les fraudeurs et les frondeurs…
Par Bruno Guigue
vendredi 19 août 2016, par Comité Valmy
Stratège néo-vichyste d’un PS en putréfaction, Manuel Valls nous avait prévenus. L’élection présidentielle de 2017, disait-il, se jouera sur la « question identitaire ». Qui s’en souvient ? Personne, mais les faits parlent d’eux-mêmes. Sur le plan économique et social, celui où se déroule la vie quotidienne des Français, la gauche de gouvernement a trahi toutes ses promesses de campagne. Elle s’est vautrée dans la compromission avec cette oligarchie financière contre laquelle elle vitupérait pour épater la galerie lors des meetings électoraux. On a dit que le « Cartel des gauches » (1924) s’était fracassé sur le « mur d’argent ». Avec François Hollande, aucun risque : le mur d’argent, il s’est contenté de le repeindre. Des cadeaux fiscaux au patronat (contre de vagues promesses) à la capitulation en rase campagne devant le diktat néo-libéral (Loi-travail), M. Hollande aura laissé dans notre histoire une empreinte molle et visqueuse comme sa politique. Avec son air ahuri, il sera passé maître dans le seul exercice où il excelle : suivre le courant dominant. Autosatisfait compulsif, il aura porté à l’absolu la sujétion du pouvoir politique aux puissances d’argent.
Sous François Mitterrand, une gauche repentie avait libéralisé les marchés financiers et ouvert notre pays aux quatre vents de la mondialisation capitaliste. Ce faisant, elle donna le signal de la transgression du tabou suprême : la souveraineté populaire. Achevant l’entreprise de ses prédécesseurs, et jetant une ultime pelletée de terre sur l’héritage révolutionnaire, François Hollande a fini le sale boulot avec un acharnement d’usurier. Soumise au carcan européiste, la France n’a plus de politique monétaire, budgétaire et industrielle. Grâce aux socialistes, précédés par ces laquais naturels de la finance que sont les partis de droite, la France n’a plus de politique du tout. Comme les autres, ils ont acté le transfert du pouvoir de décision des mains de la nation aux griffes du marché. Cette nation, dont on disait au XIXème siècle qu’elle était la « nation politique » par excellence, n’existe plus. Non pas qu’elle n’ait pas d’ambition, mais ses élites font en sorte qu’elle n’en ait plus.
Car ce qu’elles veulent, c’est perpétuer ad libitum le désordre établi, maintenir sous pression les peuples, les Etats, les travailleurs, dans le seul but d’intensifier la rentabilité du capital oisif, de faire tourner sans limite les rotatives du profit, ces « machines cyclopéennes » dont parlait Marx, sans lesquelles l’accroissement effréné des dividendes est impossible. Cette dictature d’un actionnariat mondial prosterné devant le Veau d’Or, cette exigence dirimante d’une profitabilité vertigineuse, les socialistes lui ont conféré des lettres de noblesse progressiste, ils l’ont légitimée sans vergogne, ils l’ont arrosée d’eau bénite. Qu’un fraudeur arrogant comme Cahuzac ait été ministre du Budget, qu’un « trader » au comportement de morveux débarqué de la banque Rothschild soit ministre de l’Economie, n’est pas anodin. C’est plus qu’un simple scandale, c’est une métaphore exemplaire de la « gouvernance » socialiste, cet aplatissement obséquieux du pouvoir politique aux pieds de la finance mondialisée.
Dans ces conditions, en effet, on se demande quelle partition cette « gauche » vermoulue va pouvoir jouer en 2017. Car ce n’est pas sur la question sociale qu’elle suscitera l’enthousiasme chez des électeurs échaudés par une série de trahisons en règle. Risquant de payer le prix de ses ostensibles compromissions avec les puissants, le PS, alors, a bien tenté d’allumer quelques contre-feux dans le domaine dit « sociétal ». D’allure progressiste, ces combats obliques accréditaient l’idée que la gauche était toujours de gauche malgré l’abandon du terrain social. Soigneusement choisis, ces dérivatifs inspirés par le goût du jour et la revendication minoritaire procuraient un ersatz de social-démocratie et un vain parfum de modernité.
Peu importait que les pauvres fussent toujours plus pauvres et les riches toujours plus riches, puisque ce n’était plus l’essentiel. Exit le social, place au sociétal ! L’important, nous disait-on, c’est que les homosexuels des deux sexes puissent se marier comme les autres, qu’ils puissent adopter des enfants ou s’en procurer sur le marché, que l’on apprenne aux jeunes à combattre l’assignation de genre, que les filles puissent aussi devenir maçons, que l’on simplifie l’orthographe pour la mettre à la portée de tous, que les élèves cessent d’être humiliés par les mauvaise notes, que les parents décident de l’orientation de leurs enfants au lycée, qu’on supprime le latin-grec parce que c’est élitiste, bref, que tout aille pour le mieux dans cette société injuste à condition de ne pas écorner un seul privilège de classe.
Inconsistante par nature, cette politique a vite perdu son pouvoir d’enchantement. Relevant d’une ruse de semi-habile, le contournement du social par les artifices du sociétal a fait long feu. Et la société a retrouvé cette pesanteur que les travailleurs pauvres qui se lèvent tôt le matin pour tenter de joindre les deux bouts connaissent bien. Il fallait donc, d’urgence, trouver autre chose. Quelque chose de puissant, qui permette de diviser la société en occultant pour de bon la fracture entre ceux qui vivent de leur travail et ceux qui en palpent les dividendes. A cette fracture objective, ancrée dans les conditions matérielles d’existence, il fallait opposer une fracture subjective, aussi artificielle fût-elle. Cette « divine surprise », pour parler comme Maurras exultant devant la défaite française en 1940, n’a pas tardé. Résultat direct de la politique française au Moyen-Orient, où les dirigeants socialistes ont armé les djihadistes et bombardé les civils, les attentats terroristes ont fourni à ces mêmes dirigeants l’opportunité d’imposer un nouvel agenda politique. Fin du sociétal, place à l’identitaire.
Cette conversion du PS à l’idéologie droitière du « trouble culturel » et du « péril islamique » restera dans les annales comme le chef d’oeuvre de Manuel Valls, et sa récurrente crispation faciale en est la mimique involontaire, la métaphore corporelle. Ses amis du « Printemps républicain » ont préparé le terrain, prétendant recomposer le message de la gauche autour des idéaux républicains, mais sans hésiter à pervertir l’universalisme hérité de 89. Ainsi ont-ils désigné à la vindicte publique le communautarisme musulman (comme on le sait, il n’y en a pas d’autre) et obtenu le parrainage d’Elisabeth Badinter, qui revendique ouvertement son islamophobie tout en assurant à la tête de Publicis la promotion de l’Arabie saoudite en Europe. L’incroyable hypocrisie de cette milliardaire féministe reconvertie dans le cirage de pompes saoudiennes symbolise délicieusement la gauche identitaire. Il n’y a qu’en France que l’on peut voir un tel spectacle : le clan au pouvoir dégoise à qui mieux-mieux sur le voile ou le burkini, mais son égérie intellectuelle fait la communication de la maison Saoud, la France lui distribue des médailles honorifiques, elle coopère avec elle pour détruire la Syrie par djihad interposé, et elle lui fournit les bombes avec lesquelles Riyad vitrifie les enfants yéménites.
Cette politique identitaire est donc le pendant, à usage interne, d’une politique néo-coloniale de la France au Moyen-Orient dont les socialistes ont élevé la nocivité au paroxysme. En entretenant la peur de l’islam à domicile, en focalisant sur sa visibilité sociale comme si elle était grosse d’un péril mortel, elle fait oublier les compromissions de nos élites avec les régimes rétrogrades et les islamistes radicaux. Montrant du doigt celui qui cumule les stigmates du pauvre, de l’immigré et du musulman, elle courtise en même temps les milliardaires corrompus du Golfe, leur fournissant l’arsenal qui leur permet de semer le chaos. Cette politique, en somme, est doublement efficace : cache-sexe de l’impérialisme hors de nos frontières, elle livre un bouc-émissaire, à l’intérieur, aux frustrés d’une société en crise.
Car elle accrédite deux idées simples : tous nos problèmes viennent du monde musulman et les musulmans de France y sont pour quelque chose. Peu importe que cette politique nourrisse un climat détestable. Cette alchimie de la division inter-communautaire fait partie du plan. Elle est la meilleure alliée des puissants, l’auxiliaire zélée des oligarchies. Antidote à la revendication sociale, la fracture ethnique et culturelle est le secret de polichinelle de tous les impérialismes, un instrument de domination vieux comme le monde. Cyniques jusqu’au bout des doigts, nos dirigeants le savent et en abusent. De même qu’ils veulent un Moyen-Orient atomisé, fragmenté, réduit à l’impuissance, ils veulent une France livrée à l’hystérie collective, où le peuple divisé ne sait plus qui l’exploite et pourchasse des fantômes jusque sur les plages.
Bruno Guigue
17 août 2016
Bruno Guigue, ancien élève de l’École Normale Supérieure et de l’ENA, Haut fonctionnaire d’Etat français, essayiste et politologue, professeur de philosophie dans l’enseignement secondaire, chargé de cours en relations internationales à l’Université de La Réunion. Il est l’auteur de cinq ouvrages, dont Aux origines du conflit israélo-arabe, L’invisible remords de l’Occident, L’Harmattan, 2002, et de centaines d’articles. |