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Publié par Christian Hivert

Gain et regain

Arthur aussi était un peu comme cela, c’est humain, mais lui montait sur les toits, laissait parler les intéressés, ne décidait jamais seul, ne se trompait pas d’ennemi, n’avait pas d’ennemis pauvres, n’avait pas d’amis riches, n’avait jamais rien voulu pour lui-même, seulement par lui-même.

 

Jamais il ne se serait voulu cadre, et malgré toute l’instruction dont on le sentait dépositaire, jamais il ne s’était imposé à une fonction dirigeante, et cependant lorsqu’il parlait, souvent il était applaudi, lorsqu’il agissait, souvent il était suivi, et jamais il n’avait pris le moindre pouvoir.

 

Comment verrait-il les choses maintenant, tous les paramètres s’étaient aggravés, les massacres étaient plus nombreux, plus massifs et mieux organisés, les misères s’étaient étendues comme flaques de marées pétrolières, et les puissants triomphaient, sordides et sans gloire.

 

Leur restait-il encore quelque rôle à jouer alors que les indignations se tarissaient et que l’ordinaire travailleur se faisait complice de l’immonde derrière son caddie de supermarché unique, Reine voulait aller vers l’avenir,  de nouvelles expériences, ne pas laisser prise à l’infinie tristesse. 

 

Reine songeait à devenir créatrice d’elle-même et responsable, plutôt que de s’accepter contrainte à la faiblesse, soumise au martyr, sans moyens de réagir sitôt qu’elle se sentait délaissée, proposait de s’emparer des difficultés de la vie pour s’ouvrir à seconde naissance, elle, Reine.

 

Elle ne voulait rien de moins, rebondir en faisant appel à l’invention, à l’imagination, c’est-à-dire à ses forces constructrices, et rompre avec ses liens de dépendances infantiles, caractérisaent son comportement, oublier ce passé l’ayant prise en traître, revoir les fidèles amis. 

 

Certains avaient pris la précaution de s’enquérir d’elle, certains étaient venus la tirer par la manche lorsqu’elle s’enfonçait, certains l’avaient poussée, hissée vers de nouvelles directions, un lui avait donné ses trois petites et il était nomade, elle devait se retrouver, se reconstruire, pour eux.

 

Reine pourrait en témoigner, la souffrance de ceux que la solitude torture ne peut  être mise en doute, la logique de l’inconscient n’est pas la logique de l’ordinaire, elle s’écartait résolument des expériences douloureuses dont on ne sait pas faire le deuil et dont le souvenir persévère en sourdine.

 

Oublier les expériences refoulées qui la poussaient à ne pas parler pouvoir d’elle et cesser de s’apitoyer sur le sort des autres, à projeter sur eux des états d’âme qu’elle n’osait exprimer, son sentiment d’abandon, son handicap, devenait source de fiction et opportunité de mûrissement.

 

Elle y avait été particulièrement vulnérable, l’avait vécu comme une torture, cela s’était répercuté de son imaginaire sur son réel à travers toutes ses conduites à risque et d’échec ou ses difficultés scolaires lorsqu’enfant, professionnelles lorsqu’adulte, affectives et passionnelles

 

Reine devait se prouver qu’elle existait, ne pas se laisser oublier, ignorer tout autre signe d’expression courante de détresse, elle devait oublier ses cauchemars, ces refus inexplicables d’accomplir ce qui dans un temps futur seraient source de défis heureux, voir ses petites et apprendre.

 

 Elle devait faire le sacrifice de toute union idéale, et ne plus ressentir cette sensation de trahison, de perte de forces et d’identité confisquée, son épuisement, sa condamnation, sa  désespérance, sa nostalgie d’un paradis perdu, cesser d’être insatisfaite, revenir aux joies simples des petites.

 

Elle était arrivée à bon port, il ne lui restait plus qu’à construire et guider ses filles, l’air était pur, la rivière n’était pas loin, avec toute la volonté qu’elle avait mise à sortir de la Capitale de son enfance, elle y parviendrait, elle serait son œuvre, elles seraient ses réussites, elle sourit.

 

Il lui fallait apprendre à apprivoiser sa souffrance, à la nommer, à la reconnaître, à ne plus en avoir honte, à la capturer, la comprendre, l'enraciner dans son histoire au présent, reconquérir son autonomie psychique dont la jouissance était porteuse de vie, d’espoir, de lendemains.

 

Reine pour un moment du moins était arrivée au bout d’une course, les chevaliers ivres était au loin de sa mémoire disparus, elle en rechercherait certains, les plus valeureux, elle avait désormais un travail de mère à accomplir, elle savait qu’elle en trouverait le courage, elle avait la force.

 

Le vent se leva avec une force du fond des âges que rien ne semblait pouvoir arrêter, la Yourte tint le coup, elle était conçue par des nomades habitués depuis des millénaires aux tempêtes du désert des steppes d’Asie Centrale, même adaptée par l’utilisation de matériaux locaux, elle tiendrait.

 

Quelques ustensiles mal rangés volèrent à basse altitude, pour finir en piqué dans les ronces à mûres avoisinantes, la mélodie de la tempête locale modula ses soupirs et ses engouements dans la force d’une symphonie romantique surannée, c’était terrifiant et paisible.

 

Résister à cela c’était résister au vent de toutes les tempêtes de l’histoire, se mettre à couvert, ne pas chercher à opposer force contre force, ainsi ils avaient fait au comité, se dispersant comme les feuilles mortes devant la tempête de fin d’hiver, la résistance aux infamies est toujours de nature discrète.

 

Arthur aimait bien ces nomades modernes, ces désobéissants actuels, ils refusaient la société de consommation encore plus radicalement peut-être que tout ce qu’il avait pu connaître alors, c’était eux les nouveaux Autonomes, fluides et mouvants, indignés et actifs, mais il ne voulait les suivre.

 

Etait-ce le souvenir de ce professeur d’histoire encore, le même qui avait parlé des Elites de la Nation, éveillant son dégout pour les joies du monde et les médiocrités des dominants, vous pouvez vous mettre en marge à votre guise, mais vous serez toujours sur une page dans le cahier.

 

Arthur n’avait aucun besoin de revêtir les habits de la nouvelle marginalité qu’en cette époque d’après l’an deux mille on nommait les altermondialistes, il s’était tant insoumis aux formes codifiantes et uniformes du monde qu’il le portait en lui dans ses attitudes, ses gestes, et ses paroles.

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