Des camarades autonomes : "Oser lutter…"
Au sortir de la deuxième guerre mondiale, le capitalisme a connu une période d’expansion. Il faut souligner que cette période n’a été possible qu’à l’issue de destructions massives et d’une redistribution des zones d’influence dans le monde. Revendiquer le retour à cette période conduit à prôner la guerre et un nouvel ordre de domination sur le monde.
En période d’expansion, le capitalisme pouvait se permettre une certaine redistribution des richesses et intégrer les revendications réformistes (logement, santé, retraites, code du travail, …) qui ont par ailleurs contribuées à améliorer son fonctionnement.
Avec la crise, les capitalistes sont entrés encore plus en concurrence et se sont lancés dans une course à la baisse des coûts de production, et plus précisément du coût du travail ; augmentation de la productivité, baisse des salaires direct et indirect. Il s’agit de baisser les prix pour remporter les marchés. Les bénéfices sont donc réinvestis de plus en plus dans des machines pour baisser le coût de la main d’œuvre.
Dans ce contexte, les capitalistes ne peuvent plus se permettre de lâcher des miettes pour maintenir la paix sociale. Le statuquo comme tout retour en arrière est impossible. Ils n’ont pas d’autre choix que d’attaquer et remporter la bataille. Ceux d’entre eux qui ne gagneront pas dans la lutte des classes, perdront dans la lutte de la concurrence.
Qu'il s'agisse de luttes de masse ou de luttes locales, seules les luttes susceptibles de se développer jusqu'à entraîner l'ensemble du prolétariat et de remettre en question la propre existence du pouvoir capitaliste, pourront le faire céder.
Ainsi, les luttes de ces dernières décennies qui n’ont pu mobiliser qu’une partie du prolétariat sont vouées à l’échec. La lutte contre le CPE ne pouvait mobiliser la partie importante du prolétariat qui était déjà précarisée, la lutte sur les retraites ne pouvait mobiliser la jeunesse. Aujourd’hui, la lutte contre le projet de loi EL Komeri ne peut mobiliser ceux pour qui le code du travail a d’ors-et-déjà été contourné.
De plus, ce type de lutte en posant d’emblée les limites de son extension, laisse l’avantage au pouvoir, puisqu’il sait que la mobilisation ne sortira pas du cadre qu’elle s’est elle-même imposé et donc ne le déstabilisera pas. Et il peut alors à sa guise négocier, diviser, réprimer, instrumentaliser, … Ainsi, même si formellement on serait tenté d’y voir des victoires (ex : retrait du CPE), les capitalistes trouveront toujours des moyens de contournement pour faire passer leur projet de déréglementation du travail et généraliser la précarité.
Depuis plus de quarante ans chaque offensive de la bourgeoisie et les luttes en retour ont créé des autonomes. Pour pointer leurs caractéristiques principales, le mieux est de faire quelques rappels historiques.
Dans les années qui suivent mai 68, l’extrême gauche va pratiquer la violence de rue et les sabotages. Pour elle, l’heure est à la révolution : l’occident, la Chine, l’Amérique du sud sont en ébullition. Le modèle guévariste des foyers de guérillas (« étincelle censée mettre le feu à la plaine ») domine et l’extrême gauche va organiser des combats de rue qui prennent parfois l’aspect de batailles rangées. Dans ces pratiques violentes, cette dernière va drainer une jeunesse prolétarienne qui lui sert souvent de troupe de choc et de petites mains.
On est à cette époque toujours dans la phase d’expansion du capitalisme issue de la deuxième guerre mondiale avec ses reconstructions et son nouveau partage du monde. On est dans le plein emploi, la montée en puissance des classes moyennes, la consommation de masse, la résorption des bidonvilles remplacés par des cités H.L.M. ... Si l’extrême gauche est ouvriériste, en ce sens qu’elle met en avant une compréhension mythifiée de la classe ouvrière, la condition d’O.S. est souvent comprise comme un archaïsme que la modernité (révolutionnaire ou pas) va faire disparaitre.
En 1973, la Gauche Prolétarienne s’auto-dissout et progressivement l’extrême gauche va abandonner la violence de rue. La révolution chinoise est définitivement comprise comme un échec, les mouvements en Amérique du sud subissent la répression orchestrée par les U.S.A., les mouvements sociaux en occident, s’ils demeurent puissants, stagnent : le feu ne se répand pas dans la plaine… A partir de là, vont apparaître dans les manifestations des « débordements » qui sont le fait de militants (qui refusent l’abandon de la violence) et de jeunes prolétaires.
1976 est l’année de l’annonce officielle du chômage de masse. On bascule brutalement d’un contexte de pénurie de main d’œuvre à un contexte de surplus de main d’œuvre et avec l’inversion des rapports de force dans les entreprises, la grève perd de sa force. Les perspectives révolutionnaires proches disparaissent définitivement. Et à partir de là, l’extrême gauche condamne et réprime la violence de rue.
Officiellement l’autonomie apparait en octobre 1977 à l’occasion de la mise à mort des militants de la Rote Army Fraction en Allemagne. Elle s’organise immédiatement en assemblée rejetant le fonctionnement en parti. La réaffirmation de la violence de rue, de la lutte armée est le catalyseur. Les militants les plus radicaux ont été marginalisés de l’extrême gauche. En France, la jeunesse parisienne subit la rénovation et la gentrification qui en découle, tandis que la jeunesse de la banlieue industrielle subit les premiers effets du chômage et des restructurations. Ce contexte ajouté à l’enthousiasme militant laisse penser qu’il apparaît un mouvement qui rompt avec les pratiques militantes issues des périodes d’expansion, avec ses partis, son avant-gardisme, et qui va organiser un nouveau prolétariat menacé par le chômage et la gentrification. Les autonomes scandaient « Autonomie et Offensive ».
Mais il n’y aura aucun renouveau des luttes. Globalement, le prolétariat subit les restructurations sans parvenir à inverser le rapport de force. En France, le mouvement autonome n’existera qu’à Paris, seule ville à subir la gentrification. Il faudra attendre plusieurs décennies pour que le mouvement apparaisse en province.
Ce premier mouvement autonome et ceux qui vont suivre ne sont pas le fruit d’une montée des luttes. Il ne s’agit pas, comme on peut le vouloir, d’un dépassement révolutionnaire du réformisme. A l’inverse, ce n’est qu’une réaction de refus des reculs successifs de la gauche et de l’extrême gauche face à la crise. Ce ne sont pas les autonomes qui prennent l’initiative de rompre avec les organisations, mais ce sont les organisations qui, de part leurs reculs successifs, rejettent les fractions du prolétariat qu’elle ne veut plus défendre.
La crise redessine les compositions sociales. Dans un premier temps, elle a précarisé le prolétariat industriel, puis elle réduit les statuts intermédiaires ; classe moyenne, petite bourgeoisie.
Intégrer cette réalité, repenser les luttes, conduirait à se tourner vers le prolétariat et à renoncer définitivement aux statuts intermédiaires. Les autonomes s’y refusent.
Leur base sociale est précarisée, ne peut plus accéder aux statuts intermédiaires entre la bourgeoisie et le prolétariat et est menacée d’exclusion des centres ville. Les tentatives de s’orienter vers le prolétariat sont toujours restées minoritaires et ont finalement plus servis de « faire valoir prolétarien » sans jamais devenir une composante décisive, jusqu’à être combattus par une « droite de l’autonomie » qui a opté pour le traitement caritatif des antagonismes de classe (M.N.C.P., D.A.L.).
Les critiques ou propositions que font les autonomes sont surtout des formes. La violence, l’action illégale sont remises en avant, marquées par le romantisme guévariste des années 60. Au lieu de repenser ou réadapter la violence à la situation actuelle, le modèle reste celui d’une montée des luttes liées à la période des « trente glorieuses » qui n’existe plus et ne sert plus d’agrégation mais isole et devient un repoussoir.
Leur rejet du parti, est surtout le retour d’une exclusion subie des partis existants. De fait, les lieux d’organisation restent le plus souvent centralisés et ne se démarquent pas de la médiatisation qui tend à en faire une représentation ou un pôle de référence. Elle utilise plutôt cette tendance et gère ses actions non pour leur efficacité, mais plutôt comme exemple à suivre ou indication à destination des masses.
Ainsi bien qu’ils s’en défendent, les autonomes n’ont jamais rompu avec des conceptions avant-gardistes. Parce qu’exclus, les autonomes ont toujours voulu se réinsérer dans le jeu politique officiel et finalement ont cherché plus à se rapprocher de composantes moins radicales plutôt que d’aller vers les composantes du prolétariat exclus avant eux. Ainsi liée aux organisations, l'autonomie subit avec elles la droitisation générale et donc la dépolitisation : à chaque cycle d’exclusion et lutte, la critique autonome se fait de moins en moins radicale.
Plus de quarante ans d’expérience montrent que les mouvements autonomes portent en eux toutes les conditions du renforcement de leur isolement et ne peuvent porter l’extension et l’élargissement des luttes nécessaires pour rompre avec les reculs.
Porter le retrait de la loi travail comme revendication centrale revient à s’élargir sur la droite.
On le sait, la généralisation de la précarité a largement permis au patronat le contournement du code du travail. Depuis les C.D.I. en passant par les C.D.D., l’intérim, les stages, l’auto-entreprise, on a toute une échelle de statuts impactés beaucoup, un peu, pas du tout. Mettre en avant le retrait de la loi travail, c’est mettre en avant les intérêts des secteurs encore garantis.
Certes, il y a la mobilisation d’une “ vrai gauche ” qui refuse le libéralisme du gouvernement, d’une base syndicale qui refuse le passage d’un syndicalisme de lutte à un syndicalisme de pacification sociale façon C.F.D.T. Cette fraction de la mobilisation peut rejoindre les cortèges autonomes et pour cause : c’est a son tour de subir l’exclusion politique. Et donc comme les autonomes, elle est en position de survie défensive.
Gouvernement et directions syndicales travaillent à leur isolement, leur concédant un spectacle de blocage qui ne bloque pas grand-chose. Dans ce contexte, cette fausse radicalité conduirait à renforcer leur isolement tant vis à vis des centrales syndicales, que du reste du prolétariat. Il est important ici de souligner qu’il ne s’agit nullement d’une fraction de la jeunesse, mais d’une génération attachée au réformisme, au parlementarisme, au nationalisme et impérialisme français, ce qui fut les fondements du stalinisme en France. Pour rappel, ce sont eux qui furent les premiers à exclure du champ politique la jeunesse ouvrière qui arrivait sur le marché du travail en même temps que l’apparition du chômage de masse (médiatisé sous la forme de deuxième génération de l’immigration). Pour ceux qui pensent que le prolétariat n’a pas de mémoire, nous soulignons que cette “ vrai gauche ” porte aux nues la défense du service public, alors que les fractions du prolétariat plus précarisées comprennent les services publics comme un instrument de répression et de contrôle.
Si une partie de ces constats peut être partagée aujourd’hui au sein de l’autonomie, les remises en cause qu’ils nécessitent sont loin d’être effectives, bien au contraire. Coincés dans leurs contradictions, les autonomes continuent de reproduire les formes d’action et d’organisation d’une autre époque. Celles-ci perdent d’ailleurs de plus en plus de sens politique, il ne reste plus que la forme vidé de son contenu. Cela tient plus du réflexe que de la réflexion et conduit à des situations délirantes : manifs sauvages sans aucun but ; affrontements sans aucun rapport de force et où la répression s’en donne à cœur joie ; et le fantasme des blocages économique, comme si bloquer quelques heures un rond-point ou l’entrée d’une boîte allaient avoir un réel impact sur l’économie du pays. La neige ou les inondations sont bien plus efficaces et le capital s’en remet très bien, c’est prévu dans les budgets. Les assemblées de luttes qui se sont formées un peu partout en France sont prisonnières de ces contradictions.
Il faudra plus qu’une simple dynamique de lutte pour dépasser certains clivages !
On ne peut effectivement pas ignorer un tel mouvement, ne serait ce que parce que le spectacle de la répression et de l’isolement à un impact sur tout le prolétariat, et parce que la lutte sur le terrain social est la meilleure réponse à l'offensive capitaliste à travers l'Etat d'urgence.
Mais l’élargissement et le renforcement ne peuvent venir que de l’extérieur de ce mouvement, par la mobilisation d’autres secteurs du prolétariat et forcément sur d’autres bases d’unité que le retrait de la loi travail.
Le prolétariat n’a pas disparu, il a été transformé par les restructurations et ses conditions réelles d’exploitation se sont aggravées. Il faut donc partir des conditions actuelles pour réadapter les formes d’organisation et de luttes. Contourner l’éparpillement, réadapter l’organisation des grèves et du blocage de la production, clarifier les bases de l’unité.
Tout n’est pas à repenser : la précarité est la forme la plus répandue d’exploitation dans le monde et a existé au début du mouvement ouvrier en occident. Il ne manque donc pas d’expériences dont nous pouvons nous ré emparer.
L’agitation sociale est un moment privilégié pour faire ce travail parce que les forces qui pacifient le prolétariat sont mises à mal.
Wesh! We shall overcome
Oser lutter
Toulouse, le 3 juin 2016.