Charinazisme
Ça y est, le froid arrive ! Et avec lui, la sacro-sainte grand-messe de la charité.
Faut pas croire, nos riches, de la charité, ils en ont un peu toute l’année mais avec l’hiver, ça te leur décuple l’envie de distribuer à nos pauvres un peu de condescendance monétaire. C’est que les pauvres, l’hiver, en plus d’être pauvres, ils ont froid. Et on a beau essayer de leur réchauffer le climat en te creusant tout un tas de trous dans la couche d’ozone pour que le soleil passe mieux, rien n’y fait, nos pauvres ont froid.
Après avoir passé l’année à te voler le moindre petit sou dans n’importe quelle poche, le riche, en hiver, pendant deux heures ou trente, il devient très très sympa. Le riche devient solidaire. Alors une solidarité qu’il faut pas trop pousser quand même pasqu’on va pas vendre sa maison côt’azuréenne non plus.
Les riches, quand ils sont gentils avec les pauvres, ils aiment bien venir le dire à la télé. Là, ils se réunissent entre eux. C’est bien. Y’a des journalistes, des présentateurs, des chanteurs, des sportifs, des humoristes, des politiques, des femmes de président,… Mais ils font pas ça que pour les pauvres. Non. Ils font ça aussi pour tous les gens qui, dans la vie, ont un malheur qui coûte cher. Souvent, pour faire style, avec eux, ils invitent des gens. Le mieux, c’est si c’est un enfant. Des fois, l’enfant, il est noir, il a le SIDA et aussi il a faim. D’autres fois, l’enfant, il a une maladie très grave même si il est blanc. Ça fait bien d’avoir un enfant comme ça.
L’enfant, il est là pour dire merci à tous ces riches qui lui donnent un peu d’argent pour avoir une nouvelle prothèse mécanisée à injection hydraulique que même les chinois, ils savent pas faire ça tellement c’est compliqué à construire. Les riches, ils ont la larme à l’œil et ils disent qu’il n’y a rien de plus précieux que le sourire d’un enfant, n’empêche que le pognon, ils préfèrent s’en garder une bonne partie quelque part en Suisse ou l’investir dans un parc immobilier pasque oui, le bâti, y’a pas à dire, c’est quand même le moins risqué en ces temps de crise.
Que le salaire mensuel cumulé d’une bande d’organes chantonnant des reprises plus ou moins heureuses pourrait suffire à faire de la Somalie la première puissance mondiale émoustille assez peu le public avide de misérabilisme. Oui, pasque ce que j’ai pas dit, c’est qu’en terme de charité, on ne parle surtout pas de politique. Non. Qu’un gouvernement et son président massacrent les hôpitaux publics, la recherche ou la sécurité sociale et pouêt-pouêt, vous n’en aurez pas un mot en trente heures de direct sur le service public. Ah non, surtout pas ! Ben dites, aussi, faut pas les prendre pour des cons, ces riches. Voilà dix ans qu’on leur offre sur des plateaux en argent des cadeaux fiscaux et ils iraient cracher dans la soupe de l’État nourricier ? Ah, ben non, quand même.
Parfois, la charité tourne au génie. Des fois, une vieille dame fripée et son toutou judoka va quémander la pièce jaune alors même que son gredin de président de mari s’amuse à saborder les hôpitaux publics. D’autres fois, c’est une princesse qui s’en va bécoter des petits et pauvres africains pendant que son prince et sa belle mère dilapident la fortune de toute une nation en frais de couronnes, lui offrant un train de vie qu’elle n’abandonnerait pour rien au monde, surtout pas pour une bande de pauvres. Ça, c’est des princesses qui finissent en petits morceaux sur les piliers d’un pont mais ça n’a pas grand-chose à voir avec le propos. Aussi, il peut y avoir une demoiselle qui chante d’une voix sourde et lascive pour émouvoir le public sur le sort de ceux qui n’ont même plus de pain à se glisser sous la dent en compagnie d’une bande de riches artistes qui n’ont pas très envie de payer plus d’impôts. Après, la demoiselle, elle s’en va s’enticher d’amour pour un des dirigeants d’une Europe (vous savez, le petit nerveux, là) qui a décidé de flanquer un sacré coup de machette aux subventions pour les banques alimentaires.
Non, vraiment, la politique, ça n’a rien à faire dans la charité. Le mieux, c’est que l’État ne se fatigue pas à distribuer l’argent où il le faudrait. Non. C’est plus facile de le donner aux riches. Comme ça, les riches, ils peuvent passer à la télé et donner un peu ce qu’ils veulent. Après, si l’État ponctionne les revenus des riches à la source, ce sera plus très drôle, pasque les riches, ils pourront plus passer à la télé, et après, à la télé, y’aura que des trucs nuls comme des séries policières. Et puis, la charité, on n’a pas trouvé mieux pour que les pauvres restent pauvres. Et ça, c’est quand même l’essentiel.