Apocalypses Européennes
Ah ! Mais qu'est-ce donc qu'il venait foutre là ! S'il tenait du père, c'était pour fout'le bordel et attaquer la banque, si c'était la mère qui avait gagné, il apparaîtrait fort des valeurs anoblies par les luttes passées mais tergiversant sans cesse pour ne pas prendre ses responsabilités, et fuyant enfin.
Et si c'était autre chose encore ! Oh ! Ben ça c'est trop compliqué ! J'aurais plus à m'en mêler dans ce cas, ça sera plus mon problème ! Ruminant ses pensées, le vieux s'était mis à trottiner sur le chemin parsemé de réverbères qui le mènerait jusqu'à sa vieille bicoque. Il allait se faire un magnétoscope, ou bien un jeu électronique.
Ses fils l'avaient tout aménagé en moderne, il n'avait plus qu'à jouer avec des boutons, et il s'ennuyait. Mais voilà de quoi revivre un peu, qui sait ? Il avait vu le vieux le soupeser sournoisement . Tivlet , il se le rappelait parfaitement , il aurait pu le saluer , mais il ne le fit pas , il avait décidé de ne pas provoquer la rencontre de suite. Il voulait voir d'abord plus de têtes. Evaluer le degré de N.I.E.(Niveau Idéal d'Equilibre) .
Repérer la faille, le levier. Si les gens étaient curieux, il y aurait peut-être de quoi faire ! Il fallait d'abord être prudent et se présenter de suite, afin de ne pas laisser cours aux extrapolations spéculatives de l'ignorance. Il fallait qu'il révèle qu'il était banni, qu'il joue franc-jeu, qu'il souligne ses origines.
Un banni n'était pas forcément envoyé en orbite sur le S.E.R.O., seuls les meilleurs d'entre eux. Les autres, comme lui-même, une fois leurs affaires instruites, et les mesures prises pour faire contrer leurs capacités par les banques, pouvaient s'en retourner "végéter" comme le disaient les gens de l’union : soit dans les ghettos-villes appelés aussi villes-bidons, soit dans les zones franches, soit comme lui le faisait, à circuler au travers des territoires bancaires.
Même s'ils étaient pris sur ces territoires interdits, en tant que bannis; ils ne risquaient pas grand-chose, sauf aux moments de départ des navettes de bannis satellisés. Chose qui demeurait rare. Mais lui continuait de circuler clandestinement, car les contrôles pouvaient durer des mois et étaient réellement éprouvants.
De plus, ils te relâchaient à des centaines de kilomètres du point de capture, et pas question d'utiliser les roulantes-agro. Ces machines n'avaient le droit de ralentir sans s'arrêter, et d'échanger des produits, qu'à la jonction de leur ligne d'exploitation avec soit une zone, soit un village.
En dehors de cela, on ne pouvait que faire signe par les hublots, les quantités de survie n'étant calculées que pour les mécanisés, aucun mécanisé n'aurait monté un libre pour le circuler. D'autant plus que tout était extrêmement compté, y compris le temps et la productivité, dans le calcul de libération des hommes, chaque homme étant très pressé d'obtenir ses rentes de survie dans la "ville aérée" de son choix, vous comprenez ! Pour sa dernière étape, il avait bricolé une cyclette à alcool de betterave, et avait pu faire une bonne distance derrière les sillons des usines.
Mais il valait mieux ne pas circuler trop longtemps en ligne droite. La cyclette se faisait repérer par les traces d'échappées de gaz constantes facilement analysables par les satellites d'observations (S.O.). Quant aux transports inter-villes, nul engin ne pouvait s'arrêter, sauf cas de panne, secouru dans les dix minutes par une navette dépanneuse agrée. Impossible à incruster.
Un autre moyen, plus sophistiqué, rarement utilisé par les bannis, qui n'avaient que peu de connections avec les féodaux des zones, était de mic-maquer une identité informatique, chose faisable, mais demandant la complicité d'un comput de classe B, tous aux mains de l'union et des féodaux amis. Mais il savait fabriquer un comput de classe B, et personne ne le savait. Normalement, à l'heure actuelle, ils devaient être un certain nombre dans ce cas. Et c'est pour cela qu'il avait eu besoin de ce village qui lui rappelait tellement de souvenirs d'enfance.
Tous les ingrédients normalement devaient se trouver là. C'était à lui de finement jouer sa partie. Ici il n'y avait pas de féodaux, le village, quoiqu'assimilé à la loi sur les zones franches et parrainé par l'une d'elles, n'était pas assez vaste ou riche pour intéresser les féodaux. L'union le laissait "végéter".
Cela avait toujours contenté tout le monde, et dés que le N.I.E. était respecté, ne présentait aucun danger potentiel. Il avait six mois devant lui ! Six mois pour faire naître une lutte conspirative et l'utiliser à bon escient. De quoi prendre le temps de se payer une bonne bière fraîche et de repenser lentement aux moyens d'abattre ces foutus furieux puritains !