Nuit d'U.S.I.N.E. Montreuil
Il fut vite trois heures du matin et Narco démarrait un chantier le lendemain, ils durent partir, Arthur l'attira à lui et la serra de manière douce, elle fut heureuse, Narco les observait faire amusé, sur ce terrain, il n'avait pas de condescendance, il rendait hommage à la véracité d'Arthur.
Nul doute que le jeune puceau enragé et naïf avait bien grandi, ils étaient à peine deux ou trois à le seconder efficacement et le lieu fonctionnait dans l'effervescence, par moments des types se levaient et fédéraient, calmaient les agressifs, Narco fut impressionné, il le dit.
Reine avait montré un jour un dessin autoportrait où dix silhouettes d'hommes tenaient leur sexe en maim autour d'une jeune fille à genoux avec pour légende "ils bandent tous pour moi", elle en avait trouvé un enfin qui valait plus que l'usage pouvant être fait de ses organes érectiles.
C'était une émotion si agréable qu'elle eut immédiatement envie de s'envoyer quelques millilitres d'eau citronnée légèrement aromatisée dans son sang de Reine florissante et aimée, Narco réclamerait sa gâterie, c'était de bonne guerre, elle aimait le contentement de son plaisir.
Les derniers noceurs franchirent les rideaux de la nuit en direction de leurs voitures garées au loin dans le noir des friches industrielles plus bas, Arthur comme d'habitude s'arma d'un gros sac-poubelle et ramassa toutes les canettes de bières abandonnées sur la voie publique.
Demain il n'y aurait pas de rendez-vous ni de visite à faire à personne, il allait pouvoir se lever très tard, Dominique Premier, le regardait presque amoureusement, elle était fière de son héro, alors tes études, ça fini quand, et Stanford, tu sais où c'est, c'est loin à la nage.
Allez, ne soit pas triste enfin, tu sais bien que tu plais, tu nous as toutes plu, j'en était atrocement jalouse, elles se sont toujours collées à toi voyons, soit patient, il y en aura forcément une, mais tu ne fais pas beaucoup d'efforts non plus, faire des efforts, c'est tromper, c'est dominer, t'es bête.
Tu sais bien qu'après Stamford il y aura autre chose, je commencerai une vie professionnelle trépidante, où te caserais-je, tu serais malheureux, je ne serai jamais là, cela me suffirait, mais je suis en toi, je suis toi, tu m'as à longueur de temps que pour toi, je sais, je sais Dominique.
Il s'interrompit au milieu d'un geste comme souvent et ses lèvres remuaient en silence, heureusement personne ne s'en apercevait jamais, Dominique Premier était son secret enfoui, la rencontrerait-il par hasard encore, comme au C.A.E.S., ce n'était pas un endroit pour elle, que faisait papa?
Ne pose pas de questions, ne va pas chercher les fantômes dans les placards, il n'y a rien à chercher, tu connais l'amour infini, si rare denrée, tu ne vivras pas les difficultés et les mesquineries quotidiennes des couples avec moi, quant aux fesses des jeunes femmes, Michèle pense que tu es doué.
Reprends ton geste, on pourrait te voir, ne fais pas l'idiot, tu t'éclates bien, roule ma poule, hue cocotte, ne fais pas l'enfant, je suis plus qu'avec toi, je suis en toi, essaye toutes les femmes tu verras bien si elles me valent, et laisse moi le nez dans ces kilomètres de polycopiés, tu échappes à ça.
Au loin une lumière bleue venait mettre les artistes de la nuit hors la loi, Arthur n'avait pas la moindre envie d'aller se coucher, il se mit en recherche de Simon, il l'avait vu rouler des pétards à la chaîne tout à l'heure près de la cuisine, les autres s'étaient couchés depuis la fin de leur minimum militant.
Simon descendait l'escalier, "Qu'est-ce que tu fout" "Je ramassais les canettes dehors" "Tu fais le boulot de la mairie maintenant" "Donner une meilleure impression du squat au quartier environnant n'entre justement pas dans les attributions de la mairie, alors je m'y colle".
"Bon qu'est-ce qu'on fout, on sort?" "T'as une idée?" "Non, mais on verra bien" "L'aventure, c'est l'aventure" "c'est ça allons voir les lumières bleues" "Ah ils viennent de passer" " Super, on ne les reverra pas avant une bonne heure" "Allons", couvre toi bien gloussa Dominique Premier.
Ils filèrent pire qu'une laine nouvelle sortie de la quenouille ancienne à travers les rues désertes de cette nuit fatiguée de Montreuil-sous-bois, là étaient leurs aventures souterraines, là étaient les substituts de leurs émois, ils reviendraient fiers et vainqueurs, libres et insoumis.
La rue de Paris était fraîche à leurs yeux et l'immeuble désaffecté souriait à leurs envies d'escalade, la longue descente de zinc semblait solide et les amènerait au sommet de leur curiosité, Arthur s'agrippa comme un singe, c'était l'exercice de plein air qu'il préférait, les cavaliers lui servaient de marche pied.
Simon resta non loin au-dessous, il sifflerait en cas de besoin, la boutique du rez-de-chaussée semblait abandonnée depuis longtemps, il faudrait aller faire un tour au cadastre pour compléter les informations visuelles par de probants papiers fiscaux indiquant propriétaires et adresses.
En trois poussées vigoureuses de jambe Arthur fut promptement au niveau du Premier étage, il vit dans la clarté floue des réverbères municipaux l'espace dévasté d'un petit appartement abandonné, mais la fenêtre résistait à ses poussées, il eut fallu casser, sur rue, il hésita.
Il poursuivit alors le cheminement de la descente jusqu'à son assemblage à la toiture, tata de la main, les pieds calés sur le dernier cavalier, serrant la descente de zinc de ses genoux, agrippant enfin une tuile par-delà l'obstacle de la gouttière, et parvenant à couler un avant-bras entier.
Lorsqu'il sentit l'équilibre précaire de ses bras supporter son poids sur le toit de tuiles, il prit son envol, lâcha ses pieds, détendit ses genoux et repta tuile après tuile jusqu'à ce que son corps entier reposât sur du ferme, en pente douce mais ferme, il se tourna alors sur le dos, et offrit son front aux étoiles.
C'était là qu'il se sentait le mieux, après ces efforts, il souriait de nouveau à l'avenir de la vie, il était sur les toits de la ville, personne ne l'avait vu, personne ne le verrait et Dominique Premier, moqueuse comme à son habitude, lui fit part de ses réflexions les plus profondes, il va falloir redescendre.