - doit être proscrite. L’impérialisme ne veut ni le progrès social ni la démocratie pour ces pays.

Le discours dominant des médias occidentaux appelle à l’intervention « humanitaire » lorsque les droits fondamentaux d’un peuple sont bafoués. Mais la « communauté internationale » se résume à l’ambassadeur des États-Unis, suivi par ceux de l’Europe. On ne peut que déplorer que la « gauche » européenne ait cessé de comprendre ce qu’est l’impérialisme. Faut-il faire la longue liste de ces interventions plus que malheureuses, criminelles dans leurs résultats (l’Irak, par exemple) ? Faut-il rappeler le principe « deux poids, deux mesures » qui les caractérise ? Les droits bafoués des Palestiniens et le soutien inconditionnel à Israël ou aux innombrables dictatures soutenues en Afrique ? 

On connaît peu les composantes qui ont permis justement de renverser une de ces dictatures soutenues entre autres par les États-Unis. Qu’est-ce qui caractérise ce mouvement qui a renversé Hosni Moubarak en février ?

Samir Amin. Les jeunes (environ un million) ont été le fer de lance du mouvement. Ils ont été immédiatement rejoints par la gauche radicale et les classes moyennes démocrates. Les Frères musulmans n’ont rejoint le mouvement que tardivement. Leurs dirigeants avaient appelé à boycotter les manifestations pendant les quatre premiers jours, persuadés que celles-ci seraient mises en déroute par la répression. Ils se sont ravisés quand ils ont vu l’ampleur des mobilisations gigantesques de plusieurs millions de manifestants. Le mouvement poursuivait trois objectifs communs : premièrement, la restauration de la démocratie (la fin du régime militaire et policier) ; ensuite, la mise en œuvre d’une nouvelle politique économique et sociale favorable aux classes populaires ; et, finalement, celle d’une politique internationale indépendante.

L’entrée dans la bataille de la classe ouvrière (environ 5 millions de travailleurs) peut être décisive. Les travailleurs en lutte (à travers de nombreuses grèves) ont fait progresser des formes d’organisation amorcées depuis 2007. On compte désormais plus d’une cinquantaine de syndicats indépendants. La résistance opiniâtre des petits paysans aux expropriations participe également à la radicalisation possible du mouvement. 

Les Frères musulmans ont voté au parlement des lois antipopulaires, comme la suppression de la réforme agraire, sous prétexte que la propriété privée serait « sacrée » dans l’Islam ! Ils constituent le bloc réactionnaire avec les chefs militaires et la grande bourgeoisie. Ses dirigeants sont des hommes immensément riches (grâce, entre autres, au soutien financier de l’Arabie Saoudite, c’est-à-dire de Washington).

Géopolitiquement, l’Égypte est en effet importante pour Washington…

Samir Amin. L’Égypte est une pierre angulaire dans la stratégie états-unienne de contrôle de la planète. L’objectif exclusif de Washington et de ses alliés (Israël et l’Arabie Saoudite) est de faire avorter le mouvement démocratique en Égypte. Ils veulent imposer un « régime islamique » dirigé par les Frères musulmans. C’est le seul moyen pour eux de perpétuer la soumission de l’Égypte. 

Le « discours démocratique » d’Obama sert à tromper les opinions publiques aux États-Unis et en Europe. Une Égypte démocratique ne pourrait être qu’anti-impérialiste et sociale. Elle prendrait ses distances à l’égard du libéralisme mondialisé, reléguerait l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe à l’insignifiance politique, réanimerait la solidarité des peuples arabes et imposerait la reconnaissance de l’État palestinien par Israël.

L’Égypte a fait sa révolution dans l’élan de la « Révolution du jasmin » tunisienne. Où en est la Tunisie ?

Samir Amin. La révolte tunisienne a donné le coup d’envoi et certainement encouragé les Égyptiens. Par ailleurs, le mouvement tunisien bénéficie d’un avantage certain : la semi–laïcité introduite par Bourguiba (président tunisien jusqu’en 1987, avant le règne Ben Ali, NdlR) ne pourra sans doute pas être remise en cause par les islamistes rentrés de leur exil en Grande-Bretagne. Mais le mouvement tunisien ne paraît pas être en mesure de remettre en question son modèle de développement capitaliste extraverti (dépendant du commerce extérieur et de l’investissement étranger, NdlR).

La situation en Libye est-elle encore plus compliquée ?

Samir Amin. La Libye n’est ni la Tunisie ni l’Égypte. L’explosion sociale a immédiatement été mise à profit par l’Islam politique du pays et les régionalismes. La Libye n’a jamais vraiment existé comme nation. C’est une région géographique qui sépare le Maghreb et le Mashreq. La frontière entre les deux passe précisément au milieu de la Libye. La Cyrénaïque (l’est de la Libye) est historiquement grecque et hellénistique, puis est devenue mashréqine. La Tripolitaine (à l’ouest du pays) a été latine et est devenue maghrébine. C’est la base pour les régionalismes dans le pays. 

On ne sait pas réellement qui sont les membres du Conseil national de transition de Benghazi. Il y a peut-être des démocrates parmi eux, mais il y a certainement des islamistes, et les pires d’entre eux, et des régionalistes. Dès l’origine « le mouvement » a pris la forme d’une révolte armée, faisant feu sur l’armée, et non celle d’une vague de manifestations civiles. Cette révolte armée a par ailleurs appelé immédiatement l’OTAN à son secours. L’objectif poursuivi n’est certainement ni la « protection des civils » ni la « démocratie », mais le contrôle du pétrole et l’acquisition d’une base militaire majeure dans le pays.

Certes, les compagnies occidentales contrôlaient déjà en partie le pétrole libyen. Mais, avec Kadhafi, on n’est jamais sûr de rien. Et s’il retournait sa veste et introduisait demain dans son jeu les Chinois ou les Indiens ? Aujourd’hui, les États-Unis ont besoin de transférer l’Africom (le commandement militaire des États-Unis pour l’Afrique, toujours localisé en Allemagne !) en Afrique. Or l’Union africaine refuse de l’accepter. Un laquais mis en place à Tripoli (ou à Benghazi) souscrirait évidemment à toutes les exigences de Washington.

Dernièrement, la Syrie s’est aussi embrasée. Que s’y passe-t-il ?

Samir Amin. Les composantes de la révolte en Syrie n’ont jusqu’à présent pas fait connaître leurs programmes. Sans doute la dérive du régime baassiste, rallié au néo-libéralisme et singulièrement passif face à l’occupation du Golan par Israël, est-elle à l’origine de l’explosion populaire. Mais il ne faut pas exclure l’intervention de la CIA : on parle de groupes qui ont pénétré à Diraa en provenance de la Jordanie voisine. Washington s’emploie à mettre un terme à l’alliance Syrie/Iran, essentielle au soutien du Hezbollah au Liban, et du Hamas à Gaza.

En revanche, la communauté internationale a « oublié » d’aider les révolutions bahreïnie et yéménite…

Samir Amin. À Bahreïn, la révolte a été tuée dans l’œuf par l’intervention de l’armée saoudienne via un massacre, sans que les médias dominants n’y aient trouvé à redire. Deux poids deux mesures, comme toujours. Au Yémen, l’unité du pays s’était construite sur la défaite des forces progressistes qui avaient gouverné le sud du pays. Le mouvement va-t-il rendre sa vitalité à ces forces ? Pour cette raison, on comprend les hésitations de Washington et du Golfe.

Le monde arabe vit sa chute du mur de Berlin, crient les médias occidentaux. Un vent de liberté se lèverait…

Samir Amin. Comparer les « révoltes démocratiques » du tiers monde à celles qui ont mis un terme aux « socialismes » de l’Europe orientale est une supercherie pure et simple. Car, quelles qu’aient été les raisons des révoltes en Europe de l’Est, celles-ci s’inscrivaient dans la perspective de l’annexion de la région par les puissances impérialistes de l’Europe de l’Ouest (au bénéfice de l’Allemagne en premier lieu). En fait, réduits désormais au statut de « périphéries » de l’Europe capitaliste développée, les pays de l’Europe orientale connaîtront demain leur révolte authentique. Il y en a déjà les signes annonciateurs, dans l’ex-Yougoslavie en particulier.

Pour vous, ces révoltes sont « porteuses d’alternatives » : quelles sont les perspectives pour ces pays de se détacher de la chaîne de domination impérialiste ?

Samir Amin. Je pense que le « printemps arabe » coïncide avec « l’automne du capitalisme ». La vague des mouvements d’émancipation qui a balayé l’Amérique du Sud (Venezuela, Bolivie, Équateur, Brésil) a permis des avancées réelles dans les trois directions que représentent la démocratisation de l’État et de la société, l’adoption de positions anti-impérialistes importantes, l’engagement sur la voie de réformes sociales progressistes. Auparavant, les États-Unis avaient toujours su écraser les révoltes populaires porteuses de changement social (Philippines, Indonésie, Mali).

Des révoltes sont à prévoir dans les trois continents (Asie, Afrique, Amérique latine) qui demeurent, plus que jamais, la zone des tempêtes, démentant par là les discours sur le capitalisme éternel porteur de stabilité et de progrès démocratique. Si ces mouvements parviennent à converger avec l’autre réveil nécessaire, celui des travailleurs des centres impérialistes, une perspective authentiquement socialiste pourrait se dessiner à l’échelle de l’humanité entière. 

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H
<br /> <br /> Jolie blog !<br /> <br /> <br /> <br />
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