Homme Machine, conscience ou science de cons
extraits de pièces et Main d'ouvre septembre 2011
.....Grâce à la convergence NBIC, les travaux de Clinatec sur les interfaces cerveau-ordinateur promettent des percées fulgurantes. Certes, on n’a pas attendu l’équipe de choc réunie par Therme et Benabid pour tester des neuroprothèses mariant l’homme et la machine, mais chacun sait que la miniaturisation due aux nanotechnologies promet un saut qualitatif inédit. Ce que l’on sait déjà faire est connu : des paralysés déplacent un curseur sur un écran d’ordinateur via un implant électronique cérébral qui capte l’influx électrique ; d’autres commandent « par la pensée » un interrupteur, la télé, leur fauteuil roulant, voire des bras artificiels greffés sur leur torse. Les premiers hommes bioniques.
Déjà, le Léti conçoit des « dispositifs implantables de deuxième génération, capables d'associer la fonction
d'enregistrement des échanges neuronaux, de traiter localement les données et de stimuler électriquement ou chimiquement, et à la demande, des zones particulières du cerveau. »77 Ces
implants miniatures, hérissés de milliers d’électrodes à l’échelle des neurones, viennent au contact direct du tissu vivant pour interagir avec lui, et commander des appareillages
extérieurs (de l’implant rétinien ou cochléaire au fauteuil roulant, voire l’exosquelette). Ils sont désormais commercialisés par la société Bio- Logic, sous le nom Biomea.
Le projet BCI (Brain-computer interface) de Clinatec, coordonné par Corinne Mestais, prolonge ces travaux du Léti. « Grâce à
deux boîtiers implantés sur deux faces du cortex cérébral d’un patient, nous allons capter les signaux émis par son cerveau. Une fois traitées, les informations seront transmises sans fil
à un exosquelette équipé de moteurs », explique Alim-Louis Benabid.78 Apparemment, les nanotubes de carbone sont tout indiqués pour garantir la biocompatibilité des prothèses avec le
cerveau. Vous pensiez que ces nanotubes pouvaient être dangereux pour la santé ? Certes, mais « nous déterminons quels sont les meilleurs nanotubes et cherchons comment les modifier pour
qu'ils s'intègrent au mieux dans le cerveau sans toxicité."79, vous rassure François Berger.
Autre projet de recherche de Clinatec, « Neurolink » vise à développer des réseaux d’électrodes souples et nanostructurées,
placées en surface du cortex, sous le crâne pour enregistrer l’activité cérébrale et piloter un système externe.
Bref, selon la littérature officielle, les neuroprothèses servent à commander un ordinateur par la pensée. Mais le signal
peut circuler dans les deux sens et le cerveau recevoir des signaux, comme le montre le fonctionnement des électrodes, de Delgado à Benabid. Autrement dit la machine peut piloter un cerveau par
le biais de la neuroprothèse en contact avec des zones neuronales précises. Au point que le Groupe européen d’éthique a pris la peine, dès 2005, de détailler les perspectives de pilotage de
l’homme- machine :
« L’implantation dans le cerveau d’une puce capable de restaurer ou d’améliorer la mémoire est un autre exemple de future
prothèse cérébrale. L’hippocampe joue un rôle essentiel dans l’enregistrement des souvenirs. Contrairement à des dispositifs comme les implants cochléaires, qui stimulent simplement
l’activité cérébrale, la puce en question exécutera les mêmes processus que la partie endommagée du cerveau qu’elle remplacera (...).
Les informaticiens ont annoncé que, dans les vingt prochaines années, des interfaces neuronales seraient conçues qui non seulement augmenteraient la gamme dynamique des sens, mais amélioreraient aussi la mémoire et permettraient la "cyber-pensée" – c'est-à-dire la communication invisible avec les autres. (...) L’implant prothétique cortical ("amplificateur" sensoriel ou d’intelligence) : initialement conçu pour les aveugles, l’implant cortical permettra aux porteurs "sains" d’avoir en permanence accès à des informations transmises par ordinateur, sur la base soit des images captées par une caméra numérique, soit d’une interface constituée d'une "fenêtre" artificielle ».80
Envoyer directement au cerveau des informations transmises par ordinateur, cela se nomme piloter un robot. Rien qui ne perturbe
le Grenoblois moyen, à quelques jours de l’inauguration de la « clinique du cerveau ». Il faut dire que les techno-maîtres, soucieux de son confort mental, l’ont insidieusement préparé à son
futur d’homme-machine. Toute la saison 2010-2011, le musée dauphinois lui a offert, avec l’exposition « Vaucanson et
l’homme artificiel », les arguments pour s’acclimater à son évolution post- humaine, plus la petite piqûre philosophique pour calmer d’éventuels retours de conscience.
« Va-t-on vers une intelligence déshumanisée ? L'homme de demain sera-t-il encore humain ? Pourquoi faut-il remplacer l'homme par des machines ? Est-ce que l'homme n'a plus sa place dans le monde ? ». Les questions défilaient en rouge électrique sur le dernier mur de l’exposition. Trop vite pour qu’on ait le temps d’y répondre.
Du côté de Clinatec, selon l’aveu de François Berger, se prépare depuis deux ans un document de trois pages destiné à «
l’information » du public et de la presse. Deux ans pour trois pages ? Ceux qui doutent encore que la ligne de front de la guerre au vivant passe par les innovations technologiques
s’interrogeront peut-être sur le soin minutieux apporté par le pouvoir à nous duper sur ses projets. C’est ainsi que s’élabore la société de contrainte.
« Imbéciles, ne voyez-vous pas que la civilisation des machines exige en effet de vous une discipline chaque jour plus stricte
? Elle l’exige au nom du Progrès, c’est-à-dire au nom d’une conception nouvelle de la vie, imposée aux esprits par son énorme machinerie de propagande et de publicité. Imbéciles ! comprenez
donc que la civilisation des machines est elle-même une machine, dont tous les mouvements doivent être de plus en plus parfaitement synchronisés ! (...) Prenez garde, imbéciles ! Parmi toutes
les Techniques, il y a une technique de la discipline, et elle ne saurait se satisfaire de l’ancienne obéissance obtenue vaille que vaille par des procédés empiriques, et dont on aurait dû
dire qu’elle était moins la discipline qu’une indiscipline modérée. La Technique prétendra tôt ou tard former des collaborateurs acquis corps et âme à son Principe, c’est-à-dire qui
accepteront sans discussion inutile sa conception de l’ordre, de la vie, ses Raisons de Vivre. Dans un monde tout entier voué à l’Efficience, au Rendement, n’importe-t-il pas que chaque
citoyen, dès sa naissance, soit consacré aux mêmes dieux ? (...)
l’Etat technique n’aura demain qu’un seul ennemi : « l’homme qui ne fait pas comme tout le monde » - ou encore : « l’homme qui a
du temps à perdre » - ou plus simplement si vous voulez : « l’homme qui croit à autre chose que la Technique ».
Georges Bernanos, 1945, La France contre les robots
Pièces et Main d’œuvre
Grenoble, le 1er septembre 2011