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Publié par Christian Hivert

Transmissions rompues : années 70

Il y avait là régulièrement, à proximité de la petite église où l'on donnait des concerts d'orgue, un type qui s'appelait John Guen. A la différence des saltimbanques qui avaient envahis le parvis de Beaubourg quelques rues plus loin, lui était toujours bien habillé.

Il donnait à son répertoire le ton de la confidence, de la complainte intime, si bien que son auditoire se faisait d'abord clairsemé, les gens ne comprenant pas tout de suite qu'il s'agissait là d'un numéro, puis ils se rapprochaient de lui, tendant l'oreille, se demandant qui était ce type qui ne se donnait pas la peine des mises en scène de ses confrères.

La plupart du temps il improvisait, s'accompagnant parfois, pour seul accessoire, d'une simple scie musicale, c'est à dire une égoïne coincée sur le dessus d'un tabouret et d'un archet de violon. Ses réflexions étaient souvent comiques, jamais vulgaires.

Il aurait pu passer pour un philosophe exerçant son art en plein air face au public à la façon des antiques ; la causticité de ses portraits vitriolés de la société faisait la joie des nocturnes qui s'attardaient souvent très tard pour le simple plaisir de l'écouter. Car en fait ce qu'il disait n'était ni très original ni très élaboré, mais dans sa simplicité, semblait une arme de plus aux luttes et revendications populaires.

Aussi les policiers tournaient souvent autour de lui, cherchant à empêcher son numéro par tous les moyens, parce que soit disant l'attroupement gênait la tranquillité des riverains, qui par ailleurs ne s'étaient jamais plaints.

Alors John Guen sans se démonter, faisait quelques réparties d'usage sur les tracasseries policières, et partait s'installer un peu plus loin en poursuivant son développement ou bien donnait rendez-vous pour le lendemain. Et son auditoire fidèle ne lui faisait jamais défaut. On avait besoin de ce modeste poète pour se rincer de temps en temps de la grisaillerie quotidienne.

Ce jour là, il n'était pas là. Il poursuivit son chemin en direction de Beaubourg d'où lui parvenaient quelques airs de musique. L'endroit prenait tous les jours l'aspect d'une fête populaire à l'ancienne, d'une kermesse. Pour l'heure, deux jeunes gens en sabots norvégiens dansaient une bourrée aux accents d'une vielle mélancolique. Les bateleurs s'étaient installés.

L'un d'eux s'était fait attacher une longue et fine chaîne autour des poignets et de tout le corps, fixée avec de gros cadenas dont un spectateur gardait précieusement les clés, et il s'efforçait de s'en défaire en gesticulant et en poussant divers cris qui ne semblaient pas l'aider énormément, il y avait là certainement beaucoup de chiqué mais c'était de bonne guerre car finalement les chaînes glissaient à terre comme par enchantement magique et l'homme faisait vérifier à qui voulait que les cadenas étaient toujours fermés et en bon état. Un autre, à côté, marchait pieds nus sur des tessons de bouteilles et s'était mis à cracher de long filets d'alcool à brûler à travers ses petites torches, ce qui faisait une gigantesque flamme qui réchauffait l'atmosphère et éclairait brutalement et brièvement le centre Pompidou, derrière.

Il y avait là deux mondes qui se regardaient dans le blanc des yeux, l'officiel avec sa culture aseptisée, débarrassée de son caractère de révolte, entassée dans la gigantesque raffinerie construite à grand frais pour réunir tous les chefs d'oeuvres d'artistes passés de la contestation à la consécration.

Et il y avait l'autre, celui des gens du voyage, des malfrats, des poètes, desrêveurs, celui des gens qui refusaient la distillation, de ceux qui en fin de compte, ne pouvaient être raffinés. Vraiment ? Enfin ils s'efforçaient de s'en donner l'air.

Mais les spectateurs de ceux-là étaient les encenseurs de ceux-ci, n'hésitant pas à vouer au pilori tout ce qui n'était pas officialisé par la marotte du plus grand nombre, n'hésitant pas à retirer du pilori ce qui faisait l'unanimité, l'inhumanité.

Mais ce soir là le spectacle n'était pas palpitant. De temps à autre, dans la journée on pouvait rencontrer des personnages un peu connus comme Mouna Aguigui ex-André Dupont qui faisait campagne pour une vie meilleure loin des avatars de la pollution. Il s'éloigna de Beaubourg en direction des Halles.

Le "trou" avait été comblé par des boutiques de luxe. Tout charme avait disparu dans la prostitution du lieu. Les marchandes de poisson avaient fait place à des vendeuses ultra chics au sourire commercial. Il n'avait jamais connu les marchandes de poisson, mais au vu de ce qu'il découvrait désormais, il les regrettait.

Il serra dans sa poche une petite clé que son frère lui avait donné quelques mois plus tôt, lorsque pendant les vacances ils avaient enfin eu des relations fraternelles. Elle allait maintenant lui servir...

Il était près de une heure du matin, il s'éloigna du coeur de Paris qui commençait à s'endormir et se dirigea vers le Nord. Un vieux bonhomme faisait sortir un vieux chien galeux et rond comme un ballon, il fallait qu'il le tire carrément pour le faire avancer. Il s'engagea dans le Bd Sébastopol.

Une rapide image de ses amours muettes avec Odile, une camarade de classe le fit sourire : Ils s'envoyaient de longs regards qui les intriguaient l'un l'autre. Ils n'allèrent jamais plus loin par peur peut-être de briser l'intensité de ce regard là. Des années après leur première rencontre visuelle, pendant un cours de latin, ils continuaient à se regarder aussi intensément avec toujours un sentiment nouveau de surprise.

Et sans s'être pratiquement jamais adressé la parole, il semblait qu'ils se fussent tout dit. Leurs regards s'envolaient par dessus les rangées de leurs camarades, se rejoignaient, s'enlaçaient plus étroitement qu'ils ne l'eussent pu faire de leurs corps, tardaient à se quitter. Le monde pouvait s'effondrer, plus rien n'existait, plus rien n'avait d'importance, qu'eux.

Arrivé à l'angle de la rue de Réaumur, il tourna à gauche, il commençait à faire un peu moins chaud, la lune brillait là-haut, elle était pleine, il commençait à avoir faim. Des ombres filaient rasant les murs. On disait que Paris n'était pas sûr la nuit. Heureusement qu'on le disait, car il ne s'en n'était jamais rendu compte, il aurait pu ne jamais le savoir. Il y avait un peu de vent, il se sentit léger, sans cette boule à l'estomac, il aurait pu se sentir heureux.

La population, circulant dans les rues de Paris à cette heure ci de la nuit devenait presqu'exclusivement masculine. Quelques chats passaient également qui n'étaient pas tous gris. Il ne faisait peut-être pas assez nuit. Il marcha un peu au hasard, il en avait assez de cette vie qu'il menait sans but, sans aucun moyen de se prouver qu'il existait, qu'il n'était pas seulement une marionnette.

Il avait souvent pensé à partir, nulle part, un peu n'importe où. Les gens autour de lui avaient pourtant toujours quelque chose à faire, mais quand on leur demandait compte de leurs motivations cela semblait dérisoire, ils avaient toujours l'air de réciter une leçon bien apprise. Aux pourquoi et comment ils répondaient trop souvent "c'est comme ça !".

Et comme il insistait on lui demandait invariablement "Et tu crois que tu vas changer le monde ?" Et il se rendait compte qu'il comptait si peu, que sa présence ici-bas n'avait qu'une utilité très limitée. Par moment il se demandait si ce n'était pas lui qui se posait trop de questions, mais il se sentait vide, terriblement vide, les autres étaient vides, tout n'était que du néant.

Des hommes partaient dans la lune, d'autres crevaient de faim. Tout un chacun se préoccupait des actes et des pensées de son voisin, constamment à lorgner son assiette, mais dés que l'on parlait misère, difficulté de vivre, l'intérêt pour autrui s'émoussait comme par enchantement. Que pouvait donc l'homme petite entité microscopique face à l'immensité de l'univers ? Ne voyait-il pas là la vanité de tout effort !

Et pourtant ils étaient là; il fallait bien qu'ils vivent ! Mais à quoi cela pouvait-il servir de se battre pour figurer dans un monde si vain! Puis quand il avait reconnu la nullité de son sort, il finissait par se dire qu'il faudrait bien réagir, se cramponner à pleine mains, s'enfoncer dans cette merde et faire quelque chose.

Oui mais quoi ? Quand ? Serait-il encore en vie quand le monde irait mieux ?

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