"Les autonomes eigties" : entretien 4
54) Comment-fait on pour squatter individuellement ?
CH : Pour ma part, j’ai d’abord fréquenté des squatteurs, ai beaucoup parlé avec eux, me suis renseigné sur tous les aspects juridiques, ai appris tous les détails pratiques, ai beaucoup bu une nuit et décidé d’essayer mon pied de biche flambant neuf (Acheté aux forges de l’Est) sur une porte d’un appart auparavant repéré.
Cela paraît simple, et cela ne l’est pas.
C’est une mise en scène de ses peurs et de ses capacités d’agir.
Et ensuite cela devient un grand plaisir, comme une petite drogue, j’en avais pris un certain nombre de tics, dont il me reste des traces, toujours regarder en l’air quand je suis dans une rue à la recherche de traces d’inoccupation, vieux volets fermés, rideaux poussiéreux, vitres sales, pendant longtemps dès que j’avais une bonne murge, je me retrouvais agrippé à une descente de zinc d’eau pluviale, ou en train d’escalader une murette d’arrière cour, on devient peu à peu un peu monte en l’air.
A un moment, j’en ai eu marre d’attendre la réactivité des copains, et je n’étais pas mûr pour la vie en collectif, j’y suis allé tout seul, l’appart, un petit deux pièces sur la Rue des Pyrénées non loin de maraîchers, a tenu dix ans, son proprio ne s’en occupait pas, comme c’était tranquille c’est devenu, lorsque j’ai été squatter à USINE, une planque pour des copains réfugiés irlandais et italiens, ainsi qu’un logement d’urgence entre deux expulsions.
55) Comment entrez-vous en contact avec les squatters de la rue des Vignoles ?
CH : Avec un pote, un peu après l’arrêt du Mapli, nous nous ennuyions à toujours commenter le monde avec les margeos du dix huitième, dans le rade Nord Sud avant sa rénovation des années 90, rien n’en sortait, ils étaient tous à moitié camés, vindicatifs et rebelles en propos mais inactifs, nous en avons eu marre et avons décidé de relancer une lutte, nous ne savions même pas laquelle, c’était du simpliste, nous voulions arrêter de nous plaindre et de critiquer mais agir pour que cela cesse, mais où trouver d’autres gars prêts à l’aventure.
Mon pote a eu l’idée d’aller en chercher au Père Lachaise à la fin d’une manif du 1er Mai, parce que c’était une tradition de révolutionnaires, je ne sais si elle dure, de se retrouver en fin de manif du 1er Mai au mur des Fédérés pour commémorer à grand coups de bières et de pétards la Commune de Paris, affalés sur les tombes des dirigeants du Parti Communiste.
Nous nous sommes retrouvés là une dizaine à vouloir la même chose, faire bouger le schmilblic, sans savoir comment, à cette époque, cela a sans doute changé, mais il était très facile de se parler les uns les autres, d’autant mieux si on venait tous devant le Mur des fusillés, et là au bout de quelques heures on a décidé de faire bouger les choses, on s’est revus plusieurs fois et on a fini par atterrir au local des squatteurs de la Rue des Vignoles.
L’idée qui nous était venu ce Premier Mai là, 1984 je crois, était de faire un café sauvage pour y fédérer des contestataires et développer une force rebelle au système, nous n’avions aucune idéologie particulière, il n’y en avait qu’un seul qui se disait anar, « mais pas à la FA, c’est tous des cons »
56) Comment était organisé le squat ?
CH : Ce n’était pas un vrai squat, c’était une petite boutique avec une cave en dessous, qui était loué à bas prix en bail précaire à une proprio amie, les squatteurs associatifs s’étaient fait virés du 116 rue des Pyrénées, une ancienne fabrique à activités culturelles, ils étaient en relation constante avec les Occupants Rénovateurs, les squatteurs d’Aubervilliers, et les squatteurs de la rue des Caves, et ils avaient mis en place cette solution pour continuer à se réunir et tenter de relancer une occupation collective, ce qu’ils n’ont jamais fait, tant ils étaient démobilisés, c’est un peu contre leur volonté que nous, les plus jeunes, la relève en quelque sorte nous nous sommes construits et avons lancé USINE
L’immeuble au dessus était squatté par des familles haïtiennes et africaines et les anciens ateliers d’artisans de la ruelle derrière squattés par des junkies en phase terminale, les seuls à ne pas squatter étaient les squatteurs associatifs.
57) Combien y avait-il d'habitants ?
CH : Ce n’était pas une espace dédié à l’habitation, la cave était squattée par un pote avec qui nous avons lancé le bar sauvage, nous ne le connaissions pas avant d’arriver, et suite à certaines de nos expulsion des débuts le local nous a servi de dortoir provisoire.
58) C'était un squat ouvert à tous ?
CH : Donc, nous avons dit que c’était une boutique.
59) Qu'elles étaient les relations entre les squatters et les habitants du quartier ?
CH : Les relations étaient très bonnes entre tous les habitants du quartier et tous les passants, c’était un des derniers quartiers popus de Paris et tout le monde connaissait tout le monde, la moitié des ruelles étaient squattées, mais rien n’était revendiqué, c’était du squat d’urgence, chacun chez soi, Il y avait beaucoup de taudis aussi.
60) Quelles étaient les relations avec les autres squats ?
CH : A cette époque là les squatteurs organisés étaient un peu essoufflés, l’une des toutes premières opération de police de la Cagoule à Tonton au pouvoir a été d’expulser tous les squats revendiqués et actifs, les seuls qui avaient tenu, étaient les squats d’artistes, et eux ne voulaient pas nous voir en peinture, sans doute pour cela qu’ils tenaient.
Et il y avait une multitude de squats non politisés, d’habitation, certains collectifs et tenus par des familles africaines, ils rejoindront le comité des mal-logés par la suite.
61) Qu'est-ce que le PROGRES (projets grands espaces) ?
CH : Le Progrés c’était donc la dizaine de margeos rencontrés au mur des fédérés, plus le squatteur de la cave de la rue des Vignoles, plus un ancien des squatteurs associatifs et un ancien des Occupants rénovateurs, l’objectif étant de profiter du local désert des squatteurs associatifs en décomposition pour faire un bar sauvage en vue de réunir de nombreux contestataires et de repartir à l’assaut des étoiles. Le Grand espace étant par la suite Usine
62) Selon vous, quels sont les changements qui ont touché le mouvement autonome entre 1979 et 1986 ?
CH : Pas de mouvement, pas de changement.
Les changements sont d’ordre très général et touchent tous les habitants de la planète, c’est ce que certains nomment la mondiaglobalisation. Auparavant on parlait d’accumulation monopolistique capitaliste, les termes ont changé mais désignent les mêmes.
La coloration des rebelles au capitalisme change également, ce ne sont plus des margeos mais des exclus, et parmi eux il y a toujours autant d’autonomes, un jour ici, demain là, la seule différence est peut-être que les grandes gueules se sont tues puisqu’achetées, et qu’enfin nous n’avons plus de leadeur désigné par voie de Presse, jusqu’aux IQV, lire I cuvée (ils devaient tous être salement secoués quand ils ont pondus ces inepties, les invisibles).
63) La question de la violence est-elle toujours présente et source de division dans les années 1980 ?
CH : Pas plus présente ni source de divisions (combien de divisions ?) qu’avant.
Il n’y a plus de mythe de révolution armée, ce qui limite férocement l’utilité de la violence politique.
Maintenant il y a toujours eu et il y aura toujours la nécessité de résistances plus ou moins appuyées aux forces de l’ordre en action au cours de luttes, quelles qu’elles soient, et ceux qui résistent parfois dans ces moments là ne revendiquent la plupart du temps aucune systématisation de la violence, ils ne sont pas violents ordinairement, et ce ne sont pas toujours des autonomes. Le débat sur la violence et le moyen d’y échapper est constant, cela fait parti de l’histoire de la classe ouvrière depuis les premières grèves réprimées au début de l’industrialisation des sociétés modernes, l’histoire n’étant pas finie, quoiqu‘en disent certains, le débat continue, quelle que soit la date, et persiste de nos jours.