Pudeur et débauche : Christiane Rochefort
Paris (France) : L’Agence Information Enfance publie le premier numéro de la revue Possible, consacrée à l’éducation alternative en 1976.
Quelques mois plus tard parait l’œuvre de Christiane Rochefort "Encore heureux qu'on va vers l'été"
en 1982 voici un de ses témoignagnages :
« Ce sont les adultes qui parlent pour les enfants, comme les blancs parlaient pour les noirs, les hommes pour les femmes. C’est-à-dire de haut, et de dehors.
» Entre les adultes qui parlent des enfants comme ils le veulent, et les enfants qui ne peuvent pas parler pour eux-mêmes, la passe est étroite. Et la mystification se porte bien.
» Il faudrait pourtant sortir de là.
» Mais être “adulte” après tout n’est qu’un choix, par lequel on s’oublie, et se trahit. Nous sommes tous d’anciens enfants. Tout le monde n’est pas forcé de s’oublier. Et dans la situation dangereuse où le jeu adulte aveugle nous a menés, et veut entraîner les plus jeunes, l’urgence aujourd’hui presse un nombre croissant d’anciens enfants qui n’ont pas perdu la mémoire de basculer côté enfants.
» Ayant longuement vécu dans la cité, on connaît la mécanique du jeu adulte. On peut en montrer les rouages.
» Comme ancien enfant qui a gardé la mémoire, on se souvient que la dépendance nous mettait un bâillon, et que l’éducation nous bandât les yeux, nous imposant non seulement des conduites mais des façons de sentir, conformes au projet adulte, et qui invalidaient notre expérience. On peut le dire, et confirmer l’expérience. On ne parle pas du dehors, “sur” les enfants, on parle du dedans, et de soi.
» Ce n’est pas un travail objectif. Mais les enfants ne sont pas des objets.
» C’est dans cette marge étroite que se situe cette tentative : il faut commencer par quelque part.
» Cela implique que, si pas comme enfant, c’est comme ancien enfant qu’il faudrait regarder ce qui suit. »
Pudeur et Débauche montent un bateau
Il faudrait tout de même démasquer une manipulation que je n’ai guère vu dénoncée : l’amalgame entre la brute qui pourfend et des gens, quel que soit leur âge, qui vivent une relation d’amour, de tendresse, confiance réciproque.
Cet amalgame, c’est le moyen vicieux de salir sans preuve : on salit d’abord ; par des allusions on fait accroire au bon peuple que des choses horribles se passent. Après quoi, il suffit de quelques broutilles pour ficeler le tout.
Comparés aux flots d’encre qu’on a sorti, les dossiers du Coral et de Possible sont d’un vide béant.
Y a rien du tout et tout le monde le sait. Ces personnes encore en prison ou inculpées sont devenues une anomalie.
Ah mais l’affaire est juteuse. À travers les inconscients, depuis la police des mœurs, le juge spécialisé, transitant par des média en état de turgescence, pour aboutir dans les intérieurs secrets des honorables frustrés, s’écoule un torrent boueux, avec production en fin de chaînes de fantasmes à la hussarde : imaginez un peu l’effet d’une phrase comme : « Un enfant pour la nuit » (Témoignage chrétien, attribuée à un témoin anonyme). Et d’autres, des dizaines d’autres crousti-crousti. Qu’est-ce sinon un appel refoulé, une, eh oui, incitation à la débauche ? Secrète, intime généralisée, et impunie.
C’est si exact que lorsque le flot risque de se tarir faute de faits réels, on fait rebondir. L’accusateur du Coral se dédit ? hop, on en tire un autre du placard. Le dossier du directeur de Possible s’avère désespérément vide, hop on exhume des photos qui ne veulent rien dire mais ça ne fait rien c’est reparti. Bien que privé, c’est en fait du spectacle. Une vraie usine à fantasmes.
À l’enseigne de la loi. La loi imperturbablement seule à ne pas avoir enregistré le fait constaté (et éventuellement exploité commercialement) d’une sexualité - sans parler d’une capacité d’aimer qui la regarde encore moins - des citoyens au-dessous de quinze ans. On sait que les filles de 13 ans prennent la pilule, et les garçons ne valent pas mieux comme dit la chanson, ils nous le diraient eux-mêmes si on ne leur inspiraient de la peur et souvent du dégoût. D’ailleurs ils vont peut-être finir par nous le dire un de ces jours. J’espère.
La loi qui s’institue gardienne d’une morale que la société qu’elle soutient a fait voler en morceaux pour faire marcher son commerce. Qui conserve en ses textes des mots qui ne font plus sens : « pudeur » ; « débauche », qui dit ça sans rire ? ladite pudeur étant définie du dehors évidemment, c’est ma ta-pudeur. Et la débauche eh bien, allez savoir où ça commence ; serais-je juge, je pourrais mettre en cabane les marchands de jouets de Noël, pour incitation à. C’est à la discrétion de l’utilisateur de la loi.
Laquelle opère sous couvert de protection : belle protection, qui ordonne l’examen sur table des voies sexuelles, filles ou garçons (vous entendu parler de l’anuscope ?) supposé avoir quoi que ce soit hors de sa famille. En fait d’attentat à sa pudeur qu’est ce qu’on peut faire de mieux ? Et quel pire traumatisme ? Et quelle salissure, sur ce qui est peut-être pour le dit « enfant » une relation véritable ?
Plus que le châtiment les enfants redoutent le regard des adultes : on sait que ce regard salit.
Car ils ne savent qu’un rapport, les respectables adeptes du coït majeur. L’embrochage. Et ils projettent sur tous les autres la seule image du sexe qu’ils connaissent : violence, agression. Ce qui dit aussi : bassesse. Non relation. Solitude, Misère sexuelle. Ils jugent selon leurs propres fantasmes. Et par là les trahissent. Le puritain le plus activiste est celui qu’habitent les fantasmes de viol, tout puritain est un violeur potentiel.
Au fait, est-ce qu’ils se soucient de ce que les enfants vivent, eux, de leur côté ? Dans les affaires dites de « pédophilie », les enfants sont les grands absents. On ne leur demande pas leur avis. On les interroge, du haut d’un pouvoir qui ne peut que les faire taire. On les examine, on leur file des neuroleptiques et des électrochocs. C’est ça, leur « bien ».
Qui leur parle ? Qui les respecte ? Qui les voit comme des personnes ?
Justement, ceux-là sont en prison ou inculpés. Comme c’est intéressant.
Et comme cela rend clair que leur interdit, c’est en somme que l’on vive, et que l’on aspire plus haut que leur misère.