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Publié par Christian Hivert

Sur le rapport de Benjamin Stora : le conseiller contre l’historien
28 janv. 2021
 
 
Missionné il y a plusieurs mois par le président de la République, Benjamin Stora a remis, le 20 janvier 2021 son rapport relatif aux « questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie ». Ce rapport est une des pièces majeures d'une stratégie de reconquête politique destinée à remettre au goût du jour le « en même temps ». Les termes choisis par le conseiller-historien comme les propositions qu’il a élaborées s’en ressentent, gravement. Analyse.
 

"On ne conseille pas les grands et les princes impunément. La liberté, la morale et la vérité en sont toujours les premières victimes. Tu croies guider leurs pensées et leurs pas. Fol est ton orgueil. Si tu as leur oreille, c’est qu’ils ont subjugué ta plume. Souviens-toi ! Nul ne peut servir plusieurs maîtres. » Anonyme florentin de la Renaissance.

 

Missionné il y a plusieurs mois par le président de la République, Benjamin Stora a donc remis, le 20 janvier 2021, à Emmanuel Macron son rapport relatif aux « questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie. »

Que l’auteur dudit rapport soit un historien, reconnu pour ses nombreux ouvrages sur l’Algérie contemporaine et le conflit qui a ravagé le pays entre le 1er novembre 1954 et la signature des Accords d’Evian le 18 mars 1962, est sans incidence sur la nature politique de ce document.

Politique, il l’est en raison des mobiles qui ont incité le chef de l’Etat à le commander, de son contenu, des catégories mobilisées, du vocabulaire employé par celui qui l’a rédigé, des propositions qui y sont formulées et des usages qui en seront faits par l’exécutif dans les mois qui viennent.

Ces mois si importants pour l’actuel locataire de l’Elysée qui, de façon officieuse d’abord, officielle ensuite, sera en campagne. Nul doute que les commémorations à venir, en rapport avec la guerre d’Algérie, seront employées à cette fin.

On ne fera pas l’injure à Benjamin Stora de penser qu’il ignorait ce contexte, ces enjeux et le sens de la mission qu’il a acceptée de remplir. Les lignes qui suivent concernent non l’historien mais le conseiller qu’il est devenu lors du quinquennat de François Hollande avant de poursuivre dans cette voie à l’occasion de celui d’Emmanuel Macron.

Depuis un certain temps déjà et pour diverses raisons, le président flatte l’électorat de droite le plus conservateur voire le plus réactionnaire.

Entretien sur l’immigration, l’islam et la laïcité accordé à l’hebdomadaire Valeurs actuelles (31 octobre 2019), soutien réitéré en plein confinement à Philippe de Villiers et à son barnum ethno-centré, franchouillard et cocardier du Puy du Fou, qui est à l’histoire ce que l’alchimie est à la chimie, et relance du « débat » sur « l’identité nationale » à la fin du mois de décembre 2020 non sans avoir salué Nicolas Sarkozy et son courage passé lorsqu’il l’a initié quelques années auparavant.

N’oublions pas les propos convenus et laudateurs de son premier ministre, Jean Castex, tenus à une date particulièrement importante, le 1er novembre de l’année dernière. En laborieux ventriloque de la doxa chère au courant politique au sein duquel il a fait l’essentiel de sa carrière, il déclarait : on ne saurait « regretter la colonisation » puis en appelait à l’unité de la « communauté nationale » quoi doit « être fière de ses racines [et] de son identité. »

A persévérer dans cette voie, grand est le risque de s’aliéner un électorat plus centriste, progressiste et plus jeune[1] dont le chef de l’Etat a impérativement besoin pour triompher de nouveau.

Le rapport commandé à Benjamin Stora est une des pièces majeures de cette stratégie de reconquête politique destinée à remettre au goût du jour, sur des sujets particulièrement importants, le « en même temps » cher à qui l’on sait. Les termes choisis par le conseiller-historien comme les propositions qu’il a élaborées s’en ressentent, gravement.

« Guerre des mémoires », « communautarisation » de ces dernières, « compétition victimaire », « culture de repentance » : toutes sont supposées affaiblir dangereusement le « paysage culturel et politique » de la France.

Si la droite parlementaire a joué un rôle majeur dans la réactivation des polémiques portant sur la colonisation française en votant la loi du 23 février 2005 qui officialise une vision apologétique de cette histoire – soit écrit en passant cette loi scélérate, indigne d’un Etat démocratique, n’a jamais été abrogée -, Benjamin Stora ajoute peu après : ces « incendies de mémoire enflammées » ont été « surtout » allumés « dans la jeunesse. »

De cette dernière, le conseiller-historien ne dit rien de plus.

Sans céder si peu que ce soit à une lecture du soupçon, il est fort à parier que la jeunesse, ici désignée et accusée, est celle des héritiers de l’immigration coloniale et postcoloniale, et des quartiers populaires. Nul doute en tout cas, c’est ainsi que la majorité des lecteurs, dans les rangs du parti présidentiel, à droite, à l’extrême-droite et chez nombre de nationaux-républicains qui se disent de gauche, interpréteront ces lignes dans lesquelles ils verront la confirmation de leurs préjugés qu’ils tiennent pour de fortes pensées.

Le recours à ce vocabulaire hyperbolique et martial, comme à des métaphores empruntées au registre de la pyromanie, accrédite la thèse, répétée ad nauseam par les forces politiques précitées, selon laquelle des menaces d’une extrême gravité pèseraient sur l’unité de la République en raison des mobilisations irresponsables de divers « groupes communautaires » et générationnels.

Version particulière de « l’insécurité culturelle » que Benjamin Stora conforte ainsi en faisant siens les termes que l’on sait.

Etrange contamination du vocabulaire aussi, lequel est employé par ceux qui, défendant une vision passéiste et mythologique de la France, s’opposent avec véhémence à toute reconnaissance officielle des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis par les forces coloniales de l’Hexagone.

Plus encore, sous couvert de qualification, ces termes et ces images sont au service d’une opération politique grossière mais efficace : la stigmatisation de celles et ceux qui, depuis plusieurs dizaines d’années parfois, œuvrent pour cette reconnaissance, et la disqualification de leurs revendications.

Sans aucune distance analytique et critique, peut-être parce qu’il les partage, Benjamin Stora légitime ces éléments de langage et les représentations qu’ils véhiculent en lestant ces dernières de sa double autorité d’historien et de conseiller du prince investi d’une mission d’importance.

De là de nombreuses et fâcheuses conséquences.

Une recherche lexicographique centrée autour de quelques termes clefs en atteste.

« Crime de guerre » ? Inutile de chercher le syntagme, il n’est nulle part employé. « Crime contre l’humanité » ? Une seule occurrence. Elle renvoie à la déclaration faite par le candidat Emmanuel Macron à la chaîne de télévision algérienne Echorouk News en février 2017. A cette occasion, il avait qualifié la « colonisation de crime contre l’humanité » avant de se dédire dès son retour en France afin de ne pas heurter les cohortes d’électeurs indispensables à sa victoire.

Par contre, Benjamin Stora use et abuse du terme d’exactions – 12 occurrences – et de celui de « répression » - 13 occurrences - pour qualifier les actes commis pendant la colonisation et la guerre d’Algérie. Stupéfiante imprécision du langage et de l’analyse qui est en réalité une concession majeure à la doxa de saison bien faite pour satisfaire le chef de l’Etat et sa majorité hétéroclite, et ménager les nombreux débris de la droite et du centre que celui-ci entend rallier à sa cause dans les mois qui viennent.

« Exaction » l’enfumade de la tribu des Ouled-Riah dans la région du Dahra commise par le colonel Pélissier le 18 juin 1845 au cours de laquelle une tribu entière – vieillards, hommes, femmes et enfants désarmés – a été asphyxiée dans la grotte où ils avaient trouvé refuge ? Crime contre l’humanité commis en application des ordres donnés par le général Bugeaud à ses subordonnés. « Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, fumez-les à outrance comme des renards », avait-il déclaré peu avant. Ainsi fut fait par Pélissier, Saint-Arnaud et Canrobert, notamment.

A propos de la conquête et de la colonisation de l’Algérie, à partir des années 1840 et des méthodes employées par les colonnes infernales commandées par ces officiers, ajoutons que ce rapport est remarquablement lacunaire alors que cette période fut le théâtre de violences extrêmes, de spoliations massive et de destructions majeures. De là aussi une paupérisation et des crises sanitaires catastrophiques. Une « véritable vivisection sociale », écrit, par exemple, Pierre Bourdieu de la loi Warnier votée en 1873 et destinée à désagréger « les structures fondamentales de la société et de l’économie.[2] » Le bilan est terrible puisqu’en 1872 l’effondrement démographique est d’environ 875 000 personnes, selon le spécialiste de l’époque, René Ricoux[3].

« Répression » à Sétif, Guelma et Kherrata commise par l’armée française et des milices coloniales à partir du 8 mai 1945, écrit aussi l’historien avant d’user, avec prudence et en citant l’ambassadeur de France, Bernard Bajolet, du terme de « massacre ». Deux vocables très en deçà de la qualification juste et précise des faits. Les « indigènes » assassinés et exécutés sommairement – près de 40 000[4] - l’ont été pour des motifs politiques et raciaux, et en vertu d’un plan concerté, soit très exactement les éléments constitutifs d’un crime contre l’humanité tel qu’il est défini par l’article 212-1 du Code pénal.

« Exactions » la torture, les disparitions forcées, les exécutions extra-judiciaires et la déportation de plus de deux millions de civils « musulmans » forcés de vivre, pendant la guerre d’Algérie, dans des camps ce qui représentait alors un quart de la population du pays[5] ; le tout organisé par l’armée française avec l’aval des autorités politiques de l’époque ?

Crimes de guerre et crime contre l’humanité encore.

Rappelons à l’oublieux conseiller Benjamin Stora, qui mentionne ces faits et à ceux qui saluent béatement son rapport, que grâce à l’obstination de l’avocat Louis Joinet une convention internationale, ratifiée par la France puis entrée en vigueur le 23 décembre 2010, fait de la disparition forcée un crime contre l’humanité. Trois ans plus tard, le code pénal reprend cette qualification – art. 211-1- et définit ladite disparition dans l’article 221-12.

« Sanglante la répression » des manifestants rassemblés pacifiquement à l’appel du FLN dans la capitale et en région parisienne le 17 octobre 1961 pour protester contre le couvre-feu raciste qui leur était imposé ? Massacres et crime d’Etat que la regrettée Simone Dreyfus, en bonne avocate qu’elle était, qualifiait aussi de crime contre l’humanité dans un ouvrage collectif[6] auquel Benjamin Stora a également participé. De même Jean-Luc Einaudi dont le nom et les travaux ne sont même pas cités dans ce rapport et la bibliographie alors qu’on lui doit deux ouvrages majeurs sur la « sale guerre » menée à Paris par le préfet Maurice Papon contre le FLN[7].

Est-il nécessaire de qualifier cet oubli ?

Cette brève liste peut être aisément complétée[8], elle n’en révèle pas moins une indigence terminologique et analytique qui ne laisse pas d’étonner car le conseiller Benjamin Stora connait ces événements meurtriers et dramatiques.

Plus encore, l’usage réitéré du terme « d’exaction », conjoint à une synthèse partielle, partiale et fragmentaire des nombreuses guerres menées en Algérie par la France depuis 1830, accrédite l’opinion selon laquelle de telles pratiques seraient exceptionnelles alors qu’elles furent structurellement liées à la domination coloniale.

Ajoutons que cette dernière est également indissociable d’un racisme d’Etat dont témoignent le code de l’indigénat adopté le 9 février 1875 et les nombreuses discriminations établies de jure contre les « indigènes » puis, pour certaines d’entre elles, maintenues de facto après 1945 à l’endroit des « Français musulmans d’Algérie ».

Quant aux tortures, aux exécutions sommaires, aux déportations des civils et aux massacres, ils sont la règle lorsque les autorités estiment que l’ordre colonial est gravement menacé et qu’il doit être rétabli quoi qu’il en coûte.

« Mal nommer les choses », ce n’est pas seulement « ajouter au malheur de ce monde », (Albert Camus), c’est aussi ajouter la confusion à la confusion et trahir ce qui ne devrait pas l’être : la « volonté de savoir » et « le courage de la vérité » (Michel Foucault) sans lequel la première ne peut longtemps persévérer et parvenir à ses fins.

La cause de cette situation singulière ?

Celle-ci sans aucun doute : le Benjamin Stora historien a capitulé devant le Benjamin Stora devenu conseiller pour permettre au second de présenter à Emmanuel Macron un programme commémoriel congruent à ses desseins électoraux. Afin de ne pas heurter certains groupes mémoriels au mieux conservateurs, au pire réactionnaires, et justifier par avance, conformément aux desiderata du chef de l’Etat, l’absence de reconnaissance officielle des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité perpétrés par la France, il fallait euphémiser ces derniers pour mieux rejeter cette revendication en faisant croire qu’elle est dangereuse, irresponsable et inutile.

De la pusillanimité politique à la pusillanimité intellectuelle puis rédactionnelle, la distance, souvent, est fort courte ; Benjamin Stora l’a rapidement franchie. La forme et le contenu de son rapport en attestent. Pourtant, il fut un temps, en 2002[9], où ce dernier écrivait que de tels crimes avaient été perpétrés en Algérie, et regrettait qu’ils ne soient pas ainsi nommés. Preuve, s’il en était encore besoin, que le conseiller s’est imposé au détriment de l’historien.

Quant à l’exemple très partiel du Japon, mobilisé par l’auteur, il permet de renforcer ce refus de la reconnaissance en faisant croire que cette position partisane, et conforme aux orientations présidentielles, repose sur une comparaison internationale sérieuse, probante et objective.

Ce tour de passe-passe argumentatif convaincra sûrement les ignorants et les idéologues mais il occulte ceci : nombreux sont les pays qui ont solennellement reconnu s’être rendus coupables de crimes coloniaux d’une extrême gravité.

A preuve. Le 10 juillet 2015, le gouvernement allemand admet que les forces du général Lothar von Trotha ont commis, entre 1904 et 1905, un génocide contre les tribus hereros et namas dans la colonie allemande du Sud-Ouest africain (actuelle Namibie). A la suite de cette reconnaissance, l’Allemagne a proposé 11,7 millions de dollars au titre des réparations. Le 12 Septembre 2015, « le gouvernement britannique reconnait que les Kényans ont été soumis à des actes de torture et à d’autres formes de maltraitance de la part de l’administration coloniale. » (Libération, 14 septembre 2015). Ces mots sont inscrits sur le mémorial, financé par la Grande-Bretagne et érigé à Nairobi, pour rendre hommage aux milliers « d’indigènes » massacrés par les troupes de sa Gracieuse majesté lors du soulèvement des Mau-Mau dans les années 1950.

Quant aux Etats-Unis en 2000, à la Nouvelle-Zélande en 2002, au Canada en 2006 et à l’Australie en 2008, tous ont admis que des traitements indignes avaient été infligés aux populations autochtones de leur territoire respectif. Dans plusieurs cas cette reconnaissance politique a été complétée par des allocations financières ou matérielles attribuées aux victimes ou à leurs descendants[10].

Une nouvelle fois et sur un point capital, le conseiller Benjamin Stora s’est imposé à l’historien en s’autorisant ce que ce dernier ne s’autoriserait pas et n’autoriserait à un-e étudiant-e- de master. En effet, l’exemple japonais mobilisé est d’une partiellité inacceptable puisqu’il repose sur l’ignorance ou l’occultation de tous les autres ; ceux-là même qui contredisent l’orientation politique défendue par l’auteur du rapport.

Très singulière liberté, pour le moins, prise avec les règles élémentaires de la recherche et de la probité intellectuelle.

Enfin, soutenir que de tels actes seraient inutiles, c’est conjoindre la méconnaissance de leurs effets éminemment positifs et réparateurs pour les personnes concernées, à l’aveuglement d’un jugement aussi péremptoire qu’inique.

Ces quelques rappels, que le conseiller Benjamin Stora semble ignorer, prouvent ceci : la position qu’il défend, en cautionnant les opinions de ceux qui se sont toujours opposés à la reconnaissance pleine et entière des crimes d’Etat commis par la France en Algérie, est minoritaire à l’étranger. Une fois encore, la République et ses représentants divers, qu’ils soient à l’Elysée, au gouvernement ou dans la docile majorité présidentielle, font preuve d’un conservatisme aussi indigne qu’injuste à l’endroit des victimes, et d’un mépris confondant pour les femmes et les hommes qui, dans ce pays, se mobilisent depuis des décennies pour faire connaître et reconnaître ces événements criminels.

Eux savent que sur ces sujets la fausse monnaie des pompeuses cérémonies officielles chasse la bonne, et qu’elles sont en partie conçues pour cela.

Les préconisations élaborées par le conseiller-historien le confirment : la multiplication des commémorations, et des gestes symboliques et partiels, permet de donner le change et d’offrir au chef de l’Etat comme aux différentes catégories de citoyens qu’il courtise du grain à moudre en refusant l’essentiel.

Et l’essentiel peut être ainsi résumé : une déclaration précise et circonstanciée dans laquelle les crimes seraient enfin qualifiés, leur adresse clairement indiquée : l’Etat français, son armée, sa police et ses milices coloniales, sans oublier l’hommage dû à toutes les victimes des innombrables guerres menées en Algérie depuis 1830.

A défaut, la réconciliation tant vantée demeurera une formule incantatoire bien faite pour les périodes électorales et les envolées diplomatiques ronflantes qui, depuis des années, n’engagent à rien et ne changent rien.

Comment rendre véritablement hommage aux innombrables algérien-ne-s torturés, exécutés sommairement, massacrés et violés alors que, pour l’essentiel, leurs bourreaux ne sont plus et que la justice française a toujours refusé de juger ces derniers en vertu des dispositions d’amnistie – le décret du 22 mars 1962, entre autres, – adoptées à la suite des Accords d’Evian ?

Comment satisfaire leurs revendications et celles des héritier-e-s de l’immigration coloniale et post-coloniale en butte à des discriminations mémorielles et commémorielles qui s’ajoutent à toutes celles, systémiques, qu’ils subissent par ailleurs ?

A ces questions majeures, le rapport du conseiller Benjamin Stora n’apporte aucune réponse satisfaisante. Seule la reconnaissance, dans les conditions précitées, permettrait de faire droit aux exigences de dignité, de vérité et de justice des uns et des autres. Et relativement aux seconds de leur signifier qu’ils sont enfin identifiés comme des égaux et des citoyens à part entière dont l’histoire particulière a désormais droit de Cité et droit d’être citée.

En dépit des affirmations réitérées de leurs contempteurs, de telles revendications ne sont pas exclusives, « communautaristes » ou favorisées par un ressentiment « victimaire » ; ceux qui les soutiennent n’exigent nullement de faire l’objet d’un traitement particulier grâce auquel ils jouiraient de prérogatives exorbitantes ou d’un statut singulier.

Au contraire, ils ne cessent d’affirmer ainsi qu’ils veulent être pleinement reconnus comme membres de cette société par cette société qui, jusqu’à présent, les a au mieux maintenus ou relégués dans les marges sociales, politiques, symboliques et mémorielles, au pire traités comme des ennemis intérieurs supposés incarner une menace existentielle pour le pays.

Alors que le soixantième anniversaire des massacres du 17 octobre 1961 approche, de même celui de l’indépendance de l’Algérie quelques mois plus tard, les atermoiements réitérés, les manœuvres dilatoires, les triangulations improbables synonymes de lâches renoncements, la pusillanimité électoralement intéressée, les misérables calculs personnels et partisans, les ambitions dévoyées, les euphémisations mensongères et odieuses aux victimes, les concessions indignes faites aux forces les plus conservatrices de ce pays doivent cesser.

Candidat-e-s à l’élection présidentielle, déjà déclarés ou à venir, vous serez aussi jugés sur les positions que vous défendrez sur les sujets qui nous occupent. D’ores et déjà prenez cet engagement solennel qui pourrait être ainsi libellé : « l’Etat français reconnaît les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité qu’il a commis et fait commettre par ses forces armées et de police au cours de la colonisation de l’Algérie (1830-1962). »


Olivier Le Cour Grandmaison, universitaire. Derniers ouvrages parus : « Ennemis mortels ». Représentations de l’islam et politiques musulmanes en France à l’époque coloniale, La Découverte, 2019 et, avec O. Slaouti (dir.), Racismes de France, La Découverte, 2020.

[1]. S. Diffalah et N. Funès, journalistes de L’Obs, ne s’y trompent pas. « Les préconisations du rapport, (…) qui pourraient donner lieu à des événements de réconciliation dans les prochains mois, visent aussi à rapprocher la macronie d’une partie de la jeunesse et de la gauche », écrivent-elles. L’Obs, n°2934, 21 janvier 2021, p. 41.

[2]. P. Bourdieu, Sociologie de l’Algérie, (1961), Paris, PUF, 2010, p. 120.

[3]. Voir R. Ricoux, La Démographie figurée de l’Algérie, Paris, Masson, 1880.

[4]. Voir notamment, A. Rey-Goldzeiguer, Aux origines de la guerre d’Algérie 1940-1945, Paris, La Découverte, 2001 et J-L. Planche, Sétif 1945. Histoire d’un massacre annoncé, Paris, Perrin, 2006.

[5]. M. Rocard, Rapport sur les camps de regroupement et autres textes sur la guerre d’Algérie, (1959), Paris, Mille et Une Nuits, 2003.

[6]. Voir O. Le Cour Grandmaison, (dir.), Le 17 octobre 1961. Un crime d’Etat à Paris, Paris, La Dispute, 2001.

[7]. J-L. Einaudi, La Bataille de Paris. 17 octobre 1961, Paris, Seuil, 1991 et Octobre 1961. Un massacre à Paris, Paris, Fayard, 2001.

[8]. Sur les crimes commis par l’OAS et les nombreuses victimes de cette organisation terroriste, voir également l’analyse de Jean-Philippe Ould Aoudia qui écrit : « Non monsieur Stora ! Nous n’acceptons pas que la réconciliation (…) se fasse au détriment de la mémoire des victimes de l’OAS et de la négation de la souffrance de leur famille. » Président de l’association Les Amis de Max Marchand et Mouloud Feraoun, J-Ph. Ould Aoudia n’a jamais été consulté par l’historien lors de la rédaction de son rapport. Algérie/France : Le rapport Stora, une mémoire hémiplégique ...

[9]. B. Stora, Histoire de la guerre d’Algérie (1954-1962), Paris, La Découverte, 2002, p. 101.

[10]. Voir J-L. Tin, De l’esclavage aux réparations. Les textes clés d’hier et d’aujourd’hui, Paris, Les Petits Matins, 2013 et M. Bessone, Faire justice de l’irréparable. Esclavage colonial et responsabilités contemporaines, Paris, Vrin, 2019.

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