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Publié par Christian Hivert

Les fantômes pro-situs

Il passait de moins en mois dans le dix-huitième, au Nord-Sud et délaissait la fréquentation de Patrice, de toute façon les relations nouées au Nord-Sud s'étaient noyées dans de l'esbroufe, les faux intérêts, l'éphémère des postures rebelles, aucun n'était venu au bar sauvage.

 

Ils étaient restés le cul vissé aux banquettes avachies du Nord-Sud à se complaire à la critique de la vilenie du monde, sans y rien changer, ils étaient tout englués dans leur recherche de défonce et de cous tordus, s'escroquant les uns les autres, sans vergogne et sans retenue.

 

Le monde n'était pas beau et ils y participaient bien, s'illusionnant sur leur prétendue pureté morale, ne cherchant en rien à l'embellir ou le rendre plus fécond, cherchant toujours à se procurer les éléments de leur consommation quotidienne, avec le moins d'effort.

 

Il apprenait son nouveau métier de pauvre squatteur à la dure, il s'était fâché avec Nora et par voie de conséquence avec Reine, il ne souhaitait pas reprendre son travail de veilleur de nuit, n'ayant nullement pour ambition d'y passer sa vie, et il avait rendu sa chambre d'hôtel.

 

Il était désormais le parfait "nouveau pauvre" sans domicile fixe dont la presse esquissait régulièrement le contour, la rue, de l'autre côté du mur pelé de l'ancienne usine commençait à s'animer, il reconnut certains des habitants à leurs cris jetés de loin en loin, il se redressa.

 

Ce n'était pas la première fois qu'il jetait tous les éléments de sa vie par dessus bord, en une seule journée, qu'il s'abandonnait lui-même à l'anéantissement le plus vain, qu'il allait chercher le fond du fin fond, dans l'angoisse absolue de tous les lendemains, puis il se redressait.

 

Toujours un événement inattendu, une rencontre particulière, une reconnaissance émue le faisait surnager, disposé à de nouvelles entreprises, sa vie oscillait en permanence entre l'euphorie béate et utopique et l'accablement nihiliste, entre les étoiles et le fond du ravin profond.

 

Ces crises de désespoir était fréquentes chez Arthur, à chaque fois il se sentait sombrer sans plus de souffle que pour gémir, mais il ne voulait s'avouer vaincu, il restait la fin du P.R.O.G.R.E.S. à gérer, les anciens ne voulaient pas que cela continue, il y avait eu de la bagarre.

 

Les grandes gueules alcoolisées de l'Autonomie Parisienne avaient déboulé dans le bar, passé une heure du matin, sous la menace et le chantage au cassage de gueule, il les avaient contraint à demeurer ouvert après l'heure légale, déclanchant le mécanisme du contrôle policier.

 

Arthur en était tout retourné, il avait dû passer deux heures de temps à se tenir entre un géant hurlant "Vous êtes des beaufs, vous êtes pas Autonomes, vous avez peur des flics, moi je les emmerdes, je veux boire, tu me sers" et un voisin kabyle au pistolet gonflant la poche de veste.

 

Car dès que les grandes gueules plus Autonomes que tous les Autonomes et seuls à être Autonomes avaient commencé à beugler, tous les gaillards de la rue étaient venus en renfort pour protéger le bar, dont le voisin kabyle enfouraillé, Arthur ne voulait pas que cela dérape, il tint bon.

 

Mais le lendemain les petits chefs du local tinrent une réunion d'urgence, ils ne voulaient pas que cela se reproduise et ils étaient certains que cela se reproduirait, la bande des beuglards était repérée depuis longtemps, ils étaient déjà venus dans des endroits semblables, les saccageant.

 

Dans la semaine suivante chacun mit un bout de l'histoire ancienne au jour, c'était des Pro-Situs, ils coursaient ceux qu'ils trouvaient mous, saccageaient des squats et des lieux, se bagarraient entre eux, tentaient d'imposer leur hégémonie sur le mouvement Autonome par la violence.

 

Beaucoup de ceux qui fermaient leurs portes et quittaient le mouvement de l'Autonomie le faisaient pour cette raison, il y avait eu mort d'homme quelque temps plus tôt et personne ne pouvait assumer le désastre, un agressé avait fait feu, terrorisé par une bande de Pro-Situs.

 

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