Les gérants de la misère des errants
Les pays du monde entier s’enrichissaient fortement, ils possédaient tous de plus en plus de pauvres. Des siècles pour abolir la peine de mort, des siècles pour comprendre que toute cette gauche bidon était le versant social de la gestion des affaires courantes, la rigueur. Rendre les déjà riches plus riches et les pauvres plus nombreux.
Ces vicieux de pauvres, ils se cachent dans des trous pour mourir ! Comment les voir ? À chaque nouveau mort, ils font semblant de découvrir un nouveau problème, ils en parlent dans la presse, puis ils oublient, entre-temps une avalanche à Acapulco leur fournit matière à parler d’autre chose, c’est toujours le même scénario, puis ils peuvent racheter les immeubles.
Les Gens Bons voulaient bien à la rigueur que des pauvres squattent, sans bruit, sans banderoles, sans revendications. La vue de la misère est moins dure à supporter lorsqu’elle se cache, honteuse, dans des taudis de plus en plus loin de leur quartier dont ils souhaitaient la réhabilitation.
Les Gens Bons pensaient que les pauvres avaient besoin de porte-parole.
Qu’il fallait organiser des tours de nettoyage des escaliers. Organiser des collectes de vêtements usagés. Gérer les dossiers des familles. Faire l’appel par ordre alphabétique. Distribuer matelas et couvertures.
Les Gens Bons n’aimaient pas les assemblées générales. Ils préféraient même qu’il n’y ait pas de réunion du tout avant une prise de décision. Ils auraient voulu qu’il n’y ait qu’un seul chef, toujours le même. Et qu’ils se tiennent tranquilles. Les Gens Bons ne voulaient pas que ces pauvres obtiennent les mêmes droits sociaux dont eux-mêmes seraient bientôt déshérités.
On ne peut pas se résoudre à côtoyer la pauvreté, on a peur d’y être entraîné, ceux qui n’ont rien vont nous prendre ce que nous avons, et puis nous ne voulons pas partager, c’est ainsi ? Nous ne voulons pas que le monde change, nous ne voulons pas de la justice, nous voulons être favorisés et être puissants.
Les riches ne sauraient être sans les pauvres, nous voulons beaucoup de pauvres. Si nous n’entendions vos gémissements, comment saurions-nous être à l’abri ? Le gestionnaire en chef de la misère menait une stratégie entièrement tournée vers la valorisation de son rôle possible. Il se voulait l’intermédiaire, le négociateur obligé.
Son livre de chevet était de Saul Alinsky, le manuel de l’animateur social. Il était donc clair qu’il s’opposait avec virulence et sournoiserie à toute auto- organisation des pauvres sur le sujet de leur lutte. Selon lui, il fallait nécessairement un dictateur éclairé pour les encadrer, c’est-à-dire lui-même.
Aucune organisation ne peut négocier sans le pouvoir d’imposer la négociation. Agir sur la base de la bonne foi plutôt que du pouvoir, c’est de tenter quelque chose dont le monde n’a pas encore fait l’expérience. Pour être efficace, même la bonne foi doit être mobilisée en tant que pouvoir.
Le responsable qui se prit pour un animateur social oublia en chemin une chose essentielle. Il confondit le pouvoir éventuel né de la force d’un regroupement massif de déshérités avec sa volonté de pouvoir personnel sur des individus. Sa haute stratégie fut utilisée par le Pouvoir. Il en attendait les dividendes d’une carrière possible.
Terminées, les longues prises de parole ; le programme de relogement des plus démunis allait pouvoir démarrer sans opposition notable, dans les hôtels les plus pourris de la capitale. Les constructions de logements sociaux sévèrement ralenties ou annulées, les augmentations de loyers faramineuses, les taudis infects vite repeints et gérés.
Les associations de Gens Bons administrèrent des entassements hétéroclites de pauvres dans des immeubles délabrés. Lorsque ces immeubles brûlèrent comme boulevard Vincent Auriol, quinze ans plus tard, personne ne se sentit responsable, les irresponsables du comité refusaient ces taudis.
L’animateur social et ses administrations caritatives et dictatoriales étaient enfin parvenues à se faire une carrière d’interlocuteur de l’État sur le dos des pauvres et des miséreux, Les pauvres avaient tout le monde sur le dos, sans répit, sans compassion. Cela ne pouvait être de la bêtise ou de l’inconscience, c’était leur métier.