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Publié par Christian Hivert

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Quelle est la différence entre Papon et un mutin de 1917 ?

Un moyen pour le savoir : l'étude de l'obéissance, ou le fascisme au laboratoire.

C'est un bon père de famille. Fier d'être admis dans un labo universitaire. Il sert d'assistant pour une expérience concernant l' "effet de la punition sur la mémoire". En face de lui, le "cobaye" qui doit apprendre une liste de mots. Le père de famille a reçu des consignes précises : à chaque erreur du cobaye, il doit appuyer sur une manette, qui lui balance une décharge de plus en plus forte, jusqu'à 480 V. Voyez comme il crie et gesticule. Mais ce que le père de famille ne sait pas, c'est que le cobaye ne reçoit aucune décharge. Qu'il joue la comédie. Que le vrai cobaye, c'est lui, le père de famille. Et qu'on est en train de mesurer jusqu'où peut aller son obéissance à l'autorité.

Contre la soumission : des idéaux

Ce scénario a été imaginé à la fin des années 60 par le psychologue américain Stanley Milgram. Il voulait comprendre comment des gens "normaux", cultivant des géraniums et jouant avec les gosses, ont pu déchirer des vagins et asphyxier des bébés à Auschwitz et Treblinka. L'expérience, répétée plus de 1 000 fois, a permis de révéler une foule de choses sur la psychologie du tortionnaire. D'abord, qu'environ deux tiers des participants "électrocutent" sans broncher. Femmes ou hommes, jeunes ou vieux, universitaires ou analphabètes, tous affichent la même servilité. Avec d'autant plus de zèle que le labo semble "officiel" et "prestigieux". Le seul moyen pour réveiller un reste de conscience, c'est le regard réprobateur d'un pair : si un complice du chercheur feint de se rebiffer contre le procédé, le taux d'obéissance chute jusqu'à 20%.

Il reste, bien sûr, ce tiers de rebelles qui finissent par rejeter l'expérience. " C'est généralement parce qu'ils ont intériorisé un fort idéal, chrétien ou communiste, par exemple ", explique le psychologue Adam Kiss. Ce qui leur permet de conserver un état " autonome ", où ils n'obéissent qu'à leurs propres normes. Alors que Milgram nomme l' "état agentique", où ils délèguent toute responsabilité à l'autorité en place.

Autre expérience édifiante, réalisée par le Pr Jean-Léon Beauvois. Un groupe de volontaires est censé participer à une épreuve d'endurance. Durant plusieurs jours, certaines pratiques leur sont interdites ( fumer... ), et d'autres prescrites ( manipuler des serpents... ). Un second groupe subit la même épreuve, mais à la nuance près qu'ils peuvent interrompre à tout moment l'expérience. Eh bien, croyez-le ou non : non seulement ils obéissent autant que le premier groupe, mais en plus ils invoquent un tas de prétextes pour justifier leur soumission. Ce qui fait dire à Adam Kiss qu' "une société dite libre ne l'est pas forcément plus qu'une autre, mais on y rationalise le manque de liberté ". Bref, d'Auschwitz à Santiago du Chili, ce n'est pas tant la crainte de la punition que la soumission "babouinesque" des bourreaux à l'autorité1 qui transforme un abbé Pierre en Dr Mengele.

Mais alors, comment expliquer les révoltes de 1917, ce mimosa dans un bourbier de chair ?

Selon Adam Kiss 2, "c'est difficile, car jusqu'ici on a surtout étudié l'obéissance. Mes recherches ont justement pour but de déterminer les circonstances dans lesquelles un homme est amené à dire non, afin de mieux lutter contre les atteintes aux droits de l'Homme ". Un espoir, peut-être, pour dépaponiser l'humain et développer la graine subtile, rare et vivace de la mutinerie.

Antonio Fischetti


1- Voir Belle du Seigneur, d'Albert Cohen.

2- Dans la continuité de Stanley Milgram, Adam Kiss a élaboré un programme de recherche. Mais le problème c'est que les fonds publics ne financent qu'un tiers du budget. Il manque 300 000 F pour réaliser un expérience filmée. Un appel aux sponsors ( Fondations, associations... ) est donc lancé. Tél : 04 42 67 08 25, e-mail : kiss at univ-aix.fr .

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