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Publié par Christian Hivert

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CHAPITRE X

La place de la réunion 

 

 

 

 

 

 

Le responsable du soixante-sept fulminait, tous ses gentils petits plans téléphonés de négociations secrètes avec les plus hauts responsables du ministère étaient à l'eau, il passait beaucoup de temps à prendre le contre-pied systématique de tous les arguments et actions développés par ce comité abhorré.

 

Alors, la voilà ta grande bagarre, et oui Dominique, la voilà, ma grande bagarre, pour recommencer, mais le M.A.P.L.I. était pas mal non plus, tu te souviens bien le Mouvement Algérien pour la Paix et les Libertés, oui, les autonomes Algériens, tu étais responsable de leur service de presse, mes basses études.

 

Je n'aurais pas pu m'asseoir derrière un bureau, mes livres sont des personnes, mes livres sont des histoires, Dominique, il faut de tout pour faire un monde, mais n'as-tu pas gâché tes possibilités, mes possibilités servent ailleurs, tu ne regrettes rien, je te regrette, tes fragrances si subtiles me noient.

 

Je ne sais même pas si j'aimerais celle que tu es devenue, celle qui sera parvenue, accepteras-tu de me revoir, à quoi cela servirait-il, la vie n'est pas une fonction affine, quand la petite fille sortira du placard, quand les fonctions cesseront, quand tu seras de nouveau valide, la vie sera de nouveau.

 

Mais la vie est, qu'est-ce donc ces histoires, la vie sans toi, j'avance pas à pas et des poussières d'étoile mordent la terre sous chacun d'eux, tes pas sont loin des miens, parfois je me fige, parfois je n'en puis plus, disparaître sous les couches géologiques ou monter sur un toit, ai-je eu le choix?


Tout à l'heure, cette nuit sous la lune coupante, sous ce ciel chargé d'ombres orageuses, j'irai faire le fier, j'irai battre le fer, j'embrasserais la gouttière plus tendrement, plus fermement, la peur s'installera dans mes tripes plus vivement que si c'était toi, j'aimais la petite fille.

 

Un jour tu ouvriras ce placard où je dors enveloppé de ses bras, dans la poupée enrobée des fanfreluches pour protéger sa peau des rayons de vie, pour protéger ses envies de mes oublis, pour protéger ses rêves de mes nuits, cette nuit sera longue, le matin sera petit, la lutte continuera.

 

L'ivresse portait Arthur, si souvent alcoolisé, si souvent euphorisé, il se tenait prêt aux prouesses les plus sobres, dans la discrétion de l'obscurité il mettrait son corps à la disposition du danger, dûment anesthésié, paisiblement désensibilisé, Béa l'apostropha, Thutur, oui Béa, tu rêves?

 

Je me prépare à l'action nocturne, tiens je les entend arriver, tu vas faire quoi, moi j'ouvre l'immeuble et je prépare l'arrivée des familles pour demain, ensuite je rentre me coucher dans mon nouveau squat, on va partir vers quatre heures du matin, tu viendras, non, j'ai un cours important demain.

 

Mais je passerai aux nouvelles dans l'après-midi, bien cela sera parfait, de toute façons on revendiquera tout de suite, les journalistes on été contactés dans l'après- midi, il ne leur manque plus que l'adresse, tu fais attention à toi, deux mois cela suffit, oui ma Béa, cela suffit, je n'y retournerai pas.

 

On dit cela, il y en a qui y prennent goût, moi non, j'ai compris, je ne suis pas fait pour l'action délinquante, j'ai fait mon petit stage de compréhension du monde, je connais l'envers du décor de notre société, en vouloir plus serait de la gourmandise, et c'est un vilain défaut.

 

Oui mon Thutur, de toutes façons c'est ta peau, c'est à toi de voir, tu aimes escalader les immeubles avoues, c'est un bon vertige, l'adrénaline est bonne, cela dégage bien les artères, Béa était toujours joueuse, une vraie gamine, Arthur ne souhaitait pas la voir grandir, devenir dame.


Etait-ce cela, ils prolongeaient leurs adolescences, ils ne voulaient pas être grands, ils ne voulaient pas cesser de croire, ils ne se résignaient pas, il y avait tant de combats à mener, la justice serait de ce monde, la justice serait de leur monde, Dominique Premier soupira, si tu veux y croire.


 Mais si je n'y crois pas je meurs Dominique, si je ne crois pas que tu m'aimes malgré tout à quoi bon vivre, tu es loin et tu es là, tu es toi et tu es moi, si je n'aime pas qui puis-je donc être, il me faut l'espoir d'une douceur, d'une sérénité, ce chemin de justice est si long, nous sommes si peu.


Le tumulte des interpellations festives s'étoffa dans la furie des préparatifs de l'opération, au rez-de-chaussée de la villa une pièce renfermait les outils nécessaires à ceux qui faisaient des chantiers de réfection d'appartement au noir, c'était les mêmes que pour squatter, tout fut bientôt prêt.


 

Jean-Phillipe se proposa d'épauler Arthur, oui bien sûr puisque nous faisons équipe maintenant, Rocky et les autres vous vous pointez au petit matin discret, les croissants en prime, et puis quoi encore, du beurre et des tartines ma Bea, de la confiture et du chocolat, ah, avec les outils et les tracts.


L'heure vint enfin d'escalader la façade sur rue de l'immeuble, les patrouilles aux lumières bleues mettaient un certain temps à faire le tour du quartier, le jeu consistait à les laisser passer une fois sans se faire repérer et contrôler, et d'agir dès qu'ils disparaissaient à l'angle du boulevard.

 

Arthur, tu es prêt, je suis chaud, c'est au pied du mur que l'on voit le maçon, n'est-ce pas, tu as vu, il n'y a aucune fenêtre ouverte sur rue, et oui, il faut monter aux toits, quatre étages, et oui, c'est le métier, cela ne te fait pas peur, si la gouttière est solide, c'est un véritable escalier, je mets les pieds sur les colliers.

 

Et si la gouttière n'est pas solide, on porte plainte, t'as raison, non mais tu restes en dessous, tu amortiras ma chute, t'as raison, bon ayons l'air dégagé et pertinents, à quatre heures du matin, on sort le chien en fumant un clopiot, c'est adéquat, tant que l'on a rien fait, ils peuvent bien contrôler ce qu'ils veulent.

 

Certes, mais ça peut griller le plan, on s'éloigne un peu et on papote en marchant tranquillement, il faut jouer avec le chien, ça caille un peu non, c'est l'alcool, qu'est-ce que tu t'enfiles dis donc, j'ai beaucoup  à oublier, souvent je ne suis même plus saoul, fais des pauses dis donc.

 

Tu descends pas mal aussi toi, oui mais je fais des pauses très longues, pour savoir si je suis en manque, ou si je peux m'arrêter quand je veux, ah ça, moi cela n'a jamais été un problème, je peux rester des jours entiers sans boire, et me mettre minable quinze jours d'affilée, oui mais t'arrêter


M'arrêter complètement, je n'ai jamais essayé, je n'en vois pas l'intérêt, et puis je ne me défonce pas, je n'ai jamais pris aucune drogue, alors l'alcool et le pétard, cela me convient bien, parfois jusqu'au coma, jusqu'au tourbillon magique, tu n'es plus dans ta tête, tu cherches à oublier quoi.

 

Ma foi, le sait-on jamais vraiment, un mal-être, des angoisses inexpliqués, des souffrances résiduelles, des fois on te parle et tu es absent, oui, je sais cela me fait cela souvent, je décroche, je pars à l'intérieur, je rêvasse, tu rêve à quoi, à tout, à rien, ne t'en fais pas Dominique, je ne dirai rien.

 

Mais je ne suis pas là moi, bien sûr je sais, tu ne seras plus jamais là, alors tu vas habiter avec ce gars là, oui, c'est un gars bien, il était avec moi, à la grande table au C.A.E.S., quand tu étais au milieu de toutes ces femmes, elle te tenait la main, tu étais avec tes étudiants, tu ne voulais pas me voir.

 

Je n'ai pas pris le même chemin, je suis désolée, je ne peux pas, je ne comprendrais jamais, pourquoi cette distance entre les situations, il n'y a pas d'oppositions, nous vivons dans le même monde, je me dirige vers un monde qui se croit au-dessus, ce sont les classes sociales.

 

Je suis donc victime d'une lutte de classe, une lutte de classe amoureuse, oui Arthur, les gens de mon monde ne voudraient même pas daigner te regarder, ils pensent tellement avoir de meilleures qualités, tu leur ferais peur, je te fais peur, un peu, mais tu me connais, mais les jeunes filles ont peur.

 

 

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