Autonomie et squat
Le débat avait été touffu et complexe. Mais ces survivants de l’autonomie parisienne avaient l’air d’être conséquents. De plus leurs conceptions n’étaient pas trop éloignées des siennes. Restait à trouver l’endroit.
De toutes façons c’était le genre de projet qui pouvait être discuté pendant des heures, tant qu’il n’était pas mis en pratique, personne ne pouvait raisonnablement augurer de son éfficacité politique. Il se sentait bien.
Un peu inquiet quant à son devenir immédiat. Mais mieux valait encore se lancer dans une aventure incertaine que de continuer encore et toujours à ressasser les mêmes idées contestataires sans se donner les moyens de les faire vivre.
Du moins en ce moment, tel était son point de vue. Il avait bien essayé d’accrocher les marginaux qui peuplaient le Nord-Sud pour les associer au projet, mais, pour le moment du moins, cela n’avait pas franchement percuté. Alors autant lancer l’histoire avec le peu qu’ils étaient. Si ensuite cela marchait un peu, il y aurait toujours moyen de relancer le débat.
Mais d’abord lancer la structure. Les gars du local de la rue des Vignoles, les ex-squatters associatifs comme ils s’appelaient eux-mêmes n’avaient pas été très chauds pour leur louer ce local dont ils ne faisaient rien, il fallait encore qu’ils en discutent entre eux. Mais c’était jouable à priori.
Les autres, ceux du 19ème rue de Crimée, les occupants rénovateurs, avaient été beaucoup plus froids, pour ne pas dire indifférents. Peut-être parce que justement ils en sortaient de ce genre d’expérience et qu’ils étaient fatigués. Mais n’empêche qu’il avait été choqué, ils auraient du être quand même un peu contents de voir la relève arriver.
C’est quand même pas tous les jours qu’un collectif d’individus se rassemble pour monter un bar sauvage doublé d’un projet de libres discussions conviviales pour tenter de faire en sorte que toutes ces belles paroles contestataires et indignées qu’ils entendaient partout, deviennent des actes de résistance collective et des tentatives de créer un monde nouveau.
C’est tout juste s’ils avaient promis de faire passer le mot dans la bande. Bizarre. Avec en plus cette habitude de se renvoyer la balle les uns les autres « Mais allez voir ceux du 19ème, ces histoires de café c’est plus leur truc à eux » et les autres « Mais allez voir ceux du 20ème, ils ont un local, ils n’en font rien, il vont vous aider ! »
S’ils avaient toujours été aussi solidaires que cela entre eux et s’ils avaient toujours été aussi ouverts que cela à accueillir de nouvelles têtes, c’était finalement pas très étonnant qu’ils se soient fait virer de leurs squatts !
Il en conservait une impression d’absurdité profonde. Ainsi c’était cela les « mythiques » squatters parisiens qui appelaient régulièrement par voix de presse la population à se rebeller contre les conditions de vie imposées par la mafia politico-immobilière qui régnait sur la ville.
Si le moindre des crétins curieux de quartier les avaient vus comme lui venait de les voir, c’est sûr qu’il n’avait, à juste raison, eu aucune envie de les suivre.
Mais bon, ils essayeraient de faire mieux. Ceux qui déposaient les armes dans un sentiment d’échec et d’impuissance, avaient toujours eu au moins le mérite de préserver ces armes et de les transmettre.
A eux de s’en servir maintenant !
Le café Projets Grands Espaces en tout cas verrait le jour.
Puis le temps du grand squatt U.S.I.N.E. ( Utilisation Subversive des Intérêts Nuisibles aux Espaces) à Montreuil, capharnaüm des énergies radicales.
Puis le temps des coordinations de squatters et du comité des mal-logés avec ses occupations populaires d’immeubles pour travailleurs, puis à nouveau le temps des scissions, des divisions et des questionnements.
Et de toutes ces années il n’avait conservé aucune relation, même si de rares et solides amitiées avaient été préservées, les espoirs n’avaient fleuri que le temps d’une saison.
Et ainsi, période de combat après période de combat, dans une société qui se vautrait de plus en plus dans le cynisme et l’indifférence à l’horreur.
Malgré tout il ne pouvait s’empêcher de réver que le monde irait mieux un jour et qu’il se devait de contribuer à cette progression. Sereinement !