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Publié par Christian Hivert

bien

Ils poussèrent jusqu’aux escaliers rejoignant la rue Custine. Puis, reprenant la rue Harmel jusqu’à la place Jules Joffrin, ils se séparèrent là. Arthur hésita. L’hôtel ou le Nord-Sud ? Il prit au plus court. Il n’y avait personne de sa connaissance, mis à part un grand rouquin au teint blafard.

Il était jeune. Il était élevé entretenu par sa belle-mère. C’était ses termes. Son père voyageant beaucoup, il fuyait la cage dorée et les questions du soir « Qu’est-ce que t’as fait de ta journée, t’as trouvé du travail ? ». Lorsqu’il s’était présenté à Arthur l’autre jour, il lui avait simplement déclaré :

  • Je suis un voleur, enfin je veux vivre du vol, je veux vivre libre, hors-la-loi.

Arthur n’avait pas approfondi, ça l’avait amusé. Le type avait tout juste dix-neuf ans. Il annonçait cela comme d’autres au même âge annonçaient leur projet de vie professionnelle. Chacun sa manière et ses rêves !

Lorsqu’Arthur s’était installé à une table libre et avait commandé un ballon de côte, l’autre, du bar où il était en grande discussion avec un gars style cadre moyen, l’avait salué discrètement. Arthur aimait bien s’installer seul à une table et observer circulairement les aléas des pas du monde.

Ce jour-là, il prit conscience de la présence de Kahina, à côté de lui. Toujours à l’observer, l’écouter, comme un esprit moqueur et protecteur. Ni ses actes ni ses paroles ne seraient plus vains. Pour elle il existerait, sortirait de cette sensation constante d’être au monde un pur spectateur.

Dominique rigola.

  • Oh, je ne t’oublie pas ! Qui pourrait prendre ta place ? Puisque tu n’as jamais voulu de moi !
  • Et maintenant c’est Kahina !
  • Et Kahina me parle en vrai, elle, elle n’a pas de carrière à faire, d’études plus importantes que tout à finir, elle est vivante et n’est pas distante.

Arthur eut aimé être pleinement lui-même, il se sentait être des nippes décousues. Arthur regardait Arthur qui étonnait Arthur. Cela n’en finirait donc jamais ? Il n’avait jamais eu la moindre explication de Dominique. Elle l’avait expulsé de sa vie, dans la plus froide des désinvoltures.

C’était là pour lui la cruauté irrévocable. Et pourtant, il ne passait pas un instant hors de son souvenir. C’était incompréhensible ! Se souvenait-elle de lui ? Se moquait-elle de ses souvenirs ? L’avait-elle vraiment oublié ? Jamais aimé ? Il voulait se réunir en lui-même, cesser d’être amoindri.

Il cesserait en définitive d’être hors la vie comme l’autre voulait se mettre hors la loi. Xavier, le serveur remplaçant Jean-Louis sur les coups de 18 heures, lui déposa son ballon et un cendrier propre.

  • Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu ne viens jamais aussi tard ?
  • Insomnie !
  • Ah ouais, toi aussi !

Puis il fila prendre les commandes et servir et desservir les autres tables. Au fond du café, toute la bande des dealers de la rue du Poteau était installée autour de Momo et faisait la noce. Arthur les connaissait de vue mais n’avait rien à faire d’eux. Le rouquin vint soudain s’inviter à sa table.

  • Ça va, qu’est-ce que tu fous ?
  • Je glande, rien de précis.
  • Je suis sur un coup, tu sais être discret ?

Arthur sourit de toutes ses dents. La question était marrante, à ne poser qu’aux gens discrets.

  • Va savoir !
  • Ouais, rigole pas, je suis sur un coup sérieux, attends-moi là, bouge pas, je reviens !

Puis il retourna au bar auprès du cadre moyen alcoolisé commandant deux autres demis. D’où il était, Arthur pouvait voir l’horloge de la mairie. Il était 1 heure du matin, des déroutes et des espoirs. Le bistrot commencerait à éteindre, histoire de ne pas dépasser l’heure fatidique et légale.

Arthur prit le temps de siroter son canon. Le rouquin revint quelques instants plus tard :

  • Ouais, j’ai besoin d’un gars comme toi, discret et tout, le type au comptoir avec qui je suis, je suis en train de lui bourrer la gueule et ça y est, il m’invite chez lui, t’auras rien à faire, c’est du billard !
  • Non, attends, n’en dis pas plus, tu t’es trompé de bonhomme, va voir quelqu’un d’autre, je ne suis pas sur ce genre de plan, moi !
  • Comment ça, tu veux pas gagner du pognon rapidement, j’te dis, t’auras rien à faire, tu nous suis jusqu’à l’immeuble, c’est pas loin, et c’est tout !
  • Dans dix minutes, tu reviens t’asseoir ici et t’as gagné de l’argent facilement, c’est tranquille je t’assure, j’ai tout étudié, y a aucun risque, tu peux me faire confiance !
  • Non, arrête-toi, essaye de m’écouter, ça ne m’intéresse pas.
  • Bon, attends-moi, je reviens, bouge pas !

Il retourna au bar. Les bagnoles de flics se rangeaient le long du commissariat de la mairie, prêtes pour la nuit. Le rouquin était complètement fêlé, irréaliste. Quelques instants plus tard, il revint à la charge.

  • Écoute, écoute-moi bien, après tu m’diras ce que t’en penses, ça ne coûte rien, écouter ?
  • Voilà ! Le type il est bourré de pognon, j’ai vu la liasse quand il a payé les tournées, il m’invite chez lui, toi tu nous suis, moi je m’arrange pour bloquer la porte en bas, tu rentres dans l’immeuble sans faire de bruit, t’assommes le gars, on lui fait les poches ! (Assommer, rien de moins) Tu me fous un coup de poing sur le nez, je saigne rapidement, c’est pas dur, et tu t’casses avec le fric, moi je reste à côté du type, on s’est fait agresser par-derrière, rien vu venir, l’agresseur était un grand Noir, c’est tranquille non ?

Arthur eut du mal à ne pas éclater de rire, il était accablé.

  • Non, tu t’rends pas compte, déjà, moi c’est un truc que j’ai jamais fait, d’assommer un gars, je sais pas comment on fait et j’ai pas envie d’essayer, ça me branche pas, ensuite, t’en fais pas, les flics, si on fait ça, c’est pas des cons, et le type, je n’ai aucune raison de l’assommer ! Il va débourrer, et demain il réfléchira, il viendra ici avec les flics, il se souviendra m’avoir vu discuter avec toi, à part deux ans de taule, c’est tout ce que ça peut rapporter, arrête tes conneries, je ne suis pas dans ces embrouilles-là, moi, et je ne veux rien avoir à faire avec toute cette merde. Eh, toi, laisse tomber, c’est pas un bon plan !
  • Bon, bon, j’te laisse réfléchir, penses-y, j’reviens, j’ai besoin de quelqu’un pour faire ce coup, je peux pas le faire tout seul !
  • Eh bien le fais pas, moi c’est non, oublie tout ça, c’est pas bon !
  • T’es con, je reviens.

Il était fatigant. À l’heure prévue, les lumières s’éteignirent. Le type revint une dernière fois :

  • Tu t’décides, speede, c’est maintenant ou jamais, c’est une trop belle occase !
  • Non, non et non, écoute-moi, je vais me coucher, tu ferais bien d’en faire autant, bonne nuit, fais de beaux rêves !
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