Fiascos en déroute
— En attendant il te faudra quelques témoignages pour sortir ton pote, tu devrais t'en occuper maintenant,
— Non laisse moi t'entretenir Dominique, reste aux marges de ma conscience, soit plus présente que jamais, quelle importance, je le sauverai, je les ai toujours tous sauvé, mais toi reste en moi.
— Il va te falloir te bouger mon mignon si tu veux contrecarrer la réaction,
— Tu parles comme une pro Dominique,
— Je suis en toi, je n'ignore rien,
— Et dans ces salons où tu vendras tes gadgets et les ersatz de découvertes futures, et flirteras avec les puissants ensanglantés, tu leur diras?
— Mais voyons, je n'y manquerais pas, c'
— C'est vrai les affaires ne peuvent s'afficher aux côtés des mendiants de la justice, Dominique comment pourrais je jamais t'ignorer, t'oublier,
— Peut-être si tu grandissais,
— C'est la petite fille voulant devenir princesse qui me dit ça, Dominique, tu abuses. Tu auras des enfants, ils grandiront, tu leur programmeras leur avenir, les meilleures écoles, les meilleures universités et tout recommencera, et tu n'auras rien compris, et tu n'auras nulle gloire, et tu mendieras des crédits et tu mendieras une importance aux bureaux des scribes.
Arthur observa les fiascos en déroute et les étudiants en moments épiques à valoriser devant les étudiantes énamourées, tous se faufilaient dans les ombres les plus obscures des trottoirs, potelés de leurs loisirs aventureux, il n'y avait plus rien à défendre là, il fallait sortir Jean-Philippe.
Délaissant un temps son amour absent dont il ressentait pourtant la blessure et la déception, incluses dans des brûlures manifestes de sa soif d’absolu, il voulait profiter d’une chose au temps présent et cela lui suffisait pas, il lui fallait l’instant d’après, il suivait les ombres au mitan de la rue.
— Bien chères toutes, bien chers tous, une année s'est écoulée et grâce a votre confiance renouvelée, me revoilà à nouveau virtuellement devant vous pour vous adresser, à vous et à vos proches, tous mes vœux de bonheur, de réussite, de santé et de créativité, ce seront tes mots un jour. Tu auras l'impression d'avoir un monde à tes pieds et de régner au milieu des énergies, tu penseras être le fer de lance des réalisations et que tout un travail d'agitation et de rassemblement viendra à bout des oppositions et débloquera les forces agissantes pour enfin aboutir.
Se demande-t-on jamais à quoi l'on abouti, la force renforce le puissant et le sanglant, et chez les faibles chacun s'arrache les oripeaux de la gloire et de la fortune, comme les anciens manants sous une giclée de piécettes jetées négligemment du balcon d'un prince arrogant ? Sauras-tu jamais de quel fait tu pourrais te rendre fière, quémander les subsides à l'empereur et se targuer de posséder la valeur, la puissance est un sentiment étrange, une source de troubles confortables, cela rempli les bien-être, si l'on n'y songe, car il faut oublier l'autre côté.
Ou le transformer en sujet d'étude pour chercheurs débutants, quelle étrange puissance cela doit être, observer l'autre soi-même sans qu'il ne le sache, sans qu'il ne puisse s'y soustraire, quelle perverse jouissance, se prendre pour un dieu antique, faire des humains des poupées d'enfants.
Tôt dans ma vie Dominique, j'eu cette étrange sensation, mais j'étais de l'autre côté, du côté des espionnés, les bambins et marmots hurlaient autour de moi et un visage apparaissait à la lucarne vitrée de la porte constamment fermée, les dieux antiques étaient derrière et observaient. Quelle étrange sensation de puissance sans limite que de savoir tout et les moindres détails de celui qui ne sait rien de lui-même, quelle perversité absolue, de quoi bâtir des piles immémoriales d'ontologies et de déontologies, à gratouiller l'éthique, à disséquer l'humain pire que la matière?
Par moments, très rares il est vrai la porte s'entrouvrait, nous ne devions pas voir le monde de l'autre côté, et un bras géant comme une pelle mécanique agrippait un marmot, déclenchant les hurlements de peur et l'enlevait, le soulevait de terre et le faisait disparaître, l'avalait derrière la porte refermée. Nous ne sommes pas censés, la science et beaucoup de blouses blanches très érudites le disent et le répètent, nous ne sommes pas censés avoir, nous les marmots, de souvenirs entre la naissance et nos trois ans, quelle est donc cette étrange mémoire qui est la mienne Dominique?
Sans doute ne savait-on pas encore que l'observation du chercheur modifiait les conditions environnementales et le comportement observable du sujet observé, sans doute ne savait on pas que les sujets observés était des êtres interactifs, puisque vivants, les atomes même ne se soumettent pas. Par quel sortilège étrange la petite fille que tu étais et que j'aimais, Dominique, a-t-elle pu jouir de savoir ce que d'autre ignoraient, ce sentiment de supériorité qui la fit exclure de sa vie la plus grande partie de l'humanité, qui la vit fuir devant ce qui est la vie des majorités ordinairement laborieuses.
La recherche, c'est l'acte par lequel une société avancée exprime sa foi en un avenir ouvert, et cela est dirigé et vendu aux industriels sans vergogne, aux militaires et aux programmes de guerre sans contrôle citoyen, destiné à enrichir les destructeurs sans principe de toute vie possible… Tandis que tu passeras ta vie à concourir pour un prix d'une meilleure thèse, que tu relèveras et lanceras tous les défis imaginables, que toute ton énergie s'emploiera aux compétitions tronquées pour extraire de l'humanité les cerveaux les plus soumis à la grandeur des établissement financiers.
La recherche devient de plus en plus globale et compétitive, il devient de plus en plus important pour certains de transférer les résultats de leur savoir faire et tout aussi important de le faire savoir, de grands projets font main basse sur les investissements d’avenir, et les pauvres meurent dans le rue. Les intellectuels et tous les chercheurs devraient avoir un rôle crucial à jouer auprès des instances dirigeantes, ils sont le fer de lance des futures productions, s'ils ne posent pas la question du monde dans lequel nous vivrons, qui le fera, peut-on indéfiniment renforcer la puissance du carnage?