Espoir, des pistes...
Quelle alternative à notre modèle de société en crise ? Comment repenser notre avenir sur des bases solidaires et harmonieuses ? Auteur du best seller « Comment osent-ils ? », Peter Mertens nous présente les cinq piliers de son modèle de société, sans romantisme ni nostalgie. Ils vont dans le sens inverse de l’évolution actuelle, c’est un fait. (IGA)
Il est impossible de se développer seul. Dans mon livre Comment osent-ils ?, j’ai fait référence aux recherches du Pr Frans de Waal, un biologiste qui a effectué un travail novateur sur l’évolution de certaines espèces animales sociales. Il en ressort que les espèces animales sociales, comme l’homme, ne sont pas capables de survivre par individus. Elles doivent s’organiser ensemble, collaborer.
Ce principe du Survival of the fittest (la survie des meilleurs) est idéologiquement détourné par le néolibéralisme et transformé en une sorte d’égoïsme biologique. Mais « the fittest », soit les meilleures espèces sociales, sont aussi celles qui, au cours de l’histoire, ont été les plus aptes à travailler ensemble.
Nous voulons une société dont la base est la solidarité. C’est par le déploiement de celle-ci que l’on peut développer les innombrables éléments créatifs actuellement gaspillés par le capitalisme. Quand on est né dans une famille ouvrière, on n’a statistiquement presque aucune chance de faire des études supérieures, et beaucoup plus de probabilités de mourir plus jeune. Le statut social détermine toujours énormément l’avenir.
Beaucoup de talents sont ainsi perdus. De combien d’artistes, d’intellectuels, de profs, d’ingénieurs… la société pourrait-elle bénéficier si chacun avait la possibilité de pouvoir développer ses talents ?
Lorsque la société reprend le contrôle des mo
yens de production – une production hautement développée avec d’immenses possibilités –, les gens ne sont plus dépendants de leur statut social, de la richesse qu’ils héritent ou de facteurs externes à eux-mêmes, comme c’est aujourd’hui le cas.
Dans notre vision où la solidarité est un fondement, une personne dépend des seules choses dont un être humain devrait pouvoir dépendre : sa propre créativité, sa propre activité, son propre auto-déploiement. C’est seulement alors que l’homme peut réellement construire sa propre vie.
Les ressources écologiques ainsi que la connaissance accumulée par l’humanité doivent être reconnues comme patrimoine commun ; ce qui signifie que personne n’a le droit de les monopoliser dans son propre intérêt et à son propre profit. Les formes de richesses les plus importantes appartiennent à tous, ce sont des biens communs qui doivent être activement protégés et gérés dans l’intérêt de tous.
L’air que nous respirons, l’eau douce, les océans, les matières premières, le climat doivent être gérés de manière rationnelle et collectivement. Le réchauffement climatique est un problème de société et ne peut être résolu dans le cadre arbitraire de l’intérêt privé et de la chasse au profit maximal.
Deuxièmement, tous les aspects du progrès technologique dans l’histoire de l’homme ont été transmis depuis dix mille ans par l’humanité de génération en génération. Lors de la première révolution technologique, au néolithique, personne n’a jamais pensé à privatiser ou à breveter l’invention de la roue. Le progrès technologique était partagé et transmis aux générations suivantes.
Tout le développement des forces de production, de la science, de la recherche… s’est construit au fil des siècles, et cette connaissance appartient également à tous.
Cela vaut aussi pour la récente révolution technologique. Toutes les avancées sont par essence le fruit de la connaissance historique, mais aussi celui de la recherche collective des universités, financée par la collectivité. A l’accélérateur de particules à Genève, par exemple, 6500 chercheurs de 500 universités de 80 pays travaillent ensemble, entre autres pour trouver la plus infime des particules élementaires, le Boson de Higgs.
C’est un projet collectif incroyable que la science pousse en avant, et qui aura de nombreuses retombées dans plusieurs domaines pour les dizaines années à venir.
Le développement technologique que nous avons connu après la Deuxième Guerre mondiale a été mené par des grands projets collectifs et par la recherche scientifique. Cela ne peut pas être privatisé. Aujourd’hui, toute recherche scientifique est immédiatement brevetée, autrement dit mise en cage par un certain nombre de grands actionnaires de multinationales.
Pas avec l’intention de la laisser aux générations suivantes, ni pour de pallier le réchauffement climatique ou améliorer le bien-être de l’humanité, mais seulement dans le but de faire le plus de profit possible à court terme. Un socialisme du 21e siècle naîtra de la reconnaissance du caractère collectif du patrimoine commun et de la libération de la recherche commune de son carcan du profit.
Au 21e siècle, il faudra que se tienne un débat sur les secteurs économiques les plus importants qui donnent forme à notre société. Ce débat existe certes déjà, mais d’une manière bien différente de celle que nous envisageons. Le secteur bancaire et celui de l’énergie, par exemple, sont des secteurs « too big to fail » (trop grands pour échouer).
Cela signifie que, si un tel secteur échoue dans le grand mécanisme de la concurrence, les dommages pour la société sont tels que nous ne pouvons nous permettre cet échec. Quelle est la solution actuelle ? On sauve ces secteurs temporairement avec l’argent de nos impôts, pour les redonner ensuite le plus vite possible au privé.
La seule solution conséquente pour les secteurs-clés qui portent l’économie – qui sont effectivement too big to fail – est de les « socialiser », c’est-à-dire les remettre dans les mains de la communauté. Dans notre vision, ils doivent devenir ce que l’on appelait autrefois des « biens communs », comme l’étaient les ressources de la nature qui n’appartenaient ni à l’Etat ni au privé mais à la société entière.
Cela ne signifie pas seulement qu’on remet ces secteurs dans les mains des pouvoirs publics en termes de structure et de propriété, mais que l’on installe une gestion qui fonctionne de manière transparente et dont les responsables doivent pouvoir rendre des comptes à la société. Les fonctions publiques ne peuvent être cumulées avec des fonctions dans les conseils d’administration d’autres entreprises, et les politiques ne peuvent pas siéger à la direction.
Mais, surtout, nous pouvons ainsi changer la finalité de ce type de secteur. L’objectif n’est alors plus de satisfaire les actionnaires avec des rendements de 12-13%, mais de fournir un service public.
Ces secteurs sont donc orientés vers l’intérêt de la société et non plus vers le profit. Dans le cas du secteur de l’énergie : fournir de manière durable de l’énergie à la société. Dans le cas du secteur bancaire : octroyer un crédit là où c’est nécessaire, et non spéculer en bourse. Des secteurs qui doivent servir au bien commun doivent être dans les mains de la société.
L’humanité a actuellemement atteint un point où elle possède la technologie et les capacités d’organisation nécessaires pour se fixer des objectifs auparavant considérés comme impossibles. Il est aujourd’hui parfaitement possible de supprimer la faim dans le monde. On sait ce qu’il faut faire pour cela, et on en connaît le coût.
Nous avons la technologie pour abaisser le rythme de travail, mais au lieu de faire travailler cette technologie pour nous, celle-ci tourne pour la machine à profit et l’homme est plus que jamais esclave d’un rythme infernal. Un facteur très important pour inverser cet état des choses est la démocratie.
Une immense majorité de la population doit se contenter de découvrir et subir toutes les décisions prises concernant son emploi, son salaire, sa pension… sans avoir voix au chapitre.
Des gens comme le PDG de Ford, Stephen Odell, et Lakshmi Mittal peuvent décider, quelque part bien loin, qui perd son travail et qui le garde. Dans ces décisions lourdes de conséquences, nous n’avons pas notre mot à dire. Jamais dans l’histoire il n’y a eu un aussi petit groupe (multinationales, industriels, lobbys financiers… ) détenant le véritable contrôle sur les objectifs de la société et sur la direction dans laquelle elle est orientée.
Et – il faut le dire comme c’est –, ceux-ci disposent d’un important groupe de politiciens professionnels à leur service, de plus en plus éloignés de la vie réelle, qui renvoient le plus de décisions possibles aux pouvoirs exécutifs et tentent de marginaliser les contre-pouvoirs dans la société.
Dans le socialisme, il s’agira de véritable liberté, celle de faire des choix sur les éléments essentiels de sa vie, celle d’être libéré des soucis de pourvoir à ses besoins de base. Votre vieille mère pourra-t-elle se payer une maison de repos ? Votre enfant pourra-t-il être inscrit dans cette école ? Pourrez-vous encore payer cette facture d’hôpital ?
Aujourd’hui, les gens sont si occupés à obtenir leurs droits de base que presque toute l’énergie, la créativité et le temps libre y passent. Ce n’est pas là une vraie liberté. La liberté, c’est être libéré de cette sorte de tracas afin de pouvoir vraiment être créatif et de pouvoir participer à la gestion de cette société.
Pour relever les grands défis de l’écologie, de la démocratie…, nous devrons planifier. Ou plutôt, nous réappropier les planifications élaborées derrière les portes closes des conseils d’administration des multinationales.
Des multinationales comme Bayer ou Unilever planifient en effet tout de a à z, et à une échelle jamais vue : l’exploitation des matières premières, le transport des matières premières, la transformation des matières premières, la finition et la distribution des produits…
Tout cela est un processus très strictement planifié, mais concocté en huis clos et avec la finalité unique de la chasse au profit, et non pour répondre aux besoins de la société.
Les grandes multinationales planifient aussi elles-mêmes la recherche et le développement, à nouveau non pas pour satisfaire les besoins de la société, mais pour réaliser les plus grandes marges de bénéfice possibles. Un exemple.
Connaissez-vous la pilule Viagra pour femmes ? On a mis pendant des années des centaines de chercheurs là-dessus. Une recherche pour un problème qui, notons bien, n’existe même pas ! Pourquoi ? Simplement parce que les possibilités de profit auraient été énormes. Cela, ça intéresse le marché.
Il y a sept fois plus d’argent investi dans le Viagra pour femmes que dans la recherche de médicaments contre des maladies tropicales qui menacent véritablement des millions de vies. On le voit bien, c’est le marché qui détermine la planification, et celle-ci n’est ni rationnelle, ni écologique, ni sociale.
Nous devons aller vers une économie moderne, planifiée démocratiquement sous le contrôle de la population.
Une vision de société, le socialisme.
Peter Mertens
Peter Mertens est président du Parti du Travail de Belgique (PTB)