Brigade des démolisseurs
L’équipe de policiers investie de cette tâche, parfois appelée selon les lieux « brigade Z », brigade des démolisseurs ou brigade des casseurs dépendait administrativement du Service d’assistance technique (SAT) de la préfecture et était composée de punis de la police
Ils étaient vêtus d’un treillis bleu leur servant d’uniformes avec les insignes apparents de leur fonction et d’énormes bottes. Ces brigadiers représentaient la face répressive du pays d’accueil pour les familles d’immigrés. Ses premières interventions datent du début des années soixante.
Pour faciliter leur surveillance, les policiers établissaient régulièrement un relevé du plan d’emplacement et procédaient au numérotage des baraques. Un numéro peint en gros sur la porte. Leur spécialité était la brutalité. Ils entraient sans prévenir à l’intérieur des habitations en enfonçant la porte.
Ils se servaient du café, jetaient les étals en l’air, piétinaient puis déchiraient les affaires, les jetaient dans la boue. Parfois, avec un pétard à mèche à la main, ils s’amusaient à apeurer et disperser les familles. Les brimades étaient fréquentes, on coupait l’eau pendant plusieurs jours.
Les équipes, composées de trois à huit policiers munis de masses ou d’arrache-clous parcouraient toute la journée les ruelles en quête d’une construction à détruire. Face à ces abus de pouvoir, les habitants ne pouvaient rien opposer. Les sanctions étaient d’une sévérité graduelle.
Menaces ou démolition, vieilles planches, vieux volets, tôles confisqués, sacs de ciments éventrés, embryons de jardins saccagés, amoncellement de tas de terre devant les habitations, interdiction de commerces à l’intérieur du bidonville, pose d’un grillage entourant grossièrement les baraquements.
De plus, la discrétion officielle des municipalités était la règle au sujet de l’action des policiers : mairies et services sociaux toléraient ces pratiques sans les dénoncer à un point tel que ce mutisme, proche du racisme, touchait la grande majorité des personnels amenées à travailler au bidonville.
Toutes ces mesures de démolition s’avérèrent inefficaces. Bus, camions désaffectés, roulottes ou caravanes remplaçaient les taudis et si la superficie d’occupation était limitée, il en allait autrement pour la densité. Il existait des possibilités d’agrandir discrètement ces habitations.
Alors Maria avait échappé à son père, avait échappé aux passeurs, avait échappé aux brigades d'assistance technique, avait échappé à l'incendie, avait échappé au bidonville, avait échappé à l'usine, et maintenant elle voulait bien se reposer en faisant ce que les hommes parfois voulaient.
Arthur termina sa première Sagres et en commanda une autre, Simon lui avait dit de ne pas s'en faire, il viendrait avec le camion de son patron.
— Tu n'as pas l'impression de passer tes journées à attendre ?
— Ne faisons nous pas tous cela ? En attendant la fin de la vie, nous la remplissons .Dominique, aucune vie ne remplacera celle que je n'ai eue à tes côtés. Pourquoi est-ce ainsi ? Pourquoi est tu l'unique et l'absente ? Pourquoi as tu été ma mauvaise rencontre ? Et pourquoi m'as tu fui ? Pourquoi étais tu folle ? Puisque rien n'a d'importance, je peux encore être utile à quelques uns.
Dans la rue il ne s’agit pas de tracer son chemin car il faut vivre au jour le jour. C’est la liberté totale, c’est la joie de trouver un copain, c’est une joie de rouler les gens de bien, voler, raconter des histoires, c’est la loi de la jungle, on forme une bande et on défend son territoire
Mendes était-il entouré d'une horde de galopins espiègles, cela faisait bien longtemps que l'on ne voyait plus de ce genre de choses, l'école était obligatoire. Comment avait-il pu fuguer ainsi, des jours et des jours, puis être retrouvé, placé, talonné, rejoint, incorporé et débarqué, oublié ?
C'était il y a bien longtemps, au temps des jeunesses d'espoirs si fins, avant le génocide du Rwanda. Les carrioles ne carbonisaient pas chaque nuit dans les villes du Pays. S'effondrèrent l’empire soviétique et les Tours jumelles, fut détruit le Mur de Berlin... précipitamment rétablit en Palestine.
L’Irak, le Moyen-Orient et les délectables aspirations d’un troisième millénaire apaisé se sont volatilisés, confiant toutes armes aux misérables, dans un mépris convenu de l’idéal Républicain, face aux terrorismes manipulés de plus en plus menaçants. Arthur avait encore espoir, rêvait.
Devant lui s'étendaient les ruelles issues des anciens terrains des maraîchers et des bidonvilles et baraquements. Certains paraissaient coquets, par là habitait Mendes, sa mère, ses beaux pères, ses amours et ses peurs. Par là ses ombres s'étaient fondues dans les nuits de ses absences, il avait six ans.
Comment cela pouvait-il se faire ? Un marmot, un culotte courte, un chialeux, là dans la rue, dans les nuits des misères, abandonné par les dernières petites bandes d'espiègles rentrés se frotter aux chaleurs de leurs foyers respectifs, houspillés par les tendresses vindicatives des mamans affairées.
Guidé par l'envie de fuir. Il est seul. Personne ne se préoccupe de ses besoins. Aucun argent pour survivre. C’est le privilège du démuni d’expérimenter cette émotion à nulle autre pareille. Au plus intime des profondeurs de son inconscience, un désir inextinguible de vivre, vivre heureux.
Il est vain de brocarder un échec de la cohésion sociale. Les plus hauts responsables de la planète sont impuissants, paralysés devant l’ampleur de la tâche, occupés à compter. Mendes vivait son enfance tiraillé entre rêves et angoisses perpétuelles, ombres masquant la figure cajoleuse.
De sa mère il en rêvait chaque nuit et chaque jour au loin d'elle, ne vivait que pour revenir à elle, se sauvait de partout pour retrouver le chemin de cette maison où il n'y avait pas de place pour lui, et pourtant il se souvenait de ce visage cajoleur, il était couché sous l'évier, il voyait les tuyaux de vidage.
Il savait rester seul et interdit, en complète sidération, immobile et muet, sa maman le lui avait appris, tu peux rester mais il ne faut pas que tu bouges, il ne faut pas que l'on t'entende, tu ne dois rien dire et respirer doucement, alors le visage aimé le cajolait encore du coin de l'œil, la porte se fermait.
Quand Mendes se perdait au milieu des foules suspicieuses il apprenait année après année à se faire invisible, impénétrable, la population n'était pas encore indifférente comme maintenant, s'intéressait au sort de l'autre, au sort de ce marmot incongru que l'on ne pouvait relier à aucune histoire.
Il avait développé des trésors d'imagination pour se fondre, disparaître aspiré par une inexistence, il lui fallait attendre patiemment que sa maman soit disponible pour qu'il retourne la voir, qu'il soit vers elle, près d'elle, mais elle ne pouvait pas, tu comprends, il n'y a pas la place, c'est bien trop petit.
Parfois Maria était fière de son marmot, toujours il se débrouillait pour leur échapper, toujours il retrouvait le chemin de la maison. Parfois, rarement, il n'y avait pas d'homme en cours. Elle lui faisait une place dans le grand lit, le réchauffait de son corps alourdi, mais le petit grandissait si vite.
Maintenant c'était un petit adolescent, il était mignon, il allait plaire aux femmes, il fallait qu'il parte, qu'il ne revienne pas, qu'il aille travailler, trouver une femme, faire une famille, il avait l'âge de ses frères lorsqu'elle avait fui son père, les hordes de la PIDE de Salazar pourchassait les rouges.
Grâce à des indicateurs, les « bufos », fondus dans la population, les escouades de soudards dirigés par son père faisait une guerre constante à tous les marginaux, pauvres, révoltés, les dénonciations, de plus, bien souvent étaient mensongères, et ils arrêtaient, torturaient, semaient terreur et désolation.
Maria n'aimait pas se souvenir, c'était là, c'était en elle. En 1970, lorsqu'elle avait accouché de Mendes la radio commentait la mort de Salazar, puis Marx lui avait dit que rien n'avait changé. Marx savait, il était instruit, il faisait des études, rencontrait des étudiants français, des gens biens, informés, polis.
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