3001 Odyssée des espaces
LE RÊVE DES PHYSICIENS
Compte rendu des livres :
AU- DELÀ DE L’ESPACE ET DU TEMPS
La nouvelle physique
de Marc Lachièze-Rey
Éditions Le Pommier
2003, 360 p., 24 euros, ISBN 2746501066, format : 13,5 x 20 cm
LA NATURE DE L’ESPACE ET DU TEMPS
de Stephen Hawking et Roger Penrose
Traduction de l’anglais par Françoise Balibar
(édition originale : 1996 ; première édition en français : 1997)
Présentation par Marc Lachièze-Rey
Gallimard (Folio)
2003, 224 p., 4 euros, ISBN 207042927X, format : 11 x 18 cm
Est-il possible de développer une théorie quantique de la gravitation ou,
du moins, une théorie qui rendrait compte à la fois des effets gravitationnels
et des effets quantiques ? Une réponse affirmative rapprocherait beaucoup de
physiciens de leur rêve : celui d’unifier l’ensemble des théories physiques.
Mais voilà des décennies que ces physiciens butent sur cette unification. La
raison des difficultés rencontrées est relativement simple. Les équations de la
mécanique quantique, qui s’appliquent au monde microscopique, imposent que
certaines quantités — par exemple l’énergie d’un atome — n’adoptent que des
valeurs discrètes. Quant à la gravitation, décrite dans le cadre de la relativité
générale d’Einstein, elle est une propriété géométrique de l’espace-temps.
Une théorie quantique de la gravitation devrait donc être une théorie
quantique de l’espace-temps. Or, jusqu’ici, la théorie quantique s’appliquait à
des objets situés dans l’espace-temps. Comment donc quantifier l’espacetemps
qui sert de cadre de référence au processus même de quantification ?
C’est tout le problème.
Pour résoudre cette sorte de quadrature du cercle, les physiciens ne sont
pas avares d’hypothèses, certainement incompréhensibles pour le néophyte.
Mais comme les deux livres dont il est ici question s’adressent à un public,
certes connaisseur, mais non spécialiste, essayons néanmoins de nous en
faire l’écho. Par exemple, plutôt que d’essayer de quantifier la gravitation,
certains physiciens essayent de rendre compte de toutes les interactions
dans un cadre unique, quantifié. Toute interaction pouvant être considérée
comme l’effet d’une certaine symétrie, cette recherche les conduit à
considérer des symétries particulières dans la nature, telle la
« supersymétrie » qui se caractérise par une symétrie entre spins entiers et
spins demi-entiers, autrement dit, entre bosons et fermions. Il est alors
question, non plus de gravité, mais de supergravité. Toujours dans ce cadre
de pensée, une autre option consiste à développer les théories des cordes
dans un espace-temps de dix ou onze dimensions. Dans ces théories, les
objets fondamentaux ne sont plus des entités ponctuelles, comme des
particules, mais des cordes à une dimension. Celles-ci ne se différencient pas
les unes des autres par leur composition, comme c’est le cas avec les
particules. Elles se distinguent uniquement par leurs configurations et leurs
états de vibration. « Tout » est donc décrit par une unique substance. Comme
ces théories incluent la supersymétrie, on parle d’ailleurs de supercordes.
Dans le même esprit, certains physiciens développent une théorie des branes
conçues comme les lieux d’attache des cordes ouvertes et qui, à la différence
de ces dernières, peuvent avoir plusieurs dimensions. Mais d’autres
physiciens, au lieu de chercher une théorie unitaire complète, essayent de
quantifier la gravité sans se préoccuper des autres interactions. Ces
démarches peuvent alors entraîner que l’espace-temps, qui nous apparaît
continu, soit en réalité discret. Enfin, pour ne mentionner que les principales
options, certains physiciens essayent, indépendamment de ces deux grandes
orientations, de développer une géométrie non commutative, afin de
retrouver, au niveau géométrique, une propriété des opérateurs en mécanique
quantique. Cette nouvelle géométrie, qui récuse la notion de point dans
l’espace, permet également de rendre compte de l’impossibilité quantique de
toute localisation.
Toutes ces options présentent leurs avantages et leurs inconvénients, et
ne sont pas forcément exclusives les unes des autres. Mais il est sûr
qu’aucune ne l’emporte vraiment sur ses concurrentes et qu’elles sont toutes
loin d’être abouties. En tout cas, là où le livre de Marc Lachièze-Rey se veut
une présentation aussi peu technique que possible de ces théories, le livre de
Stephen Hawking et Roger Penrose est une confrontation, moins didactique,
entre les approches respectives de ces deux auteurs de situations où effets
quantiques et gravitationnels interviennent, comme dans les trous noirs et les
premiers instants de l’Univers tels qu’on les conçoit dans le cadre de la
théorie du big bang. Ce débat nous donne droit à une description de ce que
pourrait être une cosmologie quantique, ou encore à une présentation des
tentatives d’incorporation des effets quantiques dans la physique des trous
noirs. Bien sûr, la pertinence de ces spéculations ne pourra être jugée qu’à
l’aune d’une théorie quantique de la gravitation, ou du moins d’une théorie qui
rendrait compte à la fois des effets gravitationnels et des effets quantiques.
Or, comme on l’a dit, aucune théorie de cette sorte n’existe encore. Certes,
Penrose suggère que des effets que nous considérons comme purement
quantiques pourraient être de nature gravitationnelle. Mais sur ce point
Hawking ne le suit pas. De toute façon, les analyses de ces deux physiciens
sont souvent peu claires. De façon symptomatique, Marc Lachièze-Rey, qui
présente cet ouvrage, souligne à de multiples reprises combien ces analyses
sont effectivement peu convaincantes et souvent obscures, voire tirées par
les cheveux.
On pourrait ne voir là qu’une caractéristique propre à ces deux
chercheurs. Il faut néanmoins reconnaître que toutes les tentatives
d’unification de la physique sont loin de s’appuyer sur une parfaite maîtrise
conceptuelle de leurs démarches. Marc Lachièze-Rey, qui a fait dans son livre
un véritable effort pour être clair et précis, malgré toutes les difficultés
conceptuelles rencontrées, considère que ce n’est peut-être pas un problème
insurmontable. Il espère que ce n’est que la marque de l’état de balbutiement
dans lequel se trouvent ces recherches. Aussi conclut-il sa présentation de
ces dernières en affichant son espoir que la théorie qui éventuellement
unifiera la physique et dont rêvent les physiciens pourra être présentée « à
nos enfants, aux étudiants, au public, comme on présente aujourd’hui la
physique de Newton ou (avec encore des progrès à accomplir) la relativité et
la physique quantique (pp. 348-349) ». C’est d’ailleurs le même espoir que
formulait Hawking dans la conclusion de son célèbre livre, Une brève histoire
du temps (1988). C’est-à-dire que non seulement les physiciens rêvent d’une
« théorie du tout », mais certains rêvent également que cette théorie soit
simple. Or, au-delà des difficultés inhérentes à l’attirail mathématique
nécessaire pour définir une telle théorie, il n’est pas sûr que cette notion de
simplicité ait un sens à propos d’une théorie du tout. N’y a-t-il pas quelque
chose de relatif dans cette notion de simplicité ? Ce qui est sûr en tout cas
est que ceux qui sont peu habitués à ce genre de spéculation ne doivent pas
s’attendre à une lecture facile de ces deux livres. Mais cette difficulté ne leur
enlève pas le mérite d’avoir cherché à présenter ces problématiques
passionnantes au-delà du cercle des spécialistes.
Thomas Lepeltier,
Parutions.com, février 2004.
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