Ecoles differentes
Arthur cessa d'argumenter, il n'insista pas, il n'était pas chargé de convaincre, l'architecture psychique des zonards des rues parisiennes le démolissait définitivement, ils donnaient l'impression d'un feu couvant et attendant une faille de l'histoire pour faire trembler le destin.
Les zonards étaient vraiment complètement désactivés, tout le temps du bar des liens forts avaient subsité, mais les discussions nombreuses finissaient toujours par une délégation: "Fites ce que vous croyez bon les gars, on vous soutiendra, vous avez la pêche allez-y, on est avec vous."
Il y avait là comme une promesse et toute la zone du quartier avait soutenu le bar, l'avait fait vivre par sa présence, jusqu'à Julio qui avait commencé à participer aux tâches matérielles d'organisation, allant chercher les bières de luxe à prix réduit chez son ami Bootlegger de Montparnasse.
Arthur ne pouvait s'empêcher de penser que s'ils avaient tenu plus longtemps certains zonards à leur contact se seraient réveillés de leur léthargie fataliste, auraient repris pieds, mais Arthur aurait buté sur l'accusation fielleuse d'assistanat social, et n'y aurait pu faire face.
Alors il ne se passait rien, ils ne pouvaient pas devenir Autonomes, ils étaient dépendant de leurs conditions de misère, il n'était pas étonnant que la drogue ait si bien prit dans tous ces quartiers, il fallait bien briser le cercle infernal, taper dans la ruche, affoler les données immuables.
Car les anciens, en bons m'as-tu-vu, étaient au top de l'analyse politique et de la prétention révolutionnaire, ils savaient ce qui était bon et ce qui ne l'était pas, et à l'heure actuelle, semble-t-il il n'y avait rien de bon, la meilleure preuve en était qu'ils ne faisaient rien eux-même.
Ils avaient déclaré au cours d'une de leurs réunions hebdomadaire d'organisation de remplissage du désert d'activité de la semaine suivante "Vous n'y arriverez pas les gars, vous avez des bagarres, ça va griller le lieu, et on en a besoin pour des trucs vachement balaises, c'est fini le bar."
Le local était devenu désert toute la semaine car les trucs balaises n'avaient jamais vu le jour, étaient restées dans le fond du gosiers des anciens, n'avaient pas éclos plus loin que leur morgue, n'avaient pris corps que dans le fantasme de leurs développements égotiques.
Les anciens ne tenaient même plus leur réunion d'organisation du Lundi soir, n'ayant plus rien à organiser, ayant lassé jusqu'aux plus motivés d'entre eux, il était resté quelques liens d'estime entre les plus sincères d'entre eux et les jeuns, Arthur et ses compagnons du bar nommés la relève.
Sans entrer dans une classification trop détaillé des catégories sociales telle qu'elle avait pu être établi dans le passé par des organisations structurées d'extrème gauche, les anciens n'avaient pas le même staut social que les nouveaux venus, ce n'était pas qu'une question d'âge.
Les anciens n'avaient en moyenne qu'une dizaine d'année de plus, dans le monde courant ce n'était pas une génération, mais dans le monde des marges, de l'Autonomie et de la contestation c'était vécu comme cela, les anciens se prenaient pour des sages imbus d'expérience.
Les anciens différaient par l'habillement et les moyens financiers dont ils disposaient. comparés aux zonards, ceux du bar, et à ceux les rejoignant sur le nouveau projet, ils étaient des notables, possédaient travail rémunéré, voiture et loisirs, ils n'avaient pas les mêmes besoins immédiats.
Certains travaillaient dans la réfection d'appartement, la plupart au noir, il n'était pas question pour eux d'engraisser les caisses sociales, leurs chantiers étaient fournis par tout un réseau d'anciens des luttes passées désormais casés et intégrés à cette société pourrie si longtemps vilipendée.
Tous avaient quitté leur militantisme étudiant, avaient fini leurs études et intégrés des professions aux revenus bien supérieurs aux revenus ouvriers moyens du monde moderne, ils achetaient les taudis du quartier et les faisaient rénover à prix Libé, du nom des petites annonces de leur quotidien favori
C'est à dire sans payer les taxes et les charges, on ne les voyaient plus dans aucune réunion, mais ils parlotaient encore pas mal dans leurs beaux salons si fraichemment rénovées lors de petites fêtes entre vieux du mouvement si fortement prisées par les anciens, elles étaient leur gagne pain.
Lorsque Nora leur avait lancé à la face le sauvage, "moi j'en ai marre des petits branleurs qui ne savent même pas tenir un squat", elle fréquentait, derrière Narco ces petits salons par lesquels elle espérait développer son nouveau journal et le diffuser, elle n'avait pas la bonne origine.
Aucuns de ces nouveaux arrivés et futurs arrivistes ne l'avaient soutenue et les mille exemplaires du journal enfin imprimé étaient restés entassés au sol dans le petit studio de Reine, elle s'en servait parfois pour se faire prendre dessus, l'humour de la situation emballait l'art de son sexe.
Certains des anciens travaillaient dans les administrations, d'autres étaient dans le journalisme, dans les métiers de décoration ou de machiniste dans le théâtre, le cinéma ou la télévision, les plus ouvrières d'entre eux étaient assistantes sociales, Arthur avait fait le chemin inverse.
Il avait quitté ses études, pour lesquels ses professeurs le considéraient comme doué, lorsque l'un d'eux lui avait clairement fait comprendre que ses capacités intellectuelles le destinaient à faire partie de l'élite de la nation, après avoir mûrement macéré il s'était choisi un autre destin.
Arthur s'en serait voulu d'aller servir la bourgeoisie massacrante contre les intérêts de sa classe d'origine, il avait démarré très tôt son insoumission aux normes établies, dès douze ans, à la faveur de fugues périodiques et limitées de son lycée et de multiples, rencontres très politisées.
Arthur avait côtoyé dés avant son adolescence toute une partie des éléments constituant le mouvement Autonome français, un de ces amis et camarade de classe l'ayant présenté à Pierre Selos, ancien chanteur renommé et l'un des promoteurs du mouvement pour une école différente.