L'apartheid Français créé le Djihad…
Raphaël Liogier : «Le djihad est le chant du cygne d’individus asociaux»
Raphaël Liogier est sociologue du fait religieux, professeur des universités à l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence et directeur de l'Observatoire du religieux. Il est aussi l’auteur du Mythe de l’islamisation (Seuil) et Ce populisme qui vient (Textuel). Zaman France l’a interrogé sur le profil des djihadistes français et sur les caractéristiques du nouveau djihadisme.
Vous estimez que des individus comme les frères Kouachi ou Amédy Coulibaly ne ressemblent pas au profil des djihadistes des années 80/90. Comment définiriez-vous cette nouvelle génération de djihadistes ?
Cette nouvelle génération croise l'ancienne génération. Les frères Kouachi ont été en contact avec des membres de l’ancienne génération. La caractéristique du djihadisme moderne est d’être un produit de décomposition du néo-fondamentalisme qui s’est construit par rapport à l'Occident.
Le profil des djihadistes modernes était variable. Il pouvait y avoir des militants radicalisés, issus d'un milieu élevé, qui avaient fait leurs études dans des universités occidentales. Il y avait aussi le type de Khaled Kelkal dans les années 90, socialement défavorisé, radicalisé en prison où il apprend l'arabe et adhère à des thèses djihadistes.
Aujourd'hui, on imagine que ce sont tous des Kelkal. C'est ce que veut faire Valls, surveiller les quartiers. Mais les profils sont très variés sociologiquement, ils ne sont pas tous nés dans des milieux où il y a une intensité de la pratique religieuse.
On trouve des jeunes liés au banditisme, au trafic de drogue et qui partagent tous la caractéristique psychologique d’avoir des rêves déchus. On trouve des profils où les parents sont absents symboliquement comme pour les frères Kouachi, orphelins. 20 % des djihadistes ne sont pas issus de milieux musulmans.
Comment devient-on djihadiste ?
Quand on est stigmatisés, le sentiment d'être humilié génère une logique d'échec et la volonté d’affirmer une force virile. Ces jeunes sont dans cette optique. Très souvent, ils sont passés par tous les excès : alcool, filles.
Puis, à un certain moment a lieu une rencontre avec une personne qui va donner un sens positif à leur stigmate en leur expliquant que leurs souffrances sont des épreuves que Dieu leur envoient pour les former.
Quel rapport avec les filières internationales du djihadisme ?
Nous assistons à une transformation du djihadisme à l'échelle globale et à un nouveau marché global de la terreur. Les groupes terroristes sont de plus en plus structurés autour d’un label de la terreur, celui d’Al Qaida. Le label Al Qaida les fait exister sur le modèle de la terreur car ils sont médiatisés.
Nous sommes dans une logique de marché, on veut prendre des parts de marché au moyen d’une stratégie marketing basée sur la mise en scène de la terreur. Dans cette concurrence, les groupes doivent se trouver un créneau, une originalité, une niche. Pour Al Qaida, c’était l'islam pur. Pour d’autres, c’est le sunnisme pur.
Pourquoi le gouvernement persiste à pointer du doigt la radicalisation religieuse ?
Le président de la République et la Premier ministre font confiance aux services de la sécurité du territoire français.
Or ces derniers sont encore dans des modèles de djihadisme des années 80/90 qui ne sont plus d’actualité et qui ne correspondent plus aux profils des djihadistes actuels qui passent soudainement à l’action, sans aucun processus de radicalisation et avec une intentionnalité violente bien antérieure à leur passage dans l’islam.
Les politiques versent donc dans la démagogie pour montrer aux Français qu'on les protège.
Comment prévenir cette nouvelle forme d’action terroriste ?
Les problèmes d'identité dans les sociétés européennes ont favorisé la mise en scène de «héros» nationaux, figures salvatrices du peuple français faisant face à des ennemis potentiels. La construction de la figure du musulman comme nouvel ennemi national a fait que des jeunes ont pris à la lettre cette mise en scène sociale de la guerre.
Cette posture de l'ennemi leur permet de devenir des héros de l'islam. Ils veulent devenir musulmans pour faire le djihad, ils sautent directement sur le djihad. Cela nourrit leur désir de puissance. Merah voulait devenir un légionnaire, il deviendra d’une certaine manière un «légionnaire» de l'islam telle que lui-même interprétait cela.
Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il n’y a pas de radicalisation. Il s’agit plutôt d’une rencontre des humiliations, rencontre qui transforme le stigmate négatif en positif. Il n’y a pas non plus dans le cas qui nous intéresse de problème de communautarisme. Le djihadiste est asocial, seul dans son quartier.
Pour lui, le djihad est un chant du cygne héroïque. Pour lutter contre ce djihadisme, il faut cesser de viser les musulmans en tant que pratiquants et porter attention au contexte réel, social, d'émergence des djihadistes.
Une expérience intéressante par exemple a été menée dans le nord de l’Europe où un travail avec des djihadistes qui n'avaient pas commis de crimes a été accompli pour réorienter leur énergie dans d’autres voies, pacifiques, en les faisant devenir des héros humanitaires.