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Publié par Christian Hivert

Rêveur et toile

 

C'était le même homme, la même réflexion ouverte, toujours en point de suspension, destinée à être nourrie des luttes, pour nourrir l'expérience nécessaire à de nouvelles luttes,, il n'hésitait pas à faire le relais, sans esbroufe et tout en interrogation, donnez moi des nouvelles.

 

Ils étaient repartis de chez lui regonflés et enfin reliés à la grande chaîne des réfractaires à l'injustice au travers des siècles, un mois plus tard qu'en restait-il, comment créer un réseau d'insoumis, allaient ils vivre cachés, clandestins, pour faire quoi, annoncer quoi, défendre quoi.

 

Après avoir torturé les mots en tous sens durant des heures, ils s'étaient mis d'accord sur une formulation minimaliste, leur plateforme, leur présentation, mais que feraient-ils de cela, qui le lirait et pour en faire quoi, leur acte était un refus de servir des maîtres, cela ne changeait rien.

 

Ne pas se faire prendre quitte à vivre caché, en cas de prise, se serrer les coudes pour une évasion ou une défense collective, en cas de procès, revendiquer son insoumission et se défendre judiciairement du mieux possible pour rester libre, gagner du temps pour réfléchir et se former.

 

Cela convenait parfaitement à Arthur d'autant que cela ne l'empêchait nullement de louper les réunions clandestines du groupe dont il ne voyait pas le moindre intérêt, les "tes sûr de ne pas être suivi" et les mines de conspirateurs l'amusaient,  rester la soirée avec Reine, sans remords.

 

Il laissa Julio se moucher, racler, tousser, le cagibi de jardin avec son toit en tôle renfermait un galetas à même le sol, sur le toit des détritus jetés à la volée par les squatteurs du Premier au dessus du local, cela faisait pester Julio les jours de mauvaise glane, quand il toussait.

 

Julio glanait tous les jours les moyens  de sa défonce quotidienne de bières de luxe et de médicaments, ancien toxicomane, il lui fallait compenser pour ne pas replonger, il alimentait les moins courageux de l'impasse en surplus d'ordonnances trafiquées, et il en avait sa claque.

 

A deux pas, le même gourbi en un peu plus grand, il y avait un petit coin cuisine dans un placard, abritait un couple de camés en attente de décès prématuré, ils n'avaient pas trente ans et leur petite fille de trois ans était née toxico dépendante, aussitôt retirée, placée par la DDASS.

 

C'était le combat de Jean-Pierre et de Marylou, ils y mettaient leurs dernières forces et déployaient des trésors d'imagination pour se faire passer aux yeux de l'assistante sociale pour de futurs vrais parents responsables, personne n'osait leur dire, le pétard tournait sur leurs espoirs.

 

Arthur les entendait ronfler à travers la porte, Jean-Michel ne bougeait déjà plus de la journée, et vers la tombée de la nuit, Marylou irait faire la manche au métro, rentrerait avec quelques courses, ils restaient prostrés à attendre des bons plans de plus en plus rares, la défonce était chère.

 

Arthur se demandait toujours comment il avait été possible de répandre aussi massivement ces poisons dans une génération entière de pauvres et de déclassés, dans tous les quartiers ils étaient une majorité à s'y être mis, et ils attendaient la vie magique dans l'oubli de leur misère.

 

Les plus jeunes avaient encore la force de trouver des travaux non qualifiés, eux avaient la défonce syndicale, jusqu'au milieu du mois la came était bonne, les fins de mois se faisaient au Néocodion et à la bière, avec l'éternel pétard pour arrondir les longues attentes d'une nouvelle dose.

 

Arthur se sentait démuni, il s'écartait de ce monde omniprésent car il savait ne rien pouvoir faire, n'être utile en rien, Julio réussissait à s'en sortir à moitié, et il avait fait le tour de la question en mille piqûres, ses veines s'en souvenait encore, mais il était désormais déterminé, sevré, assis.

 

Arthur pensait que toute entreprise individuelle pour tenter de résoudre un problème était vouée à l'échec, seul un puissant mouvement en actes pouvait interpeller la société et permettre de trouver des solutions politiques et économiques collectives, mais comment?

 

Julio mettait un grand soin à sa toilette, se peignait en coiffe Afro longuement puis fixait soigneusement un fin bandana noir au mitan de sa haute tignasse, avec ses ranjos et ses bagues d'argent, ses vêtements noirs, sa taille fine et grande, il était un des Princes fidèles du Bar, de la rue.

 

"Alors, vous allez fermer" "ouais, les squatteurs nous expulsent, mais on a une nouvelle idée, beaucoup plus grand avec plus de monde" "plus grand, plus de merdes et de merdeux" "Sans doute mais je suis sûr qu'à plusieurs têtes on réfléchit et fait des choses plus intéressantes"

 

"Mais avec qui tu veux faire tes trucs, t'as pas vu autour de toi, il n'y a que des rats et des vautours, c'est nous les rats dans nos trous, il faut qu'on se casse d'ici, de toutes façons je vais disparaître et personne ne saura où je suis, je vous laisse le trous et les vautours, je me casse d'ici"

 

"C'est une solution individuelle, c'est bien pour toi, mais moi j'ai besoin des autres, j'ai besoin que ce soit collectif, qu'on sorte tous du trou, qu'il y ait des lieux gratuits pour nous tous et qu'on puisse non seulement se loger mais y avoir les activités que l'on veut, c'est possible.

 

"T'es un rêveur toi, t'es gentil, je t'aime bien t'es toujours prêt, mais tu te fais avoir par des beaux parleurs, le seule chose que t'oublies c'est de travailler ton énergie, ton tchi, tu sais même pas où il se trouve, il est là ton tchi et il est vide", son doigt plongea au dessous du nombril.

 

"Ton souffle vital, tu te laisse trop aspirer l'énergie par ceux que tu rencontres, tu te vides et tu ne te remplis jamais, travailles ton souffle et apprends à respirer, les autres , tu peux toujours compatir, mais ils ne sortiront pas du trou, ils sont finis ils y resteront, arrêtes de rêver."

 

"Bon, bon, mais on va essayer quand même , on démarre les réunions la semaine prochaine et on verra bien, il n'y a plus de grand squat sur Paris, les anciens ne veulent pas entendre parler de s'y remettre, mais il y a toujours des gens disponibles, il y a trop de besoins."

 

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