Guerre civile généralisée....
Plaisians, le 18/04/2004
Marc Halévy-van Keymeulen
Guerre civile généralisée ou …
Aujourd'hui, chaque homme est d'abord un simple rouage horloger de la machinerie économique et de la machination politique.
Une pièce mécanique dotée d'une fonction et priée de fonctionner.
Pur produit du rationalisme cartésien et du mécanicisme galiléen, notre vision de la société, notre doctrine du "vivre ensemble" relèvent des stéréotypes de l'ingénieur : ingénieur juriste d'un côté, ingénieur économiste de l'autre.
Tout est machine.
L'homme lui-même, machine psychophysiologique, est soumis aux violences des ingénieurs médecins.
La société des hommes, machine sociale, est soumise aux violences des ingénieurs idéologues.
De fait, toute vision mécaniste ne peut "fonctionner" que dans la violence car elle ne "marche" qu'en réduisant aux "simples" la richesse complexe, organique et holistique du Réel. Il s'agit, en somme, de faire entrer la chair vivante du Réel dans le costume beaucoup trop étriqué des modèles analytiques. Cela ne se peut que par la force !
Quand Sarkozy rappelait, avant la déconfiture régionale, que le projet de la Droite française était de "restaurer l'autorité de l'Etat" (avec comme corollaire le pullulement des gendarmes le long des autoroutes et dans les villes et villages, soit là où la densité d'accidents graves est la plus faible, mais la rentabilité des PV la meilleure), il ne réaffirme rien d'autre que ce principe de violence. Le "peuple" lui a répondu par les urnes.
La société civile, partout en Europe et de plus en plus aux USA, cherche un autre "vivre ensemble" que celui régit par les lois et institutions de l'Etat et de la Finance.
Les modèles juridico-démocratiques et mercantilo-capitalistes sont dépassés.
Une politique nouvelle, largement communautariste, et une économie nouvelle, clairement immatérielle, émergent : la complexité du Réel est devenue telle que la Force institutionnelle ne suffit plus à maintenir ses chairs vivantes dans ce costume rétréci : elles débordent de partout, le tissu craque, les coutures cèdent, les braguettes explosent …
Nos sociétés sont donc devant un choix cruel : soit renforcer la force et redoubler de violence, soit changer radicalement de modèle politique et économique.
Il ne suffira plus de rapiécer, de ravauder, de recoudre.
Il s'agit de jeter le vieux costume "moderne" aux orties comme un froc obsolète, et de se tailler quelque sari (le sari ne comporte ni coutures, ni boutons, ni épingles) souple et confortable pour en vêtir la société noétique qui vient.
Violence ou mutation, donc.
En jouant sur la peur de l'autre, de la différence ou de sa propre faiblesse, en montant artificiellement la soi-disant "insécurité" en épingle, les clans au pouvoir tentent de légitimer a-priori le recours à plus de violence.
Le ton est donné : l'escalade de la violence !
Car à toute violence répond toujours une violence plus violente dans le cercle vicieux de la débilité guerrière. L'opulence blanche suscite le larcin du bronzé qui entraîne la violence verbale du blanc qui enflamme les cités bronzées que répriment les gendarmes blancs qui se font bastonnés par les bandes bronzées qui se font massacrer par les bandes skin-head blanches, etc …
A force de s'enfermer dans les logiques binaires (blanc/noir, vrai/faux, bien/mal, etc …), on ne peut que rater le Réel qui est bien plus riche, bien plus complexe que cela.
Non seulement le rater, mais le blesser, le saccager, le détruire.
Logique de destruction par ignorance imbécile et par aveuglement meurtrier.
La vie politique et économique d'aujourd'hui est confrontée à la même problématique de fond que la science des années 1920 lorsque la nouvelle physique quantique exigeait de dépasser définitivement la mécanique newtonienne. Son dilemme était déjà le même : soit conserver le modèle ancien et renoncer à comprendre l'univers, soit renoncer à la simplicité et à l'élégance primitives et créer un paradigme nouveau. L'establishment académique résista tant qu'il put, mais finit par céder. Là s'origine le mot de Max Planck : "la vérité ne triomphe jamais, ce sont ses ennemis qui meurent". Ils sont morts vite, heureusement …
Notre monde économique et politique est face au même choix, aujourd'hui.
Il a choisi et est en train d'entrer dans une logique de violence.
Violences délinquantes et contre-violences policières ; agressivité fiscale et fonctionnarisme réactionnaire ; terrorismes légaux et illégaux, intérieurs et extérieurs et contre-terrorismes des bien-pensants ; juridisme guerrier et guerres juridiques ; OPA hostiles et délocalisations brutales ; factions para-militaires et milices privées …
Les bénéficiaires des pouvoirs économiques et politiques en place, et les parasites des institutions du passé sont trop nombreux et trop prospères pour se faire le hara-kiri salutaire. Une logique suicidaire est donc en place.
Nous pourrions donc entrer dans une phase de guerre civile généralisée.
Ce scénario n'est pas à exclure … il est même probable, étant donné l'inconscience et l'inconséquence ambiantes.
De plus, il est non seulement trop tard mais surtout radicalement inutile de tenter quelque mouvement réformateur ou transformiste ou évolutif que ce soit : ce n'est pas en nourrissant mieux les chevaux de trait que l'on empêcha le tracteur de les supplanter.
Cependant, entre réforme inutile et guerre civile généralisée, il y a place pour une troisième voie : celle de l'émergence progressive de communautés virtuelles (c'est-à-dire noétiques ou noosphériques, comme on voudra) qui échappent, par le haut, aux affres de la sociosphère humaine en déliquescence.
Des îlots dédicacés à la connaissance et à l'expertise, à la recherche et à la création, qui soient résolument "au-dessus de la mêlée" comme le rêvait Romain Rolland.
Des îlots de paix au-dessus des guerres civiles, politiques et économiques.
Des îlots qui, tels des taches d'huile sur le buvard, iront s'étendant jusqu'à se rejoindre et se lier et couvrir toute la surface du globe selon un autre référentiel, dans une autre dimension, pour un autre temps. Révolution douce et pacifique, non violente.
De nouvelles normes sont prêtes à éclore.
Mais ces normes seront inversées : le politique et l'économique ne seront plus que de l'intendance périphérique, l'homme ne sera plus la mesure de toute chose et la promotion de la Vie (au-delà de l'homme et sous toutes ses formes) sera la règle, le long terme prévaudra sur le court terme (on cessera donc de détruire ce monde qui appartient déjà à nos petits enfants), le collectif sera subordonné au personnel (l'épanouissement et l'accomplissement de chacun sera le règle), le matériel s'effacera devant le spirituel (mais la spiritualité sera personnelle, loin de toute religion instituée), les valeurs féminines (paix et inclusion) évacueront les valeurs masculines (guerre et exclusion), le qualitatif (la qualité de la vie) primera sur le quantitatif (la fortune ou le pouvoir d'achat), bref : le devenir balayera l'avoir, l'être et le paraître.
Albert Einstein disait : "le sort de l'humanité en général sera celui qu'elle méritera.".
A bon entendeur …
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