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Publié par Christian Hivert

chine-yang-tseDans l'appartement communautaire, les rapports étaient courtois, il devait s’efforcer de ne pas donner son avis à tout moment, mais au contraire, attendre l'attention. L'histoire des blêmes avait suscité beaucoup de discussions. Dés qu'il s'agissait de décrire les faits et de se laisser porter à l'indignation, tous étaient d'accord plus ou moins. C'est quand il s'agissait de trouver des solutions, pour venir à bout de cette situation, et d'envisager un travail en commun, donc de mesurer l'investissement de chacun, que les contradictions apparaissaient. De plus, ils étaient tous célibataires, travailleurs protégés, n'avaient pas d'enfants, et ne pouvaient sentir dans leur chair l'attitude désemparée des parents de ces mômes qui se faisaient rafler. Nicole vivait là depuis six mois, elle avait l'attitude la plus pieuse et la plus généreuse du groupe. De par son travail en zone aérée du processus, elle était responsable des progratiels d'une unité de production de composants biologiques pour l'électrochimie de pointe, elle avait une conscience aiguë des disparités des modes de vie entre zone aérée par le processus et ville bidon. Elle connaissait aussi les limites des fonctionnaires gestionnaires du Conseil dans leurs velléités de faire bouger quoi que ce soit. Elle connaissait également le manque d'intérêt que pouvait porter le grand Conseil de la zone à leurs problèmes de survie. Cela faisait deux ans qu'elle attendait d'avoir son logement à elle pour enfin s'y établir et y vivre. Cela faisait six mois qu'elle était réduite à partager une grande partie de son intimité avec six personnalités différentes qu'on lui avait imposé, dans un environnement qu'elle n'avait pas eu le loisir de choisir.

 

Et pour elle, cette histoire de blêmes était une charge trop lourde pour ses propres capacités de raisonnement. Elle paniquait, tentait de se rassurer en se disant qu'au moins elle vivait dans un espace gardé, préservé, qu'elle n'avait qu'à pas aller mettre les pieds hors du pourtour de sécurité, elle n'arrivait pas malgré tout à se dire définitivement qu'elle ne craignait rien. Aussi elle était prête à toutes les solutions qui ne l'obligeraient pas à sortir de son trou. Elle voulait bien prier et espérer que cela s'entendrait, elle voulait bien signer une pétition pour forcer les autorités à prendre des décisions compétentes, elle voulait bien aider à fournir des vivres, des médicaments, des vêtements, elle n'usait pas de tout son crédit de valeurs, elle pouvait en consacrer un peu pour cela, mais surtout que l'on la laisse tranquille bien au chaud, elle avait assez de problèmes comme ça, et si peu de temps pour elle-même, il y avait bien d'autre gens qui pouvaient s'en charger, les parents, par exemple, il fallait responsabiliser les parents. Eventuellement même elle pouvait consacrer un après-midi de sa fin de semaine de repos pour aller arpenter le Boulevard des manifestations et hurler son indignation, mais pour le reste, non, vraiment, elle n'y pouvait rien, cela ne dépendait pas d'elle, cela ne pouvait pas dépendre d'elle. Et la panique, cela se sentait aux alentours de l’hystérie, était véritablement trop forte, il valait mieux ne pas chercher à la convaincre, elle risquait de craquer !

 

Il y avait aussi Arthur qui était dessinateur graphique dans une unité de fabrication de pièces pour usines robots, cela faisait trois ans qu'il était là lui, et il semblait apprécier ce mode de vie, de temps à autre il présentait une nouvelle amie qui disparaissait dans sa chambre et pour laquelle il cotisait un peu plus que d'habitude aux approvisionnements alimentaires de l'appartement. Quand, rarement il est vrai, l'une d'elles restait plus longtemps que quelques jours, on voyait Arthur plus souvent dans la cuisine. Il essayait alors de mijoter un repas collectif afin de les réunir tous autour de la grande table. Ils ne mangeaient d'ailleurs pas toujours ensemble. C'était selon. Nicole pouvait facilement passer plusieurs journées sans ne rien toucher à quoi que ce soit de collectif dans l'appartement si ce n'est l'une des trois douches qu'elle occupait méthodiquement deux fois par jour. On ne la voyait alors que dans les couloirs. Personne ne lui connaissait d'aventures et elle n'avait pas de relations connues, elle rentrait sagement tous les soirs, parfois traînait devant le mur d'images du salon, en apparence sans passion et sans grande influence sur l'ambiance générale. Ce n'était véritablement que lorsqu'elle parlait d'un problème quelconque qu'elle se laissait aller à ne pas maîtriser la fébrilité et l'inquiétude qui suintait de tous ses points de vue, de tous ses raisonnements, de toutes ses prises de position.

 

Elle était jeune, légèrement fluette et un peu jolie. Arthur avait tenté un moment de s'intéresser à elle, mais elle lui avait fait très sportivement remarquer que ça ne serait plus très commode ni pour l'un ni pour l'autre de briser une liaison entamée s'ils devaient continuer de demeurer au même appartement. Comme elle n'était pas disposée à déménager tant qu'elle n'aurait pas obtenu son logement et que Arthur lui-même n'était certainement pas prêt à lâcher ses petites habitudes, peut-être valait-il mieux entrevoir leurs relations sous un autre angle que purement charnel ou impurement affectueux. Il avait été tellement surpris de cette prévision mécaniquement débitée qu'il n'avait plus jamais insisté . Tout juste, lorsque cela faisait un moment qu'il n'avait pas ramené de nouvelle amie la regardait-il passer dans le couloir ou s’ingéniait-il mollement et sans conviction à sortir de sa chambre juste à l'instant où elle ouvrait la porte de la salle de bain.

"Bonsoir Arthur !"

"Soir Nicole !"

Pour le peu de peau rose et fraîche qu'il y avait à surprendre, cela ne méritait pas de tenter de s'attarder à une plus ample discussion.

 

Ce soir Claire, qui était professeur de musique dans un collège de la périphérie de la cité gardée, était rentrée et avait mis un mot pour chacun sur sa porte afin de s'enquérir de ce que l'on pouvait décider au sujet des blêmes. Si chacun était disponible pour en parler à nouveau ce soir au cours du repas. Suivait le menu qu'elle avait composé pour l'occasion et ses habituelles recommandations sur la ponctualité, l'expression de sa cordialité et tout ce qu'elle estimait nécessaire à l'entretien de son image de marque de mère de foyer d'une cinquantaine d'années qui avait l'obligeance de bien vouloir considérer tous les occupants successifs de l'appartement comme ses enfants un peu irresponsables. Et elle raffolait littéralement de sa littérature de cheftaine de scouts. Les exemplaires variés abondaient de son génie à infantiliser l'exécution des différentes tâches domestiques et à comptabiliser et rappeler courtoisement les multiples bonnes et saines règles de la vie communautaire sans lesquelles la vie serait un enfer, heureusement qu'elle était là. La plupart des gens était si inattentionnés, si tête en l'air. Au dessus de l'évier cela donnait par exemple : "Une assiette non rangée est une assiette resalie", un peu plus bas sur la gauche du carrelage : "Si l'on range l'éponge sans la rincer, elle se putréfie et pue", au dessus du monte charge de provisions : "Prévoir suffisamment n'empêche pas de prévoir sagement", sur la porte du réfrigérateur : "Il est inutile de mettre à rafraîchir des récipients vides et sales". Ainsi de suite.

 

Roger, lorsqu'il était à l'abri des regards indiscrets s'amusait à les décoller et les recoller plusieurs fois de suite afin d'user l'autocollant et que le papier finisse sa loyale servitude au fond du récupérateur différentiel de déchet. Alors peu de temps après un autre petit papier venait très courtoisement et spirituellement rappeler qu'il fallait débrancher le grill pain après s'en être servi, éteindre la cafetière en partant le matin, mettre à nettoyer ce dont on s'était servi, etc...

 

Claire, pour le moment, programmait les différents manipulateurs électriques de la cuisine afin de concocter son petit repas. Une fois par semaine elle invitait ses petits, et tous les autres jours elle s'incrustait tôt dans la cuisine, prenait place et se faisait faire de la compagnie par toute personne disponible dans les lieux.

 

Roger hésitait, tergiversait. Allait-il rentrer tout de suite, ou au contraire flâner sur l'esplanade fleurie de bistrots et de magasins automatiques de vivres et de vêtements. Certains allaient faire leurs emplettes presque chaque jour en rentrant du travail. Ils rentraient dans une boutique à l'aide de leur carte de crédit de valeur. Choisissaient les marchandises qui leur convenaient et soit se faisaient livrer par mini container pneumatique directement à la réception des valeurs de l'étage où ils habitaient, soit emportaient leurs courses avec eux ; en refranchissant les portes en verre blindé, les marchandises lasero-graphiées étaient directement débitées sur leur compte, un décompte des valeurs restant disponibles leur était accessible à l'aide de leur numéro confidentiel. Si les marchandises faisaient dépasser le crédit restant ou si des marchandises avaient été consommées dans le magasin, les contrôles automatiques faisaient leur office et les portes refusaient de s'ouvrir tant que les contrôleurs et les gardiens de valeurs n'avaient pas réglé le litige et prévu la sanction pour l'infraction commise. Si toutefois la personne indélicate acceptait d'aller se placer d'elle même dans une cabine d'attente prévue pour ce genre de cas au fond du magasin, les portes acceptaient alors de se rouvrir pour la libre circulation des autres clients. C'était d'ailleurs souvent ceux-ci, par souci de ne pas perdre trop de temps, qui contraignaient le contrevenant à aller s’asseoir tranquillement pour attendre les contrôleurs. La sanction pouvait alors avoir plusieurs degrés de coercition envers le malheureux. Et les exemples de solidarité envers sa situation étaient rares. Ce qui faisait qu'en fait le recours à cette méthode d'approvisionnement n'était guère utilisé par les déficitaires de moyens de survie qui préféraient s'entraider mutuellement et survivre de peu. Cela avait surtout trait à la honte éprouvée de se voir déclasser publiquement et montrer du doigt comme incapable de faire les efforts nécessaires à sa survie, donc inutile, parasite et malfaisant.

 

Certains, rares il est vrai, connaissant bien les échelles des punitions réservées aux différents cas de déroutage de valeurs faisaient leurs achats légèrement à crédit, amputant d'avance leur somme de valeurs mensuelle suivante. Mais ils ne pouvaient récidiver trop souvent. Alors comme les moyens de survie manquaient à beaucoup, un véritable trafic parallèle non réglementé s'était historiquement mis en place, adapté aux exigences des époques, et propagé dans l'ensemble de la population de ces cités réservées qui se trouvaient être le siège des bandes de pirates alimentaires de toute la zone. Ils contrôlaient le trafic et se faisaient élire aux postes importants des organismes de gestion de la cité et éventuellement, s'ils étaient suffisamment puissants et avaient de bons alliés, pouvaient se retrouver aux fonctions alléchantes de direction des organismes de gestion dépendant du grand Conseil de la zone. D'aucuns murmuraient qu'ils étaient même directement investis dans les affaires du processus, on les appelaient les barons, ils se réfugiaient tous dans les villages anciens encore préservés de la zone où ils s'étaient rebâtis au cours des décennies une petite vie insouciante en compagnie de leurs domestiques et de leurs travailleurs les plus directs. Ils habitaient des maisons ou d'anciens immeubles rénovés entièrement de manière à pouvoir y faire pénétrer l'ensemble des découvertes de l'automisation de la vie domestique. Leurs crédits de valeurs étaient quasiment illimités, ils pouvaient entrer où ils voulaient et prendre ou faire prendre pour eux n'importe quel objet de leur convoitise, mis à part si le dit objet appartenait déjà à un autre baron ou un garant du processus. Les ordinateurs et les gestionnaires psychopolitiques du processus laissaient ce pouvoir économique se développer à son gré. Ils n'y intervenaient que pour réguler un déséquilibre menaçant pour la tranquillité sociale et faisaient également des alliances. Ils leurs arrivaient aussi d'avoir à combattre un baron ou un consortium de barons afin de les remettre à leur place s'ils se montraient trop gourmands, mais cela se faisait quasiment automatiquement. Les courbes de fluctuations des indices étaient toujours harmonieuses, c'était même pour cela que le processus avait été créé, alors on pouvait lui faire confiance. Les mécanismes de compétition de l'âme humaine étaient maîtrisés et canalisés et ceux qui méritaient du processus avaient le droit d'en partager les fruits à égalité de droit et en proportion de leurs mérites. Même si les barons n'avaient pas d'accointances particulières avec le processus ils pouvaient se procurer à bon prix les cartes de valeurs nécessaires à leur établissement aéré dans l'une des villes de leur choix, cela importait peu, mais en général ils préféraient se réapproprier les villes et villages tombés en déshérence et les modeler selon leurs souhaits, en faire leurs domaines, ou s'associer pour prendre le contrôle de certaines villes, ils étaient plus tranquilles.

 

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