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Publié par Christian Hivert

L’ART ENFANTIN OU L’ENFANCE DE L’ART : P.SELOS

Article publié dans le numéro 3 de la revue « POSSIBLE », retravaillé le 4 juin 2014.

REFLEXIONS SUR LE DROIT A LA VOCATION ARTISTIQUE

Parmi les vocations artistiques menées à terme, la plupart ne le doivent certainement pas à la compréhension stimulante de leur milieu socio-culturel. Que d’énergie dépensée pour affirmer son droit à la créativité ! Que de temps perdu à lutter contre l’hostilité ambiante, au détriment de la maturation artistique … Il serait bon de remonter aux sources pour savoir les raisons qui motivent la société et, par délégation, la famille dans l’attitude ambigüe qu’elle manifeste face à la révélation d’une vocation artistique.

La société entretient des relations très équivoques avec les artistes dont elle accouche. Elle compte sur la « sélection naturelle » pour en limiter le nombre, comme si elle pressentait le pouvoir contestataire de l’œuvre ou de l’action créatrice. Elle ne peut cependant se départir d’une certaine attirance envers ces mêmes artistes, consciente peut-être du rôle thérapeutique qu’ils jouent au nom du refoulement collectif. C’est pourquoi certains sont couverts d’honneurs et vivent dans l’opulence, renvoyant, du même coup, dans la fosse commune de l’anonymat, les malchanceux.

C’est ainsi qu’on nourrit la légende de l’artiste maudit destiné parfois aux gloires posthumes. On appelle fatalité ce qui n’est jamais qu’une conséquence logique.

La tentation est forte d’en chercher l’origine dans le résultat d’une sélection qualitative, mais, devant l’inconsistance de certains « élus », personne n’ose en avancer l’argument. On pourrait aussi évoquer les difficultés économiques pour en justifier une limitation, la collectivité n’étant pas en mesure de supporter la charge d’individus en marge des mécanismes de production. Cette excuse ne prévaut plus dans notre monde surdéveloppé dont l’expansion cherche sans cesse de nouveaux marchés.

L’excuse est-elle d’ailleurs recevable quand on sait la place accordée aux artistes dans les sociétés primitives, et, même, actuellement dans le tiers-monde ! Voyons-y plutôt les signes inquiétants d’un recul de l’esprit au profit du matérialisme compensatoire. « La société libérale avancée » ou « le socialisme à visage humain » risque de pourvoir au bonheur d’une masse anthropomorphique vidée de sa dimension d’homme.

Souhaitons que l’avenir démente l’anticipation mais, n’attendons pas inactifs, qu’un miracle vienne d’ailleurs. La famille reprend à son compte l’image de l’échec. Elle a pour elle les statistiques et n’imagine pas un instant qu’elle se fait complice du génocide culturel. Elle est prête à tout faire pour soutenir une vocation professionnelle intégrée au circuit productif mais il ne lui vient pas à l’esprit d’investir la même énergie économique et affective pour que s’affirme un destin créateur.

Elle agite le spectre de la misère en oubliant qu’elle cautionne une politique où le ministère des affaires culturelles ramasse les miettes d’un budget national, et où l’éducation à l’éveil artistique figure au programme des écoles sans disposer de moyens matériels ni des investissements humains nécessaires pour passer à l’acte.

S’il faut parler un langage rassurant, disons, pour ne pas être en reste avec le marketing, qu’en lessive ou en art, une clientèle se fabrique. Mais revenons aux craintes qui nourrissent l’objection.

La notion de bonheur est constamment confondue avec la réussite économique mais les limites n’en sont pas fixées, de sorte que la famille véhicule un sentiment d’insatisfaction. Elle n’est pas crédible.

La chose est d’autant plus évidente que les parents ont parfois renoncé à vivre leurs désirs pour s’offrir « une sécurité » perpétuellement remise en question par les fluctuations économiques et les sursauts politiques du moment.

Dans l’argumentation parentale, on réfute aussi la vocation artistique précoce, sous prétexte de sauvegarder les chances d’un changement d’orientation ultérieur. Par contre, il suffit que l’enfant ait des dispositions aux études et qu’il émette un désir raisonnable, en accord avec les prétentions qu’on a pour lui, et voici toute sa famille à sa dévotion. Elle semble ignorer les énormes difficultés qui se posent lors d’une éventuelle remise en cause du choix universitaire ou d’apprentissage.

Qui, de toute façon, peut prétendre aujourd’hui à la sécurité de l’emploi ?

La famille se rassure à bon compte.

Il serait bien qu’elle se souvienne que le bonheur passe par l’accomplissement de soi et qu’il n’est donc pas accessible à l’artiste avorté.

Je reste persuadé qu’il n’est pas impératif ni fondamental d’attendre l’âge adulte pour prétendre à la maitrise de l’expression choisie, non plus qu’à la construction d’une carrière.

Il n’est jamais trop tôt pour accéder à la connaissance ni pour apprendre la stratégie nécessaire à sa mise en valeur.

S’il trouve, sans restriction, un appui véritable, matériel et intellectuel, affectif et stimulant, il vivra son art et l’art vivra.

Encore faut-il avoir, de l’art et de l’enfant, une autre image que cette expression infantile dont nous contribuons à maintenir l’existence.

P.SELOSSE

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