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Publié par Christian Hivert

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Guantanamo à la française : L’Affaire Adlène Hicheur racontée par son frère

Guantanamo à la française : L’Affaire Adlène Hicheur racontée par son frère

Guantanamo à la française: mon frère Adlène, le « cyber-terroriste» nucléaire

L’affaire Tarnac a révélé au grand jour toutes les dérives de la justice « anti-terroriste ».

 

Dans cette justice, les procès verbaux obtenus ou retranscrits de manière douteuse, les interpellations spectaculaires, les scénarios montés par les services de renseignement, les détentions abusives, les « fuites » savamment organisées dans la presse, et l’exploitation médiatique de ces affaires par le pouvoir en place, sont monnaie courante. Ces « responsables » politiques voient là autant d’occasions de « rassurer » le peuple, « menacé » par les terroristes « islamistes », « séparatistes », et autres « anarcho-autonomes ». La mobilisation publique autour de Julien COUPAT et de ses amis a (heureusement) permis de mettre fin aux mois de détention des femmes et des hommes mis en examen dans cette affaire instruite sous le chef d’inculpation d’« association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ».

 

Mais l’affaire Tarnac n’est pas unique.

 

Qui se souvient des coups de pied dans la « fourmilière islamiste », de l’affaire CHALABI par exemple, dont le procès des 138 mis en examen s’est réalisé en 1998 dans le gymnase d’une prison et qui s’est révélée être un fiasco total pour le juge BRUGUIERE ?

 

Qui se préoccupe de la centaine d’islamistes, sympathisants islamistes ou « assimilés », arrêtés de manière régulière chaque année en France, avant même les attentats de 1995, et qui pourrissent dans les prisons françaises ? Le fait d’être musulman constitue-t-il donc une circonstance aggravante aux yeux du grand public pour que seules les organisations de défense des droits de l’Homme s’en émeuvent ?

 

Je veux raconter ici l’histoire de mon frère Adlène HICHEUR, le prétendu « physicien d’al Qaida », qui est en détention provisoire depuis 824 jours. Je la raconte ici dans sa totalité car seuls quelques mots (souvent ceux qui n’étaient pas les plus significatifs) ont été repris dans quelques articles de presse évoquant la situation d’Adlène. Bien que livrant un récit très factuel, j’utilise parfois des expressions personnelles qui me permettent de me « vider » un peu de mon amertume. Je compte donc sur la compréhension du lecteur !…

« Hollywood au quartier »

Jeudi 08 octobre 2009 – 6 heures du matin : « Police !, Police !, Ouvrez ! … » Ces cris sont répétés très rapidement et sont mêlés à de grands coups sur la porte d’entrée de l’appartement familial. Ce vacarme soudain surprend mes frères Adlène et Zitouni, qui prennent leur petit déjeuner dans la cuisine.

 

Adlène est en partance ce matin pour Sétif (sa ville natale en Algérie) où il doit séjourner une semaine ; c’est Zitouni qui doit le conduire à l’aéroport de Lyon. Mes frères ont à peine le temps de se rendre près de la porte d’entrée que celle-ci s’écroule devant eux: surgissent alors des hommes, vêtus de tenues de combat, portant des cagoules et pointant leurs fusils d’assaut  en direction de mes frères ainsi que de ma mère qui arrive en toute hâte de sa chambre pour comprendre ce qui se passe. Personne n’oppose de résistance, mais Adlène, qui se trouve le plus près de la porte, est frappé d’un violent coup de crosse de fusil sur la face gauche de son visage par l’un des « gorilles ». Ceux-ci le trainent alors à l’intérieur du salon pendant que Zitouni et ma mère sont violemment projetés sur deux fauteuils, qui se trouvent le long de l’un des murs du salon, avant d’être immobilisés.

 

Alors qu’une bonne quinzaine de ces mêmes gorilles se « déploient » dans les différentes pièces du F4 familial, et que d’autres restent au niveau du palier pour prévenir toute intrusion étrangère dans l’appartement (d’après les témoignages de nos voisins), des policiers en civil entrent au moment où les menottes sont passées à mes frères, qui sont  « remis debout» de manière brutale. Deux gorilles tentent alors de menotter ma mère qui vient de perdre connaissance à la vue de ses enfants traités de la sorte (Adlène souffre d’une hernie discale depuis huit mois et il est toujours en convalescence). Mes deux frères sont pris d’une violente colère lorsqu’ils assistent à cette scène: ils se débattent et protestent contre cet acte barbare et inutile. Les policiers en civil font signe que ce n’est pas nécessaire et on épargne le port des menottes à notre mère …

 

Tout cela s’est passé très vite, en moins de 5 minutes. A l’extérieur, le quartier est bouclé par des dizaines de véhicules banalisés et d’autres hommes cagoulés ont déjà pris position sur le toit de l’immeuble, à la manière des tireurs d’élite que l’on peut voir dans les séries américaines. En tout, entre 50 et 100 agents de police sont mobilisés (toujours d’après nos voisins, cf par exemple ces photos prises le jour de l’interpellation par un journaliste du Dauphiné Libéré).

 

Cette scène n’est pas issue d’un film de guerre ou d’un extrait de document amateur sur la répression militaire dans telle ou telle dictature : elle s’est déroulée dans un des immeubles du quartier de l’Isle, situé au sud de Vienne, ville du Nord Dauphiné à 30 km au sud de Lyon.

Les terroristes présumés…

Je passerai rapidement sur les heures qui suivent, sur l’appartement qui est mis sens dessus-dessous, sur les conditions dans lesquelles ma mère et mes frères ont été questionnés, d’abord dans des pièces séparées de l’appartement avant que deux « cortèges » d’au moins dix véhicules chacun n’embarquent mes frères. Ces véhicules foncent à toute vitesse pour traverser la ville, gyrophares et sirènes à pleine puissance, vers les lieux de domiciliation respectifs de Zitouni à 10 kms de Vienne et d’Adlène dans un village de l’Ain à proximité de Genève où il travaillait depuis trois ans en tant que physicien au CERN. Le même remue-ménage est répété dans leurs appartements.


Au final, on apprend dans la presse du jour-même que « deux ordinateurs portables, trois disques durs, et des clés USB» ont été saisis au domicile des deux frères « islamistes présumés», liés à al-Qaida.

 

J’ai personnellement été présenté comme l’un des deux frères arrêtés (édition du 11 octobre 2009 du Dauphiné Libéré), alors que je résidais alors en Allemagne : cette information sera reprise par des journaux de la presse nationale et internationale, sans aucun travail de vérification.

 

Les autres membres de ma famille (dont mon père qui était alors en Algérie) et moi apprenions aussi dans la presse que les deux frères gardés à vue seraient prochainement mis en examen pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ».

 

Et c’est toujours en suivant ces « informations » que nous tentions de comprendre ce qui était reproché à Adlène et Zitouni : à l’évidence, les journalistes étaient « bien » plus informés que nous ne l’étions. La nature des motifs de détention et d’inculpation d’Adlène nous a donc été « transmise » par la presse dans un premier temps, puis par Adlène (dans la limite des informations qui lui sont délivrées) et par nos avocats.

La garde à vue du «physicien d’al Qaida» et les 13 000 euros « manquants »

Il est en revanche utile de s’attarder quelque peu sur les conditions de gardes à vue de mes frères dans les locaux de la police judiciaire à Lyon, au retour des perquisitions menées dans leurs appartements respectifs. Vers les 18h, Brice HORTEFEUX, alors ministre de l’Intérieur, déclare à la presse, depuis Lyon, que la France, via « ces deux arrestations », a « peut-être évité le pire ».

 

Mes frères sont quant à eux victimes de méthodes d’interrogation particulièrement musclées et inhumaines (privation de sommeil, intimidations, on leur disait que notre mère était aussi « dans les locaux, qu’elle était dans un sale état et qu’il valait mieux parler pour lui éviter des souffrances fatales »…), et alors qu’Adlène souffre atrocement de sa hernie (un rapport médical ultérieur révèlera que son état de santé s’est particulièrement dégradé à cause des conditions de l’interpellation et de la garde à vue, il restera plus de 5 mois alité à l’hôpital pénitentiaire de la maison d’arrêt de Fresnes).

 

Adlène subira 17 interrogatoires au cours de ces 4 jours de garde à vue, de jour comme de nuit, sans l'assistance d'un avocat. Il sera ensuite  transporté en voiture de Lyon à Paris dans la nuit du dimanche 11 au lundi 12 octobre 2009, menotté et en position assise à l'arrière du véhicule, où les vitres seront sciemment laissées ouvertes malgré les quelques protestations d'Adlène qui se trouvait alors dans un état « second », pour reprendre ses propres mots. Il sera ainsi présenté au juge TEISSIER dans la journée du lundi 12 octobre auprès duquel il proteste une dernière fois, en vain : le juge le placera en détention provisoire à la prison de Fresnes le jour-même. Il se trouve toujours en détention provisoire à ce jour.


Zitouni sera relâché au bout de deux jours et deux nuits de garde à vue après avoir été traité de la même manière que son aîné. Il téléphone à ma sœur le samedi en milieu de journée pour lui demander de venir le chercher en voiture: j'apprends sa libération en même temps (au quart d’heure près) via …une dépêche de presse publiée sur internet, reprenant des « sources anonymes proches du dossier ».

 

Mon frère Adlène, le « physicien algérien » du CERN, sera présenté comme un dangereux cyber-terroriste « nucléaire » préparant des attaques contre des personnalités politiques de haut rang, contre un site de raffinerie Total basé à Londres, contre un régiment de chasseurs alpins basé à Annecy, et conversant régulièrement sur internet avec des membres présumés d’al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI). Ces différents scénarios sont savamment distillés à la presse par ces mêmes « sources anonymes » dans les jours et semaines suivant l’interpellation.

 

Le cas d’Adlène sera cité comme l’exemple de l’efficacité des services de renseignements dans la lutte anti-terroriste par les deux plus hauts responsables de la police française, Frédéric Pechenard et Bernard Squarcini, durant la première année de détention de mon frère. Peu de journalistes ont relayé la version de la famille si ce n'est des journalistes suisse, britannique et américain qui publient nos déclarations ou celles d’Adlène dès le mardi 13 octobre 2009.

 

Celles-ci contenaient pourtant un scoop : je déclarais alors que de l’argent en liquide (un peu plus de 13 000 euros) avait été saisi lors de l’interpellation. Je précisais qu’Adlène comptait utiliser cette somme pour régler les travaux de terrassement du terrain dont il est co-propriétaire à Sétif, une information que les « sources proches du dossier » s’étaient bien gardées de mentionner, à mon grand étonnement. Ces informations sont alors très peu reprises dans la presse hexagonale. Elles n’ont pas plus l’air d’intéresser l’accusation publique, car la discussion autour de cette somme d’argent est « peu reprise » dans le dossier d’accusation (il faut dire que nous avons fourni l’acte de propriété du terrain dès le début de l’affaire).

 

Par ailleurs, le billet d’avion, les plans du terrain ainsi que l’agenda d’Adlène, qui se trouvaient dans une pochette rouge, auraient été « égarés » durant la perquisition. Nous avons donc du fournir une copie de ces éléments (en obtenant un duplicata des billets d’avion aller et retour ainsi qu’une copie des plans qui avaient été transmis aux maçons qu’Adlène comptait rencontrer) pour contester le « risque de fuite » évoqué par l’accusation pour justifier le maintien d’Adlène en détention.

 

L’existence d’un comité de soutien, créé en octobre 2010 par les collègues français et suisses d’Adlène à l’initiative de Jean-Pierre LEES (un ancien collègue d’Adlène), et qui compte des personnalités comme le prix Nobel américain Jack STEINBERGER ou l’essayiste suisse Jean ZIEGLER, permettra de médiatiser un peu plus l’affaire dans la presse hexagonale, mais cela restera assez confidentiel.

Deux ans de détention plus tard : du physicien d’al Qaida à l’ « individu auto-radicalisé »

Depuis le 08 octobre 2009, aucun élément matériel venant avérer une quelconque préparation d’acte terroriste n’a été versé au dossier d’instruction, alors que celui-ci a continué de s’épaissir durant la détention d’Adlène (il contiendrait pas loin de 30 tomes), d’après nos avocats. Adlène est donc informé de l’évolution des accusations que l’on porte à son encontre au cours des rares interrogatoires du juge TEISSIER (un interrogatoire tous les 4 mois) ou durant les audiences de demande de mise en liberté qu’il formule (pas moins de 25 audiences en deux ans de détention provisoire). Mais les suspicions des « services », qui surveillaient pourtant Adlène depuis plus d’un an (et qui pouvaient donc, en théorie, interpeller Adlène en flagrant délit de préparation d’un acte terroriste supposé), combinées à la « volonté du moment » du ministre de l’Intérieur de l’époque (comme en atteste un cable Wikileaks évoquant l’affaire) ont suffit à faire incarcérer Adlène depuis plus de 27 mois à ce jour.

 

Les motifs d’inculpation ont évolué de manière assez obscure au cours de l’instruction qui est donc alimentée par les services de la DCRI. Ces motifs ont évolué en fonction de « l’air du temps » : Adlène était tantôt accusé d'avoir échangé avec un internaute suspecté d'être un terroriste opérant à Gaza, ou encore un autre présumé terroriste opérant en Somalie… autant de « motifs » servant, tous les 4 mois, à renouveler son mandat de dépôt. Le juge TEISSIER lui proposera même un entretien avec des « officiers de renseignement américains » en mai 2010, proposition qu'Adlène était prêt à accepter avant que les américains ne se désistent ; ils ne reviendront pas à la charge.

 

Pour notre part, nous n’avons été entendus (si l'on exclut les auditions de Zitouni et de ma mère au début de « l'affaire »), de même que certains amis proches, qu’au printemps 2011, soit plus d’un an et demi après l’arrestation d’Adlène, sur le « volet financier de l’affaire» et ce dans des conditions rocambolesques.

 

Ainsi, un ami se voit interrogé sur les raisons de sa conversion à l'islam et sur la possibilité qu’Adlène ou un autre membre de la famille y était pour quelque chose (par des officiers de la brigade financière !). Un autre ami est questionné sur « l'intensité » de sa « foi ». Pour ce qui me concerne, un appel masqué s'affiche sur mon téléphone portable début mai 2011: un « capitaine de la brigade financière » veut m'entendre au commissariat de Grenoble « au sujet de mon frère ». Je me présente donc le 16 mai 2011 à 13h (sans avoir reçu de convocation) pour un interrogatoire où l’on évoque mes entrées et sorties d'argent des trois dernières années, mais également la religion musulmane ou encore la présence de « travailleurs chinois » en Algérie : cela prendra 4 heures. On me promet de m'envoyer par courrier une attestation pour mon employeur, courrier qui ne m’est toujours pas parvenu…

 

De manière toute aussi étrange, le juge TEISSIER, après avoir sollicité l'aide de la justice suisse dès le mois de novembre 2009, ne demande l’aide de la justice algérienne qu'au mois d'aout 2010 soit 10 mois après le début de la détention d’Adlène. Pourtant, ce dernier est soupçonné « d’interagir » avec un groupe basé en Algérie et il était en partance pour l’Algérie le jour de son arrestation. En dépit d'un dossier bien creux, F. PECHENARD déclarera le 9 septembre 2011 (au micro de France Info et à l’occasion du dixième « anniversaire » des attentats du 11 septembre)  que ses services avaient déjoué un attentat d'un « individu auto-radicalisé  qui a essayé de poser une bombe dans un bataillon de chasseurs alpins » (français).

 

La justice suisse classera l’affaire après un an d’investigations et après avoir interrogé Adlène au cours de sa détention en septembre 2010 : «il n'a pas été possible d'identifier le ou les auteurs de l'infraction supposée», déclare la porte-parole du Ministère de la Confédération helvétique.

Un cadeau en provenance d’Algérie, un costume « made in France »

L’inespéré arrive enfin pour le juge TEISSIER qui, deux semaines avant la clôture de l’instruction, reçoit et transmet au juge des libertés, le juge MATON (qui a systématiquement refusé de remettre Adlène en liberté depuis deux ans), un document des services algériens affirmant qu’un dénommé Mustapha DEBCHI, arrêté en février 2011 en Algérie, aurait reconnu faire partie d’AQMI et avoir été en contact via internet avec Adlène ! Les magistrats révèleront l’existence de ce document à Adlène ainsi qu’aux avocats, et le juge MATON affirmera que le dénommé DEBCHI aurait été libéré en Algérie peu de temps après son arrestation… DEBCHI ne devait donc pas être si proche d’AQMI.

 

Après une rapide analyse du procès verbal en question par nos avocats, il s'avère que celui-ci correspond à un interrogatoire assez improbable : les questions des enquêteurs algériens n'y figurent pas (seule la mention Q précède la réponse R et la déclaration de DEBCHI). En outre, l’identité de la personne interrogée n’est avérée par aucune sorte de document officiel d’identité, autant d'éléments qui jettent plus qu'un doute sur la crédibilité de ce procès verbal qui ne respecte aucun des usages officiels dans ce type d'affaire. Cela ne convaincra d'ailleurs même pas le juge TEISSIER, qui voyait là pourtant certains de ses arguments d'accusation repris un à un par les déclarations d'un présumé terroriste : il délivrera une ordonnance de disjonction deux semaines plus tard (dissociant ainsi l’affaire « HICHEUR » de l’affaire « DEBCHI») lorsqu’il clôturera l’instruction à la mi-octobre 2011.

 

Adlène se « retrouve » ainsi seul mis en examen pour le chef d’inculpation « d’association de malfaiteurs » ….

 

Le procureur nommé dans cette affaire, G. PORTENSEIGNE, spécialisé dans le cyber-«jihad médiatique», a rendu son réquisitoire à la mi-décembre 2011, un réquisitoire de plus de 60 pages qui d’après nos avocats, « n’apporte rien de nouveau à ce dossier monté de toutes pièces par la DCRI» : y sont volontairement imbriqués des éléments divers, comme les opinions politiques et idéologiques qu’Adlène aurait échangées sur des sites Internet, sous forme de « posts » ou autres messages personnels qui lui sont adressés par les internautes participant à ces forums.

 

Certains d’entre eux lui demandant  d’utiliser un logiciel de cryptage de données car ces sujets de discussion étaient « chauds » (toujours de manière anonyme : Adlène a à faire à des « pseudos »). Adlène se « prête au jeu » et échange donc avec divers internautes, notamment durant sa période de convalescence (il a été hospitalisé plus de 20 jours pour une hernie discale) et durant laquelle il passe une bonne partie de son temps au domicile parental, à surfer sur internet. Il le fera en écrivant indifféremment en français ou en arabe (sa langue maternelle). Les enquêteurs sélectionneront quelques-unes des discussions pour bâtir leur accusation.

 

Toujours est-il que « l’ensemble », d’après le procureur, est combiné avec une liste d’ouvrages « jihadistes » (en langue arabe, croit-il devoir préciser) qu’il aurait téléchargés depuis Internet (ces ouvrages étaient donc accessibles au grand public) ou encore à d’autres textes en langue arabe qu’il aurait traduits…Tous ces éléments proviendraient d’une analyse méticuleuse du disque dur de l’ordinateur d’Adlène et de l’historique de navigation sur Internet : on y cherche donc scrupuleusement tout élément qui pourrait être utilisé à charge (pour bâtir l’image d’un « terroriste islamiste ») en expurgeant systématiquement tous les documents à décharge (qui forment – à un centième près – plus de 99,99 % des documents contenus sur son ordinateur) qui ne collent pas au scénario. Dans son réquisitoire, le procureur reprend cette méthode : il veut convaincre qu’Adlène est un terroriste de l’Internet (un terroriste « virtuel » en quelque sorte) et tout est bon pour lui tailler un costume de « réel » terroriste, du « sur mesure » pour reprendre les termes d’Adlène.

 

Le juge TEISSIER, dans son ordonnance du 29 décembre 2011, reprend également tous ces scénarios alors qu’il est également censé instruire à décharge, et il demande le maintien en détention. En attendant, aucun élément matériel venant valider l’hypothèse de la préparation d’un quelconque acte terroriste n’a été présenté, seul demeure un scénario bien ficelé par les services de la DCRI. Depuis le début de sa détention, Adlène n’a jamais eu accès aux 30 tomes du dossier d’instruction, ce qui lui permettrait de mieux préparer sa défense, d’autant plus qu’un procès est prévu à la fin du mois de mars 2012.

GUANTANAMO A LA FRANÇAISE ( 7/8 ) – La parole est au présumé coupable !

La parole est au présumé coupable !

 

Précisons d’emblée qu’Adlène reviendra sur nombre d’éléments qu’on lui a fait signer à l’issue de la garde à vue qui s’est déroulée dans les conditions décrites auparavant. Il conteste par ailleurs des éléments liés à une traduction biaisée de certains de ses propos écrits en langue arabe et demandera une contre-expertise que l’on attend toujours. Il conteste enfin le procédé des agents de la DCRI qui entretiennent des confusions volontaires sur le pseudo qu’il utilisait sur un forum donné (et qui ont été parfaitement identifiés par les enquêteurs à partir de ses connexions depuis la ligne téléphonique du domicile parental) et des pseudos utilisés sur d’autres forums que l’accusation veut présenter comme étant utilisés par Adlène (ce qu’il nie et ce qui n’est avéré par aucune sorte d’identification informatique).

 

Confronté à ce foisonnement de discussions entre pseudos avérés ou supposés sur lesquelles l’accusation construit un dossier à charge, Adlène reconnaitra avoir été sollicité, au cours de certaines des discussions, par un internaute (le fameux DEBCHI d’après les enquêteurs, dont on a vu les doutes entourant sa « déposition ») qui l’interpelle d’abord sur des sujets de discussion généraux liés à l’actualité du monde musulman (Palestine, Afghanistan, Irak …). Cet internaute lui proposera progressivement une collaboration « concrète » à laquelle Adlène ne donnera pas suite. Ces conversations, qui forment le cœur de l’accusation, ont donc été assumées par Adlène qui rappelle néanmoins que celles-ci ont eu lieu à la sortie de son hospitalisation de 20 jours, alors qu’il était sous un traitement médicamenteux lourd (à base de morphine) qui a perduré jusqu’au début de l’été 2009. Il reconnaitra qu’il a pu avoir des propos déplacés ou excessifs à cette époque, qu’il faut donc prendre dans ce contexte spécifique, mais que cela n’est jamais allé plus loin. A partir de juillet 2009, il reprendra son travail à mi-temps et abandonnera cette activité sur internet.


Il me confessera plus tard avoir inutilement échangé, durant cette période précédant sa reprise de fonctions, avec certains internautes qui s’apparentaient plus à des « trolls » qui voulaient « le pousser à dire des choses » qu’à des internautes ouverts à la discussion.

 

Il ne remet en revanche pas en cause ses positions idéologiques : les guerres en Palestine, Afghanistan, Irak … sont de nature néo-coloniale, les peuples envahis ont toute légitimité à résister, la foi islamique a toujours été un fédérateur puissant pour les différents mouvements anti-colonialistes dans ces pays.


J’ajouterais que ces affirmations reflètent assez bien la personnalité d’Adlène qui a toujours assumé son indépendance d’esprit et ses opinions. Par ailleurs, il n’a jamais caché sa foi, comme certains journalistes ont bien voulu l’écrire dans des scénarios du genre « Dr  Jekyll et Mr Hyde ». A cette duplicité suggérée de la personnalité d’Adlène répond en revanche une duplicité bien réelle des autorités françaises, d’abord « amies de Mouammar» et depuis peu « ennemies de Kadhafi », comme nous allons le voir.

La lutte contre l'islam(isme) en Europe, le printemps arabe et l’affaire Adlène HICHEUR

Je sors de la narration des différents volets de l’affaire d’Adlène pour exprimer ici une opinion personnelle. En effet, je pense que la situation que vit notre famille est symptomatique du paradoxe suivant : alors que la régression des libertés individuelles se développe dans les pays occidentaux pour des motifs divers (lutte contre le terrorisme, contre « l’islamisation » de l’Europe, politiques de sécurité publique et d’immigration…), c’est l’inverse qui a lieu dans les pays arabes.

 

En effet, au cours des deux dernières années, ces peuples se sont élevés, au prix de milliers de vies sacrifiées, contre l’oppression de régimes dictatoriaux, contre la connivence entre politiques, militaires et policiers dans l’accaparement des richesses du pays et dans l’organisation de la répression contre le peuple, contre la toute-puissance des services de renseignements, contre l’arbitraire des procédures « pseudo-juridiques » engagées contre les opposants potentiels ou contre des militants des droits de l’Homme, systématiquement victimes de détentions abusives (comme évoqué dans ce clip de rappeurs tunisiens que je me permets de recommander), d’actes de torture, etc …

 

Les autorités françaises (et celles d’autres pays) ont honteusement participé à cette répression en proposant (cf l’exemple tunisien) des collaborations plus étroites entre les services de sécurité des deux pays, en envoyant officiers formateurs, armes, matériel de surveillance… l’idée dominante était qu’il fallait lutter contre le spectre d’une prise de pouvoir des islamistes, systématiquement assimilés aux terroristes dans le discours officiel des deux cotés de la méditerranée. Mais l’Histoire est en marche dans cette région du monde et les peuples ne sont plus intimidés par ces pratiques. Ils ne sont pas dupes de la duplicité du discours officiel français que l’on pourrait résumer ainsi : soyez libres de choisir… ceux que l’on vous désigne.

 

L'islam(isme) en Europe est quant à lui tout aussi lourdement combattu et l'on pourrait envisager (on ne serait pas à ça près !), au Ministère de l’Intérieur, de mettre en examen les dizaines de milliers de tunisiens résidant en France, ayant voté pour le parti Ennahda il y a quelques semaines : ils ont bien démontré des sympathies islamistes, eux aussi !

 

Quoiqu'il en soit, le cas d’Adlène est révélateur à la fois des méthodes d’une partie des services français, qui n'ont rien à envier à celles  qui étaient en vogue dans les dictatures arabes déchues. Les méthodes d’intimidation sont les mêmes, le « montage » des dossiers d’accusation contre des « islamistes » ou des « sympathisants islamistes » est identique, les détentions abusives sont monnaie courante, sans évoquer la collaboration directe et permanente entre ces services comme cela a été le cas dans l’affaire d’Adlène, avec peu de succès à ce jour, il faut dire…

 

Ces méthodes dites « anti-terroristes », qu’un rapport déjà ancien (1999) de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme qualifie de « pratiques moyenâgeuses » et qu’un autre rapport plus récent (2008) de l’organisation Human Rights Watch qualifie de « justice court-circuitée », ne peuvent qu’être profondément révisées à l’avenir. Cela permettra de réduire les risques d’exploitation de la « menace terroriste » par des politiciens peu scrupuleux, allant à la pêche aux voix en stigmatisant des communautés entières via des opérations spectaculaires comme celle que notre famille a connue (notons que ces pratiques ont également eu cours sous des gouvernements de gauche – cf l’affaire CHALABI). Il en va également de l’image de la France auprès des populations du Sud de la Méditerranée ayant « goûté » au savoir-faire sécuritaire français.

 

La situation vécue par notre famille n’est donc pas unique : la France détient le record d’Europe du nombre d’interpellations « anti-terroristes », et de loin (cf récent rapport d’Europol mentionné ici et commenté ici à partir de la 3ème minute). Conscients de l’existence de ces abus, notre famille veut dire à tous ceux qui sont à l’origine des malheurs de mon frère, que nous ne sommes pas intimidés par leurs méthodes, et que notre entourage et nos amis ne le sont pas non plus.

 

Ces méthodes indignes, toutes aussi sophistiquées soient-elles, de stigmatisation de la communauté musulmane, qui ciblent une centaine de familles chaque année, peuvent certes être approuvées par une juridiction nationale « spéciale », faite sur mesure. En revanche, comme cela était le cas aux Etats-Unis du temps de la « chasse aux sorcières » et comme cela est toujours le cas à Guantanamo, ces pratiques inhumaines seront autant de tâches sombres dans l’Histoire de pays dont les dirigeants ne cessent de clamer haut et fort leur attachement aux droits de l’Homme.

 

Si ma conscience m’impose de jouer cartes sur table en exprimant le fonds de ma pensée, je veux interpeller la conscience de tous ceux qui sont indifférents au sort des musulmans livrés à un tel arbitraire dans ce pays : quelle serait leur réaction si leurs compatriotes étaient traités de la sorte dans tel pays de la Méditerranée … ou d'ailleurs ?

 

Halim Hicheur

 

Source

 

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